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XVII

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21 août 1829.

Mon cher ami,

Je vous envoie enfin la musique que vous attendez depuis si longtemps; il y a de ma faute et de celle de mon imprimeur. Pour moi, le concours de l'Institut m'excuse un peu, et toutes les nouvelles agitations, the new pangs of my despised love, me justifient malheureusement trop de ne penser à rien. Oui, mon pauvre et cher ami, mon cœur est le foyer d'un horrible incendie; c'est une forêt vierge que la foudre a embrasée; de temps en temps, le feu semble assoupi, puis un coup de vent… un éclat nouveau… le cri des arbres s'abîmant dans la flamme, révèlent l'épouvantable puissance du fléau dévastateur.

Il est inutile d'entrer dans les détails des nouvelles secousses que j'ai reçues dernièrement; mais tout se réunit. Cet absurde et honteux concours de l'Institut vient de me faire le plus grand tort à cause de mes parents. Ces messieurs les juges, qui ne sont pas les Francs Juges, ne veulent pas, disent-ils, m'encourager dans une fausse route. Boïeldieu m'a dit:

– Mon cher ami, vous aviez le prix dans la main, vous l'avez jeté à terre. J'étais venu avec la ferme conviction que vous l'auriez; mais quand j'ai entendu votre ouvrage!.. Comment voulez-vous que je donne un prix à une chose dont je n'ai pas d'idée. Je ne comprends pas la moitié de Beethoven, et vous voulez aller plus loin que Beethoven! Comment voulez-vous que je comprenne? Vous vous jouez des difficultés de l'harmonie en prodiguant les modulations; et moi qui n'ai pas fait d'études harmoniques, qui n'ai aucune expérience de cette partie de l'art! C'est peut-être ma faute! je n'aime que la musique qui me berce.

– Mais, monsieur, si vous voulez que j'écrive de la musique douce, il ne faut pas nous donner un sujet comme Cléopâtre: une reine désespérée qui se fait mordre par un aspic et meurt dans les convulsions!

– Oh! mon ami, on peut toujours mettre de la grâce dans tout; mais je suis bien loin de dire que votre ouvrage soit mauvais; je dis seulement que je ne le comprends pas encore, il faudrait que je l'entendisse plusieurs fois avec l'orchestre.

– M'y suis-je refusé?

– D'ailleurs, en voyant toutes ces formes bizarres, cette haine pour tout ce qui est connu, je ne pouvais m'empêcher de dire à mes collègues de l'Institut qu'un jeune homme qui a de pareilles idées, et qui écrit ainsi, doit nous mépriser du fond de son cœur. Vous êtes un être volcanisé, mon cher ami, et il ne faut pas écrire pour soi; toutes les organisations ne sont pas de cette trempe. Mais venez chez moi, faites-moi ce plaisir, nous causerons, je veux vous étudier.

D'un autre côté, Auber me prend à part à l'Opéra, et, après m'avoir dit à peu près la même chose, sinon qu'il fallait faire ces cantates comme on fait une symphonie, sans égard pour l'expression des paroles; il a ajouté:

– Vous fuyez les lieux communs; mais vous n'avez pas à redouter de faire jamais de platitudes; ainsi le meilleur conseil que je puisse vous donner, c'est de chercher à écrire platement, et, quand vous aurez fait quelque chose qui vous paraîtra horriblement plat, ce sera justement ce qu'il faut. Et songez bien que, si vous faisiez de la musique comme vous la concevez, le public ne vous comprendrait pas et les marchands de musique ne vous achèteraient pas.

Mais, encore une fois, quand j'écrirai pour les boulangers et les couturières, je n'irai pas choisir pour texte les passions de la reine d'Égypte et ses méditations sur la mort. O mon cher Ferrand, je voudrais pouvoir vous faire entendre la scène où Cléopâtre réfléchit sur l'accueil que feront à son ombre celles des Pharaons ensevelis dans les pyramides. C'est terrible, affreux! c'est la scène où Juliette médite sur son ensevelissement dans les caveaux des Capulets, environnée vivante des ossements de ses aïeux, du cadavre de Tybalt; cet effroi qui va en augmentant!.. ces réflexions qui se terminent par des cris d'épouvante accompagnés par un orchestre de basses pinçant ce rythme:


Au milieu de tout cela, mon père se lasse de me faire une pension dont je ne puis me passer; je vais retourner à la Côte, où je prévois bien de nouvelles tracasseries, et pourtant je ne vis que pour la musique, elle seule me soutient sur cet abîme de maux de toute espèce. N'importe, il faut que j'y aille, et il faut que vous veniez me voir; songez donc que nous nous voyons si rarement, que ma vie est si fragile, et que nous sommes si près! Je vous écrirai aussitôt après mon arrivée.

Guillaume Tell?.. Je crois que tous les journalistes sont décidément devenus fous; c'est un ouvrage qui a quelques beaux morceaux, qui n'est pas absurdement écrit, où il n'y a pas de crescendo et un peu moins de grosse caisse, voilà tout. Du reste, point de véritable sentiment, toujours de l'art, de l'habitude, du savoir-faire, du maniement du public. Ça ne finit pas; tout le monde bâille, l'administration donne force billets. Adolphe Nourrit, dans le jeune Melchtal, est sublime; mademoiselle Taglioni n'est pas une danseuse, c'est un esprit de l'air, c'est Ariel en personne, une fille des cieux. Et on ose porter cela plus haut que Spontini! J'en parlais avant-hier avec M. de Jouy, à l'orchestre. On donnait Fernand Cortez, et, quoique l'auteur du poème de Guillaume Tell, il ne parlait de Spontini que comme nous, avec adoration. Il (Spontini) revient incessamment à Paris; il s'est brouillé avec le roi de Prusse, son ambition l'a perdu. Il vient de donner un opéra allemand qui est tombé à plat; les succès de Rossini le font devenir fou: cela se conçoit; mais il devrait se mettre au-dessus des engouements du public. L'auteur de la Vestale et de Cortez écrire pour le public!.. Des gens qui applaudissent le Siège de Corinthe, venir me dire qu'ils aiment Spontini, et celui-ci rechercher de pareils suffrages!.. Il est très malheureux; le non-succès de son dernier ouvrage le tue.

Je fais des mélodies irlandaises de Moore, que Gounet me traduit; j'en ai fait une, il y a quelques jours, dont je suis ravi. Ces jours-ci, on va présenter un opéra pour moi à Feydeau, j'en suis fort content; puisse-t-il être reçu!

Vous me promettez toujours quelque chose et vous ne faites rien; cependant nous touchons à une révolution théâtrale qui nous serait favorable, songez-y! La Porte-Saint-Martin est ruinée, les Nouveautés de même; et les directeurs de ces deux théâtres tendent les bras à la musique; il est vraisemblable que le ministère va donner l'autorisation d'un théâtre d'opéra nouveau; je vous le dis parce que je le sais.

Adieu.

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