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IV

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Table des matières

C'était après la guerre que Fourcy avait acheté sa maison de Nogent.

En se promenant un dimanche avec sa femme et ses deux jeunes enfants, pour visiter les positions occupées par les armées et se rendre compte par les yeux des combats dont ils avaient lu ou entendu les récits, ils étaient entrés dans une propriété où l'on avait établi une batterie.

C'était dans la grande rue: au milieu des maisons, ils avaient trouvé une allée ouverte entre deux murs garnis de lierre du haut en bas, et en la suivant, ils étaient arrivés sur une pelouse qui s'étalait entre des communs et une grande maison de belle apparence, sans trop savoir où ils allaient, et surtout sans se douter de la vue qu'ils allaient rencontrer là: à leurs pieds, ils avaient la Marne, dont le cours, gracieusement arrondi, était dessiné par une double ligne d'arbres, qui, çà et là, au caprice des branches et du feuillage, ouvrait des perspectives changeantes sur les eaux miroitantes de la rivière: à leur gauche le viaduc du chemin de fer passant à travers les cimes des peupliers; à leur droite, le village de Joinville se profilant nettement sur le ciel: enfin en face d'eux, au delà des prairies, les coteaux qui montent doucement pour aller finir d'un côté à Noisy et de l'autre à Chennevières, se perdant dans des profondeurs vaporeuses.

On était au printemps et il faisait une de ces journées de bonne chaleur et de lumière gaie où l'on se sent heureux de vivre; après être restés enfermés pendant huit mois privés d'air et de verdure, cette sortie dans la campagne avec un horizon où les yeux s'enfonçaient librement, était une griserie pour eux.

Tandis que le mari et la femme, assis sur un arbre abattu dans les herbes, regardaient le panorama qui se déroulait devant leurs yeux, les enfants jouaient dans le jardin à escalader à quatre pattes les épaulements de la batterie ou à courir à travers les gazons coupés d'ornières, creusées par les caissons et les prolonges.

Élevée au milieu d'une pelouse à l'un des angles de la maison, celui-là même d'où la vue s'étendait librement sur les coteaux opposés, cette batterie avait naturellement attiré les obus prussiens, dont quelques-uns avaient atteint la pauvre maison, éventrant la toiture et déchirant sa façade.

Comme il n'y avait rien à prendre dans cette maison abandonnée et pillée plusieurs fois, elle était ouverte à tous venants sans qu'il y eût là un jardinier ou un concierge pour la garder; cependant elle était à l'intérieur moins dévastée que bien d'autres, et cela précisément parce qu'elle avait été exposée au bombardement, les obus allemands lui ayant été plus cléments que ne l'eussent été les francs tireurs ou les mobiles s'ils l'avaient occupée. Ainsi, les portes, les lambris, les parquets n'étaient point brûlés, les marbres des cheminées n'étaient point tailladés à coups de sabre, les glaces n'étaient point percées de trous de balles et les pièces où n'avaient point pénétré les éclats d'obus étaient à peu près intactes.

Justement ces lambris et ces cheminées étaient fort jolis, car la maison datait de la fin du dix-huitième siècle, et tout ce qui était décoration avait été traité dans le goût de l'époque; il y avait là des chambranles, des moulures, des dessus de porte en marbre et en bois qui étaient des oeuvres d'art charmantes.

La visite de M. et madame Fourcy avait été longue, non pas que Fourcy prêtât grande attention à ces sculptures,—il ne connaissait rien aux oeuvres d'art; non pas que madame Fourcy se donnât la peine de les admirer—elle ne s'intéressait ordinairement qu'aux choses qui lui appartenaient ou dont elle pouvait tirer parti, mais parce que la maison était vaste, distribuée en pièces nombreuses avec de petits cabinets, des coins et des recoins, et aussi parce qu'ils éprouvaient un certain plaisir, dont ils ne se rendaient pas bien compte, à se promener dans ces appartements sonores où retentissait le bruit de leurs pas et de leurs voix.

Enfin, ils étaient sortis; alors l'idée leur était venue de parcourir les jardins dont ils n'avaient vu que l'ensemble; ils étaient assez étendus, ces jardins, et divisés en deux parties: l'une, la plus voisine de la maison, dessinée en pelouse et en bosquets, avec des allées de vieux arbres; l'autre, inclinée vers la rivière, partagée en carrés réguliers et en plates-bandes de potager avec des arbres fruitiers en ce moment blancs de fleurs.

Lorsqu'ils étaient arrivés à l'extrémité de ce potager ils avaient trouvé une vieille femme à genoux dans un carré et coupant avec une faucille un gros paquet d'herbes, et cela non pour nettoyer ce jardin abandonné, mais pour en nourrir sa vache.

—C'est-y que vous voudriez acheter la propriété? avait demandé la vieille en les regardant curieusement.

—Elle est donc à vendre?

—Elle y est et elle n'y est pas; c'est-à-dire que la propriétaire voudrait bien la garder, mais elle n'aura jamais les moyens de la remettre en état; pour lors il faudra bien qu'elle la vende.

Ils n'avaient pas continué la conversation et quittant le village ils étaient descendus au bord de la rivière qu'ils avaient longée; Fourcy ne parlant pas et paraîssant réfléchir.

Tout à coup il s'était arrêté et se tournant vers sa femme:

—Si nous l'achetions.

—Acheter quoi?

—La maison.

Et montrant la façade qu'on apercevait à travers les branches:

—Regarde donc comme elle a bon air et dans quelle admirable situation elle se trouve.

—Acheter une maison à Nogent, quelle idée!

—Et pourquoi acheter une maison à Nogent est-il une plus mauvaise idée qu'en acheter une à Saint-Cloud?

—Parce que Saint-Cloud est autrement habité.

Il n'avait point répliqué, mais le lendemain soir au dîner il avait raconté qu'il était revenu à Nogent et que décidément la maison lui plaisait tout à fait; elle était à vendre et en pourrait l'avoir pour un bon prix: sans doute, il y aurait des réparations, mais elles ne seraient pas ce qu'on pouvait croire après un premier examen; il avait amené avec lui un architecte qui lui avait donné un devis approximatif; enfin, toutes les raisons justificatives qu'on trouve aisément et qui abondent lorsqu'on est sous le coup d'un violent désir.

—Si tu voulais la revoir, tu me ferais plaisir.

—Alors, je la verrai demain.

Le lendemain, en effet; elle l'avait visitée de nouveau, mais cette fois dans des dispositions autres que la première; par le fait que ces marbres et ces boiseries pour lesquels elle n'avait eu qu'un coup d'oeil indifférent, pouvaient lui appartenir, ils avaient pris le mardi une importance qu'ils n'avaient pas eue le dimanche et elle leur avait trouvé des mérites qu'elle n'avait pas tout d'abord aperçus; le point de vue aussi lui avait révélé des beautés qui lui avaient échappé, et Nogent n'avait plus été trop inférieur à Saint-Cloud.

Évidemment on pouvait tirer parti de cette vaste maison construite à une époque où le prix des matériaux et de la main-d'oeuvre permettait des développements que de nos jours des millionnaires seuls peuvent se payer: elle avait grand air.

En rentrant le soir et en retrouvant son mari qui l'attendait impatiemment, madame Fourcy n'avait rien dit de cette dernière considération, mais elle avait reconnu que les objections qui s'étaient présentées le dimanche contre cette maison de Nogent n'existaient plus: pour les enfants il était bien certain qu'elle avait des avantages.

—Et pour nous n'en a-t-elle pas? crois-tu que ce n'est pas pour moi un vif, un très vif chagrin de n'avoir pas encore pu t'offrir une maison de campagne digne de toi: sans doute depuis quelques années déjà nous aurions pu acheter quelque maisonnette, mais je ne veux pas que tu demeures dans une maisonnette, où tu serais à l'étroit et qui ne serait pas un cadre convenable pour ta beauté; celle de Nogent est ce qu'il te faut; je te vois venir au devant de moi sous l'allée de tilleuls quand je rentrerai, et je te vois aussi avec ton ombrelle, assise comme une châtelaine sur la terrasse en face de la Marne; tu seras là à ta place; tu sais bien que si j'ai jamais souhaité la fortune, ça été pour toi, pour le faire une niche qui ne soit pas indigne de ma divinité.

—Bon Jacques!

—Est-ce qu'il y a une plus grande joie au monde que de travailler pour sa femme et ses enfants? Voilà une satisfaction dont les riches sont privés.

—Ils en ont d'autres.

—Sans doute, mais ils n'ont pas celle-là qui vaut bien les autres.

—Enfin comment la payer cette maison; as-tu l'argent?

—Je l'aurai.

—Tu l'aurais bien mieux si, au lieu de travailler exclusivement pour ta banque, tu avais voulu comme je te l'ai demandé cent fois travailler un peu pour toi.

—Je n'étais pas mon maître, je me devais à celui qui m'employait.

—Tu m'as dit cela vingt fois.

—Il faut bien que je te le dise encore puisque tu y reviens.

—Je n'y reviens que parce que tu vas te trouver en présence d'embarras qui ne te gêneraient pas à cette heure si tu avais voulu.

—Si j'avais pu; en faisant des affaires pour mon compte, j'aurais mal fait celles de la banque Charlemont.

—Ne discutons pas cela; dis-moi seulement comment tu espères payer cette maison.

—Si elle n'est pas vendue plus de cent mille francs, comme j'ai tout lieu de l'espérer, cela me sera facile, et même je pourrai faire faire les réparations sans lésiner; seulement nous serons pris de court pour l'ameublement; mais en nous tenant dans une sage réserve, surtout en allant lentement, nous arriverons, nous serons à la campagne, non à Paris; il y a de si jolies choses à bon marché.

—Donne-moi le soin de l'ameublement, laisse-moi faire comme je voudrai, et, de mon côté, je te laisse toute liberté pour l'acquisition et les réparations: livre-moi la maison, je la meublerai sans beaucoup dépenser.

—Comment?

—Tu verras cela: le beau ne se trouve pas réuni au bon marché dans le neuf; pour l'avoir, il faut attendre des occasions, laisse-moi les chercher.

Une femme d'argent

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