Читать книгу Lettres intimes - Hector Berlioz - Страница 26
XXIV
ОглавлениеParis, 6 février 1830.
Mon cher ami,
Votre lettre et les trente-cinq francs qu'elle contenait me sont parvenus cette fois. Marescot n'est pas à Paris; dès qu'il sera revenu, je les lui remettrai. Je frémis en songeant à ce que vous devez souffrir de vos dents; si cela peut vous consoler, je vous dirai que je suis à peu près dans le même cas; toutes mes dents se carient peu à peu, et, le mois dernier, je souffrais comme un damné! J'ai essayé de plusieurs eaux spiritueuses; le paraguay-roux, dont j'avais beaucoup entendu parler, a calmé en deux jours une douleur terrible, causée par une dent creuse; je remplissais le creux avec du coton imbibé, et je me gargarisais la bouche avec de l'eau dans laquelle j'avais versé quelques gouttes du spécifique; essayez-en, ne négligez rien; mais j'ai un autre mal dont rien, à ce qu'il paraît, ne pourra me guérir, qu'un spécifique contre la vie.
Après quelque temps d'un calme troublé violemment par la composition de l'Élégie en prose qui termine mes Mélodies, je viens d'être replongé dans toutes les angoisses d'une interminable et inextinguible passion, sans motif, sans sujet. Elle est toujours à Londres, et cependant je crois la sentir autour de moi; tous mes souvenirs se réveillent et se réunissent pour me déchirer; j'écoute mon cœur battre, et ses pulsations m'ébranlent comme les coups de piston d'une machine à vapeur. Chaque muscle de mon corps frémit de douleur… Inutile!.. Affreux!..
Oh! malheureuse! si elle pouvait un instant concevoir toute la poésie, tout l'infini d'un pareil amour, elle volerait dans mes bras, dût-elle mourir de mon embrassement.
J'étais sur le point de commencer ma grande symphonie (Épisode de la vie d'un artiste), où le développement de mon infernale passion doit être peint; je l'ai toute dans la tête, mais je ne puis rien écrire… Attendons.
Vous recevrez, en même temps que ma lettre, deux exemplaires de mes chères Mélodies; un artiste du Théâtre-Italien de Londres vient d'en emporter pour Moore, qu'il connaît et à qui nous les avons dédiées. Adolphe Nourrit vient de les adopter pour les chanter aux soirées où il va habituellement.
Il s'agit maintenant de les faire annoncer; mais je n'ai plus d'activité…
Mon cher ami, écrivez-moi souvent et longuement, je vous en supplie; je suis séparé de vous; que vos pensées me parviennent du moins. Il m'est insupportable de ne pas vous voir; faut-il qu'à travers les nuages chargés de foudre qui grondent sur ma tête un seul rayon de l'astre paisible ne puisse venir me consoler!..
Adieu donc; j'attends une lettre de vous dans neuf jours, si votre état maladif vous permet d'écrire.
Votre fidèle ami.