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La Côte-Saint-André (Isère), 10 juin 18251.

Mon cher Ferrand,

Je ne suis pas plus tôt hors de la capitale, que je ne puis résister au besoin de converser avec vous. Je vous avais moi-même engagé à ne m'écrire que quinze jours après mon départ, afin de ne pas demeurer trop longtemps ensuite sans avoir de vos nouvelles; mais je viens vous engager aujourd'hui à le faire le plus tôt possible, parce que j'espère que vous ne serez pas assez paresseux pour vous contenter de m'écrire une fois et pour me laisser languir pendant deux mois, comme l'homme de la douleur éloigné du rocher de l'Espérance et qui voudrait bien aller prendre une glace à la vanille chez Tortoni (Poitier, in. lib. Blousac, page 32).

J'ai fait un voyage assez ennuyeux jusqu'à Tarare; là, étant descendu pour monter à pied, je me suis trouvé, comme malgré moi, engagé dans la conversation de deux jeunes gens qui m'avaient l'air dilettanti et dont, comme tels, je ne m'approchais guère. Ils ont commencé à m'apprendre qu'ils allaient au mont Saint-Bernard faire des paysages et qu'ils étaient élèves de peinture de MM. Guérin et Gros; sur quoi, je leur ai appris à mon tour que j'étais élève de Lesueur; ils m'ont fait beaucoup de compliments sur le talent et le caractère de mon maître; tout en causant, l'un des deux s'est mis à fredonner un chœur des Danaïdes.

– Les Danaïdes! me suis-je écrié; mais vous n'êtes donc pas dilettante?..

– Moi, dilettante? m'a-t-il répliqué; j'ai vu trente-quatre fois Dérivis et madame Branchu dans les rôles de Danaüs et d'Hypermnestre.

– Oh!..

Et nous nous sommes sautés au col sans autre préambule.

– Ah! monsieur, madame Branchu!.. ah! M. Dérivis!.. Quel talent!.. quel foudre!

– Je le connais beaucoup Dérivis, a dit l'autre.

– Et moi donc! j'ai l'avantage de connaître également la sublime tragédienne lyrique.

– Ah! monsieur, que vous êtes heureux! On dit que, indépendamment de son prodigieux talent, elle est, en outre, fort recommandable par son esprit et ses qualités morales.

– Certainement, rien n'est plus vrai.

– Mais, messieurs, leur ai-je dit, comment se fait-il que, n'étant pas musiciens, vous n'ayez point été infectés du virus dilettantique, et que Rossini ne vous ait pas fait tourner le dos au naturel et au sens commun?

– C'est, m'ont-ils répondu, qu'étant habitués à rechercher en peinture le grand, le beau et surtout le naturel, nous n'avons pu le méconnaître dans les sublimes tableaux de Glück et de Saliéri, non plus que dans les accents à la fois tendres, déchirants et terribles de madame Branchu et de son digne émule. Conséquemment, le genre de musique à la mode ne nous entraîne pas plus que ne le feraient des arabesques ou des croquis de l'école flamande.

A la bonne heure, mon cher Ferrand, à la bonne heure! voilà des gens qui sentent, voilà des connaisseurs dignes d'aller à l'Opéra, dignes d'entendre et de comprendre Iphigénie en Tauride. Nous nous sommes donné mutuellement nos adresses, et nous nous reverrons à Paris au retour.

Avez-vous revu Orphée, avec M. Nivière, et l'avez-vous saisi passablement?..

Adieu; tout va bien pour moi: mon père est tout à fait dans mon parti, et maman parle déjà avec sang-froid de mon retour à Paris.

Votre ami.

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Berlioz avait alors vingt-deux ans. Il se trouvait à cette époque critique de la vie de l'artiste et de l'écrivain où, la vocation l'emportant sur des aspirations mal définies, l'avenir se décide sans retour. Il venait de faire exécuter à Saint-Roch une messe à grand orchestre, qui ne lui rapportait rien, mais qui redoublait sa résolution de se consacrer uniquement à la musique. Par contre, il échouait au concours pour le prix de Rome, ce qui déterminait sa famille à lui supprimer sa modique pension d'étudiant en médecine. Avec la joie d'affirmer son talent et l'orgueil d'attirer pour la première fois sur son nom l'attention du public et de la presse, commençaient les embarras qui, jusqu'à son dernier jour, ont pesé sur sa vie. Il s'était rendu en toute hâte à la Côte-Saint-André, sa ville natale, pour conjurer l'orage qui le menaçait après son échec de l'Institut.

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