Читать книгу Baccara - Hector Malot - Страница 10

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Elle avait toujours à côté d'elle une forte canne avec laquelle elle faisait avancer ou reculer son fauteuil, quand elle ne voulait point appeler pour qu'on le roulât; elle la prit, et, d'une main encore vigoureuse, elle frappa le parquet avec une énergie qui disait celle de sa volonté.

—Il doit être écrasé.

Et de plusieurs coups de canne elle sembla vouloir écraser un être vivant, le père Eck, sans doute, ou son neveu, plutôt qu'une chose idéale—ce mal qui l'enflammait.

Adeline aimait sa vieille mère autant qu'il la respectait; aussi, lorsqu'elle abordait la question religieuse, tâchait-il toujours, lorsqu'il ne pouvait pas céder, de laisser tomber la conversation ou de la détourner. A quoi bon discuter? il savait qu'il ne lui ferait rien abandonner de ses idées; et d'autre part, il ne voulait pas prendre des engagements qu'il ne tiendrait pas. Mais en ce moment ce n'était pas une discussion plus ou moins théorique qui était soulevée, c'était une affaire personnelle, qui pouvait être la plus grave pour sa fille—celle de sa vie même.

—Je t'en prie, Maman, dit-il avec douceur, ne te laisse pas emporter par ton premier mouvement; avant de juger la demande de M. Eck injurieuse, sachons dans quelles conditions elle se présente.

—Toujours les conditions, les circonstances atténuantes.

Sans répondre à sa mère, il s'adressa à sa femme:

—Hortense, dis-nous ce qui s'est passé dans ton entretien avec M. Eck.

Il fit un signe furtif à sa femme pour qu'elle allongeât son récit autant qu'elle le pourrait: pendant ce temps, sa mère se calmerait sans doute.

Madame Adeline comprit ce que son mari voulait et rapporta à peu près textuellement les paroles de M. Eck.

Mais la Maman ne la laissa pas aller sans l'interrompre; aux premiers mots elle lui coupa la parole:

—Tu vois que ces juifs se rendent justice et qu'ils sentirent la répulsion qu'ils inspiraient en venant s'établir ici pour ruiner d'honnêtes gens par la concurrence.

—Je t'en prie, Maman, permets qu'Hortense continue, ou nous ne saurons rien.

Madame Adeline reprit, mais presque tout de suite la Maman interrompit encore:

—Vois-tu ta main ouverte! qu'avais-tu besoin de leur tendre la main! tout le mal vient de toi et de ton discours; ah! si tu m'avais écouté!

Quand madame Adeline appuya sur l'estime que tous les Eck et tous les Debs professaient pour Adeline, la Maman secoua la tête en murmurant:

—L'estime de ces gens-là! voilà une belle affaire vraiment! il n'y pas de quoi se rengorger comme tu le fais.

Madame Adeline continua lentement et la Maman fit des efforts pour se contenir; mais quand sa bru répéta les paroles même qui avaient été la conclusion du père Eck: «Est-ce que ce serait une mauvaise raison sociale: Eck et Debs-Adeline. Le vieil arbre repousserait avec des rameaux nouveaux», elle poussa un cri d'indignation:

—Et vous n'avez pas vu, vous, que ces juifs veulent s'emparer de notre maison! la fille, ils en ont bien souci; c'est le nom qu'ils veulent, c'est la maison qu'il leur faut.

Après cette explosion, il y eut un moment de silence: la Maman tenait les yeux fixés sur le plancher et paraissait suivre sa pensée, agitant ses lèvres sans former des mots distincts. Tout à coup elle prit la main de son fils violemment:

—Constant, la vérité: on me la cache ici, ta femme, toi-même. Maintenant il faut parler. Comment vont tes affaires? Tu es donc bien malade que ces gens pensent pouvoir hériter de toi?

Il hésita un moment en regardant sa femme:

—Ce n'est pas de ta femme qu'il faut prendre conseil, c'est de ton coeur, de ta conscience; je t'interroge, ne répondras-tu pas à ta mère?

Il hésita encore.

—C'est vrai ce que je crains? dit-elle doucement, tendrement.

—Oui.

Baccara

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