Читать книгу La fille du pirate - H. Emile Chevalier - Страница 23
VI
ОглавлениеLes moeurs canadiennes ont conservé toute la naïve simplicité des anciennes moeurs françaises. Rien n'a été altéré ou oblitéré. L'Européen qui arrive au Canada se croit transporté parmi les Français d'avant la révolution de 89. Institutions, coutumes, préjugés, sont ici en vigueur comme ils l'étaient sous le règne de Louis XVI. Seule la langue a été adultérée. Il s'y est glissé quelques anglicismes. Mais encore ces adultérations ne sont-elles sensibles que dans les villes; les campagnes n'ont pas eu à les subir. Les habitants parlent le patois des paysans normands, et bien peu entendent l'anglais.
Cependant les moeurs canadiennes l'emportent sur les vieilles moeurs françaises, parce qu'elles sont généralisées et non localisées dans telle ou telle classe de la société. En d'autres termes, la même dénomination souvent est affectée aux usages de ce pays. Pour n'en montrer qu'un exemple, nous parlerons de la veillée.
Jadis la veillée était fort à la mode parmi les Français; à cette heure elle n'est plus guère connue que dans les petits villages éloignés des grandes routes. Dans les villes, on ne connaît que la soirée ou le bal. C'est là ce qui a remplacé la douce veillée, candide, bergère, sans apprêt, sans luxe, sans prétention, la veillée où l'on contait des histoires bien lugubres, où l'on caquetait, où l'on tillait, où l'on filait, où l'on dansait gaîment, et où l'on s'aimait plus avec le coeur qu'avec les lèvres.
Le Canada a échappé aux soirées! Vraiment, nous l'en félicitons et nous souhaitons que toujours il ignore les ridicules et les inconvénients de la soirée.
Citadins et villageois, ministres et négociants, crésus et prolétaires, tout le monde donne des veillées sur les bords du Saint-Laurent, et c'est plaisir que d'assister à ces charmantes réunions, desquelles ont été bannis l'étiquette, la morgue, le froid décorum, et toutes les sottises empesées qui glacent les relations des peuples ultra-civilisés.
Lecteur, ce que nous venons d'écrire n'est pas brillant, tant s'en faut! c'est que nous avons pour les réflexions la même horreur que vous, et que notre plume a profité d'une distraction de notre cerveau pour faire des siennes; pardonnez-lui cette incartade qui, hélas! ne sera probablement pas la dernière.