Читать книгу Toutes les Poésies de Guy de Maupassant (l'intégralité des 50 poésies) - Guy de Maupassant - Страница 19

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La Dernière Escapade


I

Un grand château bien vieux aux murs très élevés.

Les marches du perron tremblent, et l’herbe pousse,

S’élançant longue et droite aux fentes des pavés

Que le temps a verdis d’une lèpre de mousse.

Sur les côtés deux tours. L’une, en chapeau pointu,

S’amincit dans les airs. L’autre est décapitée.

Sa tête fut, un soir, par le vent emportée;

Mais un lierre, grimpé jusqu’au faîte abattu,

S’ébouriffe au-dessus comme une chevelure,

Tandis que, s’infiltrant dans le flanc de la tour,

L’eau du ciel, acharnée et creusant chaque jour,

L’entr’ouvrit jusqu’en bas d’une immense fêlure.

Un arbre, poussé là, grandit au creux des murs,

Laissant voir vaguement de vieux salons obscurs,

Chaque fenêtre est morne ainsi qu’un regard vide.

Tout ce lourd bâtiment caduc, noirci, fané,

Que la lézarde marque au front comme une ride,

Dont s’émiette le pied, de salpêtre miné,

Dont le toit montre au ciel ses tuiles ravagées,

À l’aspect désolé des choses négligées.


Tout autour un grand parc sombre et profond s’étend;

Il dort sous le soleil qui monte et l’on entend,

Par moments, y passer des rumeurs de feuillages,

Comme les bruits calmés des vagues sur les plages,

Quand la mer resplendit au loin sous le ciel bleu.

Les arbres ont poussé des branches si mêlées

Que le soleil, jetant son averse de feu,

Ne pénètre jamais la noirceur des allées.

Les arbustes sont morts sous ces géants touffus,

Et la voûte a grandi comme une cathédrale;

Il y flotte une odeur antique et sépulcrale,

L’humidité des lieux où l’homme ne va plus.


Mais sur les hauts degrés du perron qui dominent

Les longs gazons qu’au loin de grands arbres terminent,

Des valets ont paru, soutenant par les bras

Deux vieillards très courbés qui vont à petits pas.

Ils traînent lentement sur les marches verdies

Les hésitations de leurs jambes roidies,

Et tâtent le chemin du bout de leur bâton.

Très vieux, – l’homme et la femme, – et branlant du menton,

Ils ont le front si lourd et la peau si fanée

Qu’on ne devine pas quel pouvoir enfonça

Aux moelles de leurs os cette vie obstinée.

Affaissés dans leurs grands fauteuils on les laissa,

Pliés en deux, tremblant des mains et de la tête.

Ils ont baissé leurs yeux que la vieillesse hébète,

Et regardent tout près, par terre, fixement.

Ils n’ont plus de pensée. Un long tremblotement

Semble seul habiter cette décrépitude,

Et s’ils ne sont pas morts, c’est par longue habitude

De vivre à deux, tout près l’un de l’autre toujours,

Car ils n’ont plus parlé depuis beaucoup de jours.

Toutes les Poésies de Guy de Maupassant (l'intégralité des 50 poésies)

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