Читать книгу L'amour au pays bleu - Hector France - Страница 23
IX
Оглавлениеl était rare que Mansour trouvât un instant où il pût être seul avec elle; cependant il en trouvait. Pour lui, le père n'avait aucune méfiance; et un jour même, forcé de s'absenter quand les autres femmes étaient dehors, il l'appela et dit:
—Reste près de Meryem.
Mansour s'assit en silence, ému et troublé; il n'osa parler ni lever les yeux, de crainte que la jeune femme ne reconnût son trouble et ne lût ses convoitises; aussi, au retour du cheik, Meryem s'écria:
—Ton fils est timide comme une fiancée.
Mais Kradidja lui ayant rapporté en plaisantant ces paroles, il s'enhardit, et un soir, comme il ramenait les troupeaux et que Meryem fit quelques pas à sa rencontre pour s'emparer d'une chèvre rétive, il lui jeta une fleur dans le sein.
Elle la retira en riant et l'attacha dans ses cheveux.
Le lendemain, il lui dit:
—Je voudrais une femme comme toi, Meryem, où la trouverai-je?
—Va, répondit-elle, va chez les Beni-Mzab, où ton père est allé, et tu en trouveras.
—Ont-elles tes grands cheveux soyeux et tes yeux qui étincellent? Ont-elles ta jolie bouche et ta voix qui fait sauter le cœur?
—Elles ont tout cela et encore autre chose.
—O Meryem, il sort de tous tes gestes des parfums qui brûlent.
—Tais-toi, petit garçon, ton père va venir.
Elle l'appelait petit garçon, bien qu'il eût deux ans de plus qu'elle; mais elle voulait arrêter ses paroles indiscrètes, et nos sœurs cadettes sont déjà femmes que nous sommes encore des enfants.
Il rougit et se tut, mais le soir il dit au cheik:
—Père, c'est après-demain le grand marché des Beni-Mzab; je serais désireux d'y aller.
—Va, mais que ton absence soit courte.
Il resta absent plus d'une semaine et dit à son retour avoir été retenu par le père de Meryem.
Celle-ci sourit, et lorsqu'ils furent seuls, elle lui demanda:
—A quand la noce, fils d'Ahmet?
—Pour moi, répondit-il, il n'y aura jamais de noce.
—Quoi! n'as-tu pas trouvé là-bas de jolies filles? Es-tu donc si difficile, que celles de ma tribu ne te plaisent pas? J'en connais cependant de plus vives et de plus gracieuses que la gazelle, avec des yeux aussi grands et aussi doux que ceux de la vache blanche qui nous donne tant de lait.
—Peut-être, dit-il; je ne les ai pas regardées. Oui, j'en ai vu qui devant moi se plaisaient à entr'ouvrir leur voile, mais ma pensée n'accompagnait pas mes yeux. Je me suis assis sous la tente de ton père; j'ai parcouru la plaine où tu es née; je me suis couché sous les lauriers de la rivière où tu allais jouer quand tu étais petite; j'ai suivi les ondulations des collines de l'horizon où tes yeux s'arrêtaient le matin à ton réveil: j'ai regardé longtemps tout cela et je suis revenu.
Elle feignit de ne pas comprendre et haussa les épaules:
—Mansour-ben-Ahmed est fou, dit-elle.
Elle comprenait trop bien quelle était cette folie et se tenait sur ses gardes. Cependant les propos d'Ahmet lui plaisaient. De quelque part qu'elle vienne, la flatterie est douce à l'oreille des femmes.
Peut-être aussi se disait-elle que dans les bras de cet adolescent elle se fût trouvée plus doucement bercée que dans ceux de son vieil époux?
«Pourquoi ne nous est-il pas permis de choisir selon notre cœur et sommes-nous obligées de prendre des mains d'un père celui qui veut nous acheter?»
La plainte était juste, et c'est là ce qu'on nous reproche. Chez vous autres, Roumis, n'en est-il pas de même? Nous payons la femme pour sa valeur réelle, mais vous, vous l'appréciez d'après sa dot.
Et c'est pourquoi parmi les enfants des hommes, chez les croyants comme chez les infidèles, il y a tant d'unions mal assorties. Les jeunes aux jeunes, c'est la loi.
Car le vieillard qui achète une jeune épouse commet une abomination.
Le père et la mère qui vendent la virginité de leur fille à un mari chargé d'années commettent une abomination.
Qu'importe que le cadi ou le prêtre ait consacré cette prostitution; les paroles qu'il lit dans le livre sur la tête des époux n'effacent ni la souillure ni la honte du trafic.
Il commet une abomination, celui qui se prête à ce scandale, et plus le vieillard est riche, plus de témoins festoient au repas de noce, plus la prostitution est publique et le scandale abominable.
Et si la jeune épouse, livrée ainsi, de par la loi, à l'assouvissement des appétits d'un vieux, se lasse des caresses immondes et prend en dégoût le mari et le mariage, il y aura pour elle un lac de miséricorde; car elle a racheté d'avance, dans les répugnances des attouchements qui souillent, les turpitudes que forcément elle commettra plus tard.
Ainsi il est écrit, ou à peu près, dans le livre de Monseigneur Ali le Sublime, fils d'Abou-Taleb, 4e calife, l'époux de Fathma, la Porte de la Science et le Lion de Dieu, au chapitre de la Kouffa: «O croyants, répétez souvent le nom d'Allah, célébrez-le matin et soir.»