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III

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Table des matières

Il y avait près d'un mois que M. Charlemont n'était venu à sa maison de banque, lorsqu'un matin on le vit descendre de son phaéton et tous les yeux qui pouvaient l'apercevoir se tournèrent d'un même mouvement vers la cour.

Il arrivait d'Angleterre, où il avait été pour voir courir ses chevaux, disaient les uns, pour accompagner sa maîtresse la comédienne Céline Faravel, qui donnait des représentations à Londres, disaient les autres.

Aussi s'éleva-t-il une rumeur dans les bureaux lorsque courut ce mot, répété de bouche en bouche: «Voilà le patron»; et plus d'un curieux se mit-il à la fenêtre.

—Voyons donc s'il est changé.

—Et pourquoi voulez-vous qu'il soit changé?

—Dame, un mois de Céline Faravel!

—Eh bien, après?

—A son âge.

—Il est plus jeune que vous qui avez trente ans; et puis ce n'est pas pour Céline Faravel qu'il a été à Londres, c'est pour ses chevaux.

—Mettons que c'est pour ses chevaux et pour sa maîtresse.

—Pour ses chevaux seulement, et il a joliment tiré profit de son voyage, il a vendu une part de son écurie de course à Naïma-Effendi pour cinq cent mille francs et il en garde la direction; si le Turc gagne quelque chose, je connais quelqu'un qui sera bien étonné.

—Pas maladroit, le patron, quand il veut s'en donner la peine.

—Le malheur est qu'il ne se donne de la peine que pour ce qui n'en vaut pas la peine; ah! s'il voulait employer son habileté au profit de la maison!

—Enfin, le trouvez-vous changé?

—Pas du tout; aussi vert, aussi fringant, aussi vainqueur que toujours, il ne changera jamais.

Pendant ce temps, il avait monté l'escalier et, arrivé dans son cabinet, il avait tiré un cordon de sonnette, puis, quand il avait été installé dans un fauteuil en face de la fenêtre ouverte, il avait jeté sa jambe droite par dessus sa jambe gauche, et au domestique qui s'était empressé d'accourir, il avait adressé sa phrase habituelle:

—Prévenez M. Fourcy que je suis arrivé.

Pourcy s'était présenté presque aussitôt, suivi de son secrétaire chargé de papiers et M. Charlemont lui avait dit, comme d'ordinaire, sans se lever et en lui tendant la main:

—Bonjour, Jacques, comment vas-tu?

—C'est à vous, monsieur, qu'il faut adresser cette demande.

—Bien, très bien, comme tu vois; quoi de nouveau?

—Mes lettres, dit Fourcy, en s'asseyant au bureau, ont dû vous tenir au courant.

—Elles ont dû, cela est vrai, seulement je t'avoue que je n'ai pas eu le temps de les lire toutes; j'ai été entraîné dans un tourbillon; c'était la fin de la saison, à peine ai-je trouvé le temps de faire ma toilette; sais-tu qu'à Londres, dans ce pays de la suie, il faut, pour être à peu près propre, changer de chemise trois ou quatre fois par jour; alors, tu comprends, n'est-ce pas?

Fourcy comprit d'autant mieux qu'il était habitué à ces façons de son chef, l'homme de Paris assurément qui avait la plus vive répugnance pour la lecture manuscrite aussi bien qu'imprimée, et, tout de suite, sans perdre son temps en plaintes ou en remontrances vaines, il se mit à exposer, pièces en mains, ce qu'il avait déjà raconté par ses lettres, c'est-à-dire ce qui s'était passé pendant l'absence de M. Charlemont.

Tout d'abord celui-ci écouta assez attentivement, décidant d'un mot les cas qui étaient soumis à son appréciation et qui exigeaient une solution; mais bientôt il donna des signes manifestes de fatigue et d'ennui; il s'agita sur son fauteuil, se pencha en avant, se rejeta en arrière, alluma un cigare, le lança dans le jardin après quelques bouffées; enfin, n'y tenant plus, il interrompit Fourcy:

—Assez d'affaires pour aujourd'hui, dit-il, autre chose si tu veux bien.

—Mais…

—Autre chose que tu me pardonneras en ta qualité de père de famille, de bon père: donne-moi des nouvelles de Robert; rentré de cette nuit, je l'ai fait appeler ce matin, mais monsieur mon fils n'a pas couché chez lui; comment va-t-il?

—Très bien et les nouvelles que je vous donne sont toutes fraîches, de ce matin même, car il a couché chez moi à Nogent; rassurez-vous donc.

—Ce n'était pas de savoir où mon fils avait couché que j'étais préoccupé, mon brave Jacques, je ne suis pas un père bien sévère, d'ailleurs Robert a dix-neuf ans, et il est assez grand garçon pour coucher où bon lui semble; ces exigences sont bonnes pour un père tel que toi et non pour un père tel que moi, car si j'adressais cette question à mon fils: «Où as-tu couché?» il pourrait très bien me répondre: «Et toi?» ce qui serait quelquefois gênant.

—Il ne se permettrait pas une pareille question.

—Heu, heu; enfin je voulais tout simplement savoir comment il allait, car pendant cette absence, il ne m'a pas accablé de ses lettres…. Il est vrai que de mon côté je ne l'ai pas non plus accablé des miennes; pour tout dire, il me semble qu'il ne m'a pas écrit.

—Dites que vous n'avez pas reçu ses lettres.

—C'est possible; enfin, tu l'as vu pendant cette absence?

—Très souvent, surtout en ces derniers temps, car je vous avoue que j'ai cherché à l'attirer à Nogent, et, grâce à sa camaraderie avec Lucien, j'ai réussi; depuis huit jours, il est à la maison et, comme j'ai donné un congé de quinze jours à Lucien, ils restent tous les deux à se promener aux environs, à pêcher, à faire du canotage.

—Je suis enchanté de cela, Robert a tout à gagner avec Lucien, car ton fils est un brave garçon, il est digne de toi.

La figure de Fourcy s'épanouit, non pour le compliment qui lui était adressé, mais pour celui qui était fait à son fils, dont il était fier; mais ce sourire de bonheur et d'orgueil paternel ne fut qu'un éclair, son front se contracta et son regard s'obscurcit; évidemment il était sous le coup d'une préoccupation pénible.

—Je dois vous expliquer, dit-il, pourquoi j'ai tenu si vivement à attirer Robert dans mon intérieur et à l'y retenir.

—N'est-ce pas tout naturel? ton fils et le mien ont fait leurs classes ensemble, ils sont camarades.

—Cette raison ne m'eût pas déterminé si je n'en avais pas eu d'autres d'un ordre plus élevé, car, par sa position, son nom, sa fortune, Robert doit vivre dans un autre monde que le nôtre.

—Quelles raisons? Tu m'inquiètes, parle.

Mais, avant de parler, Fourcy chercha un dossier, et, l'ayant trouvé, il prit une feuille de papier dont un des côtés était occupé par une colonne de chiffres et il la présenta à M. Charlemont:

—Voici le relevé des sommes qui ont été payées depuis trois mois pour le compte de Robert; vous voyez le total.

—Bigre!

—Ce n'est pas seulement le total qui est grave, c'est aussi le détail des sommes payées: Haupois-Daguillon, orfèvre, 5,400 francs; Damain, joaillier, 17,000 francs, et les autres, que vous pouvez voir en suivant; évidemment ce ne sont pas là des dépenses excusables ou tout au moins justifiables chez un jeune nomme de dix-neuf ans.

—D'autant mieux qu'on ne lui connaît pas de maîtresse en titre.

—J'ai dû croire cependant qu'il en avait une, car il n'est pas probable qu'il achète des bijoux pour lui-même, et il n'est pas probable non plus que ce soit pour ses dépenses personnelles qu'il ait eu recours aux usuriers et particulièrement à Carbans qui a ruiné tant de jeunes gens: Carbans a d'autant plus facilement prêté qu'il sait que dans deux ans Robert sera mis en possession de son héritage maternel.

—Et que doit-il à Carbans?

—Je n'en sais rien, mais le certain, c'est qu'il est entre les mains de ce coquin; ce sera à voir au moment de le tirer de là; pour le présent, en vous attendant, j'ai fait le possible pour l'arracher à la vie de Paris et l'attirer à Nogent.

—Et tu dis qu'il est resté chez toi?

—Depuis huit jours.

—Sans venir à Paris?

—Sans venir à Paris.

—Voilà vraiment qui ne s'explique que si sa maîtresse est elle-même absente de Paris en ce moment; car il est évident que c'est cette maîtresse qui lui fait faire ces dépenses et ces dettes. Maintenant, quelle est cette femme, voilà l'inquiétant. Il est certain que si c'était une femme en vue, une femme de théâtre ou une cocotte, on connaîtrait leur liaison: une de ces femmes n'a pas Robert Charlemont, unique héritier de la maison Charlemont, pour amant, même en second ou en troisième, sans que cela se sache. S'il en était ainsi, il n'y aurait pas à s'en tourmenter, même quand elle l'entraînerait à quelque folie, c'est-à-dire à de grosses dépenses; on guérit de cette folie-là ou tout au moins on en change, ce qui est un genre de guérison. Non, ce qui m'inquiète, c'est de penser que la femme que nous cherchons est une femme du monde, ce qu'on appelle une honnête femme. Et ce compte d'argent dépensé par Robert, montre comment elle entend et pratique l'honnêteté.

—C'est impossible.

—Impossible à admettre pour toi, mais non pas impossible dans la réalité; ce genre de femme se rencontre, je ne dis point à chaque pas, mais encore très souvent, crois-en l'expérience d'un homme qui connaît le monde et la vie; c'est là la femme que je crains, car, avec une nature comme Robert, elle peut exercer une influence désastreuse. Il ne faut pas s'y tromper, Robert est une nature féminine, capable de grandes choses ou de très vilaines choses, selon qu'il sera poussé dans un sens ou dans un autre. Par certains côtés, il tient de sa mère; mais sa mère a été la meilleure des femmes, la plus tendre et la plus digne; tandis que je ne sais pas ce qu'il sera; il y a en lui des coins sombres et mystérieux qui ne m'ont jamais rien dit de bon. Ah! si j'avais pu m'occuper de son enfance! Mais était-ce possible avec ma vie? Si j'avais pu surveiller sa jeunesse! En tous cas, il faut, pour le moment, que nous cherchions quelle est cette femme, sa maîtresse, et que nous ne le laissions pas aller plus loin dans la voie où elle l'a amené et où elle le pousse. Tu m'aideras.

Ce n'était point l'habitude de M. Charlemont de parler si longuement et sur ce ton; il fallait vraiment que ce que Fourcy lui avait dit et le compte qu'il lui avait montré l'eût ému plus profondément qu'il ne se laissait ordinairement toucher.

Mais il ne resta pas sous cette impression, car il avait horreur de ce qui le troublait ou l'affectait péniblement, et il cherchait toujours à s'en débarrasser aussi vite que possible.

—Et chez toi comment vont les choses? dit-il en homme qui veut changer le sujet de l'entretien; tu es toujours content de Lucien et de Marcelle?

—Aussi content que peut l'être le père le plus exigeant. Pour le travail et pour tout, Lucien m'a satisfait pleinement; depuis un an bientôt qu'il est dans cette maison, on n'a pas eu un reproche à lui adresser; et je ne l'ai pas traité avec l'indulgence d'un père faible, croyez-le-bien.

—Tu vois donc que j'ai eu bien raison de combattre ton idée d'École polytechnique.

—Ce n'était pas mon idée, c'était celle de Lucien, et c'était parce que je voyais en lui une sorte de vocation pour la science que j'avais scrupule de la contrarier.

—La vocation de ne rien faire, je comprends cela, mais la vocation du travail, du travail ingrat, du travail pour le travail lui-même, c'est trop naïf; où l'Ecole polytechnique aurait-elle conduit Lucien? à mourir de faim dans quelque fonction honorable. Je le veux bien, mais misérable; heureusement que madame Fourcy, qui est un esprit pratique, a compris cela et tandis que je te faisais de l'opposition de mon côté, elle t'en faisait du sien, de sorte que nous l'avons emporté; voilà Lucien dans la maison: il y fera son chemin comme tu y as fait le tien, et il sera pour Robert ce que tu as été pour moi: nous y trouverons tous notre compte. Lucien ne se plaint pas?

—Certes non.

—Voilà ce que c'est que la vocation; à douze ans, on a la vocation de la marine pour Robinson; à quinze ans on a celle de l'École polytechnique pour le manteau et l'épée; mais à vingt, un peu plus tôt, un peu plus tard, on commence à comprendre qu'il n'y a qu'une chose dans la vie: gagner de l'argent, et que la plus belle profession est celle qui nous en fait gagner davantage et le plus vite possible.

—Ce n'est pas à ce point de vue que Lucien se place.

—Je pense bien, mais il est en bon chemin, il y arrivera; je suis tranquille pour lui; et Marcelle? son mariage?

—Les choses en sont toujours au même point.

—C'est étrange; comment votre marquis italien ne met-il pas plus d'empressement à épouser une belle fille telle que la tienne?

—Rien ne presse, Marcelle n'a que dix-huit ans, et sa mère aussi bien que moi nous désirons ne pas la marier trop jeune; pour mon compte, j'aurais voulu ne pas la marier avant qu'elle eût atteint la vingtième année; c'était une date que je m'étais fixée, non par égoïsme paternel, non pour l'avoir plus longtemps à moi, bien que je l'aime tendrement, vous le savez, et que la pensée d'une séparation me soit cruelle, mais pour elle, dans son intérêt; aussi ai-je vu avec chagrin le marquis Collio la rechercher, en même temps que j'ai vu avec regret Marcelle se montrer sensible aux attentions du marquis. Maintenant le marquis ne parle pas de mariage et ne m'adresse point une demande formelle, c'est tant mieux; ma femme et moi nous sommes heureux de gagner du temps; nous ne voyons aucun inconvénient à ce que le marquis fasse longuement sa cour; nous apprenons ainsi à le mieux connaître; c'est un charmant garçon; chevaleresque, plein de délicatesse, aussi noble par les sentiments et le caractère que par la naissance.

—Riche?

—En biens fonds, oui, je le crois, mais ses biens sont grevés de dettes, c'est cette situation embarrassée qui lui a été léguée par sa famille, mais qu'il n'a pas faite, qui l'a décidé à embrasser la carrière militaire.

—Capitaine et attaché militaire à l'ambassade d'Italie, ce n'est peut-être pas un moyen pratique de payer ces dettes.

—En ce moment non, mais plus tard; et puis en tous cas cela vaut mieux que de traîner une vie inoccupée dans un château du Milanais; on lui reconnaît un bel avenir.

—Enfin il vous plaît.

—Il plaît beaucoup à ma femme, et il ne déplaît point à Marcelle; pour moi, j'avoue que j'aimerais mieux pour gendre un Français qui ne serait pas soldat, mais je ne contrarierai pas le goût de ma fille, si je vois qu'elle doit être malheureuse en ne devenant pas la femme d'Evangelista.

—Ah! il se nomme Evangelista?

—Evangelista marchese Collio; il est le dernier représentant d'une grande famille du Milanais; mais vous pensez bien que ce n'est pas là ce qui me touche, je n'ai pas d'ambition nobiliaire; je ne veux que le bonheur de ma fille.

—Le bonheur des siens, parbleu!

—Mon Dieu oui, est-il rien de plus doux que de rendre heureux ceux qu'on aime? A ce propos, je dois vous prévenir que je ne viendrai pas demain à Paris, de façon à ce que nous nous entendions aujourd'hui sur les recommandations que vous pouvez avoir à me faire.

—Moi des recommandations à te faire, mon cher Fourcy, vraiment ce serait bien drôle.

—C'est l'anniversaire de notre mariage, et pour nous c'est la grande fête de la famille; nous célébrerons demain cette fête après vingt ans de mariage, avec autant de joie que nous l'avons célébrée après notre première année, et même avec un bonheur plus complet encore, puisque nos enfants s'associeront à nous.

—Sais-tu que tu es un homme unique au monde, mon brave Jacques; ce que je n'ai jamais rencontré: pleinement heureux et digne de son bonheur; je t'admire encore plus que je ne t'envie; j'admire ton existence entre une femme que tu aimes comme si tu avais vingt ans et des enfants qui sont aussi bons que charmants; j'admire la sagesse de ta vie et la modération de ton caractère; et cela je peux dire que je l'envie autant que je l'admire.

Puis tout à coup, changeant de ton, comme s'il obéissait à une pensée qui venait de se présenter à son esprit;

—Et en quoi consiste cette fête d'anniversaire? demanda-t-il.

—Le matin un landau viendra nous prendre à Nogent et nous conduira au restaurant Gillet, à l'entrée du bois de Boulogne; c'est là que s'est fait notre dîner de noces quand je n'étais encore que caissier, et nous allons y déjeuner une fois tous les ans, ma femme, nos deux enfants et moi ce jour même de notre anniversaire; c'est par là que commence notre fête, puis ensuite nous faisons une promenade en voiture dans le bois et autour du lac comme nous en avons fait une le jour de notre mariage, nous passons aux endroits où nous avons passé; c'est un pèlerinage. «Te souviens-tu?» et nous remontons de vingt ans en arrière.

—Si on pouvait y rester.

—Nous n'y tenons pas; notre présent est aussi heureux que l'a été notre passé et pour moi ma femme a toujours les seize ans qu'elle avait à l'époque de notre mariage. Notre promenade faite, nous rentrons grand train à la maison pour recevoir nos amis qui viennent nous apporter leurs compliments et dîner avec nous.

—Alors, la table est complète?

—Avec toutes ses rallonges, oui, cependant nous n'avons que nos amis intimes auxquels se joindront cette année votre fils puisqu'il est notre hôte, et aussi le marquis Collio.

—De sorte que si je te demandais une place à cette table, il serait impossible de me la trouver.

—Vous, monsieur Amédée!

—Et pourquoi pas?

Fourcy était manifestement sous le coup d'une profonde émotion, d'un trouble de joie; il attendit quelques secondes avant de répondre:

—Parce qu'il est des faveurs qu'on désire vivement, dit-il enfin d'une voix vibrante, mais que précisément pour cela on n'ose pas solliciter.

—Laisse-moi te dire, mon bon Jacques, que tu me traites beaucoup trop cérémonieusement. Pourquoi ne m'as-tu jamais invité chez toi? Tu vas me répondre: «Pourquoi n'êtes-vous jamais venu?» Et tu auras raison, au moins jusqu'à un certain point. Mais comment veux-tu que dans le tourbillon qui m'emporte j'aie le temps de faire ce que je désire? Je vais où la fantaisie de l'heure présente m'entraîne et jamais où j'avais décidé la veille d'aller. Voilà comment jusqu'à présent je n'ai jamais pu te faire ma visite à Nogent. Maintenant qu'une bonne occasion se présente, je la saisis au passage, et si tu veux de moi, demain je serai ton convive, avec tes autres amis.

Fourcy se leva vivement et venant à M. Charlemont, il lui prit les deux mains qu'il serra avec effusion.

—Ne suis-je pas ton plus vieil ami, dit M. Charlemont, et ne devrais-tu pas agir avec moi sans cette réserve et cette discrétion que tu apportes dans nos relations, comme si tu étais encore le petit Jacques; ne sommes-nous pas associés?

Puis, s'arrêtant sur ce mot, mais pour reprendre aussitôt:

—Puisque ce mot est prononcé entre nous, je te préviens que mon intention est que désormais il soit une réalité; si cette maison a repris un peu de son ancienne prospérité, c'est à toi qu'elle le doit, car entre mes mains elle aurait fini par s'effondrer. Il est juste que celui qui l'a relevée et qui la soutient participe aux bénéfices qu'elle donne. A partir du 1er janvier prochain tu auras donc une part dans les bénéfices qu'elle produit, et cela dans une proportion que nous discuterons et que nous arrêterons ensemble. Pour aujourd'hui je n'ai voulu que poser le principe.

L'émotion de Fourcy était si vive qu'elle l'empêcha de trouver des paroles pour traduire ce qui se passait en lui: l'associé de la maison Charlemont, lui le petit Jacques, le fils du garçon de bureau!

M. Charlemont s'était levé et au moment où Fourcy allait enfin pouvoir exprimer ses sentiments de reconnaissance et de joie il lui coupa la parole:

—A demain, dit-il.

—Mais, monsieur, vous me laisserez bien…

—Rien, dit-il, à demain, je suis pressé.

Et il partit sans rien vouloir entendre, marchant gaillardement en chantonnant.

Une femme d'argent

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