Читать книгу Baccara - Hector Malot - Страница 15
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ОглавлениеDe l'endroit où ils s'étaient arrêtés en plein bois, ils apercevaient de petites colonnes de fumée bleuâtre qui montaient droit à travers les branches nues des grands arbres.
—Nous voici arrivés, dit Adeline! je vais voir où en sont les bûcherons, et tout de suite nous rentrerons à Elbeuf, de façon à ce que je puisse aller ce soir même chez M. Eck.
Sous bois on entendait des coups de hache et de temps en temps des éclats de branches avec un bruit sourd sur la terre qui tremblait,—celui d'un grand arbre abattu.
—Il fallait faire de l'argent, dit-il en arrivant dans la vente où les bûcherons travaillaient; malheureusement les bois se vendent si mal maintenant!
Il eut vite fait d'inspecter le travail des ouvriers et ils revinrent rapidement au château, où tout de suite les chevaux furent attelés. Il n'était pas trois heures; ils pouvaient être à Elbeuf avant la nuit.
Pendant tout le chemin, Adeline reprit le bilan qu'il avait fait le matin en venant; seulement il le reprit dans un sens contraire: en allant au Thuit, tout était compromis; en rentrant à Elbeuf, rien n'était désespéré, loin de là. Et il entassait preuves sur preuves pour démontrer qu'avec du temps il trouverait la dot qu'on offrirait au père Eck.
—Elle ne sera peut-être pas ce qu'il croit, mais enfin elle sera suffisante pour qu'il ne puisse pas se retirer. Tu verras, ma chérie, tu verras.
Et il énumérait ce qu'elle verrait. Ce n'était pas seulement la situation de la maison d'Elbeuf qui devait s'améliorer; à Paris on lui avait proposé d'entrer dans de grandes affaires où ses connaissances commerciales pouvaient rendre des services, et il avait toujours refusé, parce qu'il voulait se tenir à l'écart de tout ce qui touchait à la spéculation; il accepterait ces propositions; le temps des scrupules était passé; ces affaires étaient honorables, c'était par excès de délicatesse, c'était aussi par amour du repos et de l'indépendance qu'il n'avait point voulu s'y associer; il ne penserait plus à lui; il ne penserait qu'à elle; le premier devoir du père de famille, c'est d'assurer le bonheur de ses enfants, et il n'est pas de devoir plus sacré que celui-là. A plusieurs reprises aussi on avait mis son nom en avant pour des combinaisons ministérielles, et toujours par amour du repos et de l'indépendance il s'en était retiré. Maintenant il se laisserait faire: fille de ministre, c'était un titre à mettre dans la corbeille de mariage.
Berthe écoutait suspendue aux yeux de son père, son coeur serré se dilatait, l'espérance, la foi en l'avenir lui revenaient: il ne pouvait pas se tromper; ce qu'il disait, il le ferait; ce qu'il promettait se réaliserait. Elle renaissait. Était-elle une femme d'argent, était-elle désintéressée? Elle n'en savait rien, n'ayant jamais eu à examiner ces questions. Mais le coup qui l'avait frappée le matin l'avait anéantie, et ç'avait même été pour ne pas trahir le trouble de ses pensées qu'elle avait tenu à avoir à sa table ses deux filleuls. S'occupant d'eux, elle pouvait ne point penser à elle.
Lorsque madame Adeline les vit revenir, elle fut surprise de ce retour si prompt, ne les attendant que pour dîner.
—Déjà!
Cela ne pouvait qu'augmenter son impatience de savoir ce qui s'était dit entre le père et la fille, mais malgré l'envie qu'elle en avait, il lui était impossible d'interroger son mari, la Maman étant là dans son fauteuil.
—Comme tu es mouillé! dit-elle en le regardant; il faut changer de chaussures, je vais monter avec toi.
Aussitôt qu'ils furent dans leur chambre, elle ferma la porte:
—Eh bien?
—Elle l'aime.
—Elle te l'a dit?
—Elle a fait mieux que de me le dire, elle me l'a avoué dans un cri de douleur en voyant qu'elle pouvait ne pas devenir sa femme.
—Est-ce possible! s'écria-t-elle avec stupeur.
—Il faut t'habituer à ne plus voir en elle une enfant, c'est une jeune fille.
Il rapporta tout ce qui s'était dit entre Berthe et lui.
—Et maintenant? demanda madame Adeline, bouleversée.
Il expliqua son plan.
—Et après? quand nous aurons gagné du temps, le mariage sera-t-il assuré?
—Il sera facilité.
—Je t'en prie, Constant, réfléchis avant d'abandonner la vie qui a été la tienne jusqu'à ce jour: tu n'es pas l'homme des affaires de spéculation; tu as trop de droiture, trop de loyauté.
—Crois-tu que je m'aventurerais et ne prendrais pas toutes les garanties?
—Et toi, crois-tu donc que les coquins ne sont pas plus forts que les honnêtes gens? serais-tu le premier qui, malgré son intelligence et sa prudence, se laisserait tromper et entraîner.
—Faut-il donc ne rien faire? Sois bien certaine que je n'accepterai que des affaires sûres.
—Ce ne sont pas les affaires sûres qui donnent les gros gains.
—Enfin, je te promets de ne rien entreprendre sans te consulter; j'ai laissé passer des centaines d'occasions qui nous auraient donné une fortune considérable, je veux profiter de celles qui se présenteront maintenant, voilà tout.
—Le temps est passé des belles occasions; tu le sais mieux que moi.