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Elle les avait cherchées ces occasions. Elle les avait trouvées.

A partir du jour où l'achat de la maison de Nogent avait été réalisé et où les réparations avaient commencé, madame Fourcy n'avait plus été chez elle.

Où était-elle du matin au soir?

A chercher les occasions qui devaient lui permettre de meubler sa maison de campagne avec goût et aussi avec économie.

Il n'est pas difficile au riche de trouver de belles choses; dix magasins les lui offrent avant qu'il ait parlé: il n'a qu'à choisir et à payer; et encore paye-t-il plus souvent qu'il ne choisit.

Mais quand l'argent ne répond ni aux suggestions du désir ou de la fantaisie, ni aux exigences du goût ou aux besoins du moment, c'est une tout autre affaire.

Il faut chercher.

Il faut remplacer l'argent par le flair et la peine.

Fourcy n'avait donc pas été surpris des fréquentes absences de sa femme; elle était en quête de quelque curiosité, elle travaillait pour les siens comme il travaillait lui-même, cela était tout naturel à ses yeux.

Il est vrai que, comme il n'avait jamais eu le goût de la curiosité ni du bibelot, il aurait mieux aimé qu'au lieu de se donner tant de peine elle se contentât de choses simples et ordinaires qu'on aurait trouvées ou commandées chez les marchands: en meubles chez les ébénistes du faubourg Saint-Antoine, en étoffes dans les magasins de nouveautés; mais il ne lui avait jamais fait d'observations à ce sujet; elle lui avait cédé en consentant à habiter Nogent; n'était-il pas juste qu'il cédât maintenant aux désirs qu'elle pouvait avoir. D'ailleurs pourquoi l'eût-il contrariée, alors surtout que cette question d'ameublement était pour lui de si peu d'importance? La maison, sa vue, sa situation, oui cela le touchait et beaucoup, mais un meuble, une étoile, cela lui était tout à fait indifférent, le plus souvent même il ne remarquait pas les nouvelles acquisitions de sa femme.

Ce qui eût provoqué son attention, c'eût été le prix de ces acquisitions s'il avait été excessif, mais au contraire il avait toujours été d'une extrême modération et tel qu'on ne pouvait être qu'émerveillé de la chance avec laquelle elle avait ces bonnes occasions, et de l'habileté avec laquelle elle en avait profité; mais quoi d'étonnant à cela, ne réussissait-elle pas tout ce qu'elle entreprenait?

Elle avait si bien réussi cette affaire de l'ameublement de leur maison de Nogent, qu'en moins de deux ans cette maison était devenue une sorte de musée de choses curieuses et même précieuses.

Ainsi, dans l'entrée on trouvait une suite de tapisseries flamandes du dix-septième siècle à personnages mythologiques, encadrées de bordures à médaillons représentant des oiseaux, admirables de conservation,—des vases en porcelaine de Chine, de Saxe et de Sèvres;—des tables-consoles avec dessus en mosaïque;—des chaises portugaises, à fond de cuir.

Si les tapisseries de l'entrée étaient superbes, celles du grand salon étaient dignes d'un palais: signées Audran et exécutées aux Gobelins, elles représentaient des scènes tirées d'Esther. On sait combien sont rares les tapisseries de ce genre. Mais plus rare encore était le tapis étendu sur le parquet; c'était un tapis d'Orient d'une haute antiquité sans qu'il fût possible de lui attribuer une date certaine, aux couleurs bien éteintes par conséquent, à la laine bien usée et tellement que par places on voyait la trame, mais ce qui en plus de cette vénérable antiquité en faisait le mérite et la curiosité, c'étaient des armoiries dessinées aux quatre angles Comment des armoiries d'un chef féodal se trouvaient-elles sur un tapis fabriqué en Orient, depuis cinq ou six siècles? C'était là une question que ne se posaient point la plupart de ceux qui regardaient ce vieux tapis, mais qui intéressait vivement ceux qui étaient en état de l'étudier.

Dans la salle à manger, ce n'étaient point des tapisseries qui recouvraient les murs, mais des cuirs de Cordoue à fond d'argent et à feuillage d'or, qui formaient une noble décoration que complétaient bien un ancien lustre hollandais en cuivre et des portières en vieux velours de Gênes grenat sur fond bouton d'or. L'escalier qui montait droit au premier étage continuait dignement l'entrée: au bas deux Sirènes de grandeur naturelle, et qui semblaient avoir été sculptées et peintes d'après un modèle de Paul Véronèse, tenaient dans leurs bras des candélabres en verre de Venise: elles reposaient sur des socles en brèche africaine, tandis que des portières et des cantonnières en brocatelle les enveloppaient à demi; de place en place en montant, des fanaux en bois sculpté et doré provenant de quelque ancienne galère, et sur le palier une couple de grands vase Médicis en porcelaine de Sèvres.

Mais cet ameublement n'était pas combiné pour la seule ostentation; dans les appartements où ne pénétraient que les intimes on retrouvait les même choses de choix, collectionnées et disposées avec le même goût artistique.

Dans la chambre du mari et dans celle de la femme, tendue en damas de soie bleue avec lit et meubles Louis XV; dans celles des enfants, dans celles à donner, dans les boudoirs, les cabinets de toilette, la salle de billard, enfin partout c'était le même entassement de beaux meubles et de belles étoffes: tenture, rideaux, lambrequins, tapis, consoles, tables, vitrines pleines d'objets précieux, sièges, porcelaines, faïence, lustres, lampadaires.

Comment avait-on pu se procurer tout cela?

C'était la question que se posaient ceux qui visitaient ce curieux musée.

Comment la femme d'un employé de banque, si gros que fussent les appointements de cet employé, avait-elle pu acheter ces richesses artistiques?

C'était une autre question que se posaient ceux qui connaissaient la situation et les ressources de Fourcy.

Mais pour Fourcy lui-même, il ne se posait ni celle-ci ni celle-là: sa femme avait autant de chance que d'habileté, voilà tout; et ce tout était aussi simple que naturel: n'y a-t-il pas des gens qui ne font que de bonnes affaires quand d'autres n'en font que de mauvaises? Il voyait cela chaque jour autour de lui; sa femme était au nombre de ceux qui n'en font que de bonnes; pour qu'il s'étonnât il eût fallu que c'eût été le contraire qui se fût produit, et dans ce cas il ne l'eût très probablement pas cru: sa femme ne pas faire mieux que les autres en toutes choses, allons donc! c'était impossible.

Pour ceux qui ne partageaient pas cette confiance maritale, la question était restée posée et bien souvent elle avait été agitée sans qu'on arrivât jamais à se mettre d'accord sur une réponse satisfaisante.

—Fourcy n'a pas de fortune, n'est-ce pas?

—Il a ses appointements.

—Qu'il gagne trente mille francs, quarante mille francs si vous voulez, ce n'est pas avec cela qu'il peut faire face à ses dépenses: deux maisons, une à Paris, l'autre à la campagne; les toilettes de madame qui sans être ruineuses sont toujours élégantes et fraîches, l'éducation et l'entretien des enfants, la vie de tous les jours qui sans être follement dispendieuse chez eux est large cependant, tout cela prélevé que reste-il pour l'achat de ce mobilier?

—On m'a dit que le tapis du salon qui est tout usé…

—Celui qui a des armoiries aux quatre coins?

—Justement, on m'a dit qu'il valait plus de vingt mille francs.

—Valait… c'est un mot; mais ce qu'il a coûté, c'est une autre affaire.

—En tous cas, c'est une idée singulière, vous en conviendrez, d'avoir sur un meuble qui vous appartient des armoiries qui ne sont pas à soi.

—Les Fourcy n'ont pas d'armoiries, que je sache.

—Alors, pourquoi achètent-ils des tapis armoriés?

—Et la tapisserie des Gobelins?

—Et la tenture en cuir de la salle à manger?

—Et les statues en bois de l'escalier, celles qui tiennent un candélabre?

—On m'a dit qu'il y en avait du même genre chez un marchand de la rue

Bonaparte qui valent dix mille francs.

—Pourquoi madame Fourcy ne veut-elle jamais indiquer ses marchands?

—Elle a peur qu'on lui souffle ses occasions.

—Croyez-vous à ces occasions?

—Et vous?

—J'ai entendu les mettre en doute.

—Eh bien, alors?

—Alors elles seraient encore meilleures que madame Fourcy ne le dit: ce qu'on ne paye pas du tout, coûtant encore moins cher que ce qu'on paye bon marché.

—Est-ce possible?

—Je n'en sais rien; c'est ce que j'ai entendu dire par des gens qui, ne pouvant pas s'expliquer autrement cette acquisition de meubles de grand prix, supposent qu'il n'y a pas acquisition, mais donation.

—C'est invraisemblable.

—Elle est assez belle encore pour qu'on fasse des folies pour elle.

—Ce n'est pas cela que je veux dire, je proteste seulement contre la supposition qu'une femme comme madame Fourcy, une honnête femme, qui a le meilleur des maris, qui aime ses enfants, peut faire le métier d'une cocotte.

—Protestez, c'est très bien, mais alors expliquez.

—Quel serait cet amant généreux?

—Il y en aurait plusieurs.

—Qui?

—On nomme le père Ladret.

—Allons, un bonhomme de soixante-douze ans, un phoque, aussi laid que grossier.

—Tout ce que vous voudrez, mais assez riche pour se passer toutes ses fantaisies et ne pas compter.

—Eh bien, pour moi je n'admettrai jamais cela; je crois madame Fourcy une honnête femme, je crois qu'elle aime son mari qui l'adore, et je crois qu'elle a le respect de ses enfants.

—Alors comment expliquez-vous ses dépenses?

—Par des spéculations heureuses; puisqu'on cherche des raisons coupables pour expliquer sa liaison avec le vieux Ladret, pourquoi n'en cherche-t-on pas d'honnêtes pour expliquer son intimité avec La Parisière qui est à la Bourse et qui peut tout aussi bien faire les affaires de madame Fourcy qu'il fait celles d'autres personnes?

—S'il en est ainsi, pourquoi ne le dit-elle pas?

—Parce que Fourcy ne lui permettra certes pas de jouer à la Bourse.

—C'est une explication, j'en conviens, mais Ladret aussi en est une; laquelle est bonne? la question reste posée.

—Pas pour moi.

Une femme d'argent

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