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II

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L’embarquement de mon père devait durer trois années, il en dura six: l’état-major fut successivement remplacé, mais l’équipage tout entier resta dans le Pacifique jusqu’au jour où la frégate menaça de couler bas.

J’avais dix ans lorsqu’il revint au pays.

C’était un dimanche, après la grand’messe; j’étais sur la jetée pour voir rentrer la patache de la douane. A côté du timonier, on apercevait un marin de l’État; on le remarquait d’autant mieux qu’il était en tenue et que les douaniers étaient en vareuse de service. Comme tous les jours au moment de la marée, la jetée avait son public ordinaire de vieux marins, qui, par n’importe quel temps, soleil ou tempête, arrivaient là deux heures avant le plein de la mer pour ne s’en aller que deux heures après.

— Romain, me dit le capitaine Houel en abaissant sa longue-vue, voilà ton père. Cours au quai si tu veux y être avant lui.

Courir, j’en avais bonne envie: mais j’avais les jambes comme cassées. Quand j’arrivai au quai, la patache était accostée et mon père était débarqué ; on l’entourait en lui donnant des poignées de main. On voulait l’emmener au café pour lui payer une mocque de cidre.

— A ce soir, dit-il; ça me presse d’embrasser ma femme et mon mousse.

— Ton mousse! tiens, le voilà.

Le soir, le temps se mit au mauvais; mais on ne se releva pas à la maison pour allumer un cierge.

Pendant six années de voyage, mon père avait vu bien des choses, et j’étais pour lui un auditeur toujours disposé. En apparence impatient et rude, il était, au fond, l’homme le plus endurant, et il me racontait avec une inaltérable complaisance non ce qui lui plaisait, mais ce qui plaisait à mon imagination d’enfant.

Parmi ses récits, il y en avait un que je ne me lassais pas d’entendre et que je redemandais toujours: c’était celui où il était question de mon oncle Jean. Pendant une relâche à Calcutta, mon père avait entendu parler d’un général Flohy, qui était en ambassade auprès du gouverneur anglais. Ce qu’on racontait de lui tenait du prodige. C’était un Français qui était entré comme volontaire au service du roi de Berar; dans une bataille contre les Anglais, il avait par un coup hardi sauvé l’armée indienne, ce qui l’avait fait nommer général; dans une autre bataille, un boulet lui avait enlevé la main; il l’avait remplacée par une en argent, et quand il était rentré dans la capitale, tenant de cette main les rênes de son cheval, les prêtres s’étaient prosternés devant lui et l’avaient adoré, disant que dans les livres saints il était écrit que le royaume de Berar atteindrait son plus haut degré de puissance lorsque ses armées seraient commandées par un étranger venu de l’Occident, que l’on reconnaîtrait à sa main d’argent. Mon père s’était présenté devant ce général Flohy et avait été accueilli à bras ouverts. Pendant huit jours, mon oncle l’avait traité comme un prince, et il avait voulu l’emmener dans sa capitale; mais le service était inexorable, il avait fallu rester à Calcutta.

Cette histoire produisit sur mon imagination l’impression la plus vive: mon oncle occupa toutes mes pensées, je ne rêvai qu’éléphants et palanquins; je voyais sans cesse les deux soldats qui l’accompagnaient portant les mains d’argent; jusqu’alors j’avais eu une certaine admiration pour le suisse de notre église, mais ces deux soldats qui étaient les esclaves de mon oncle me firent prendre en pitié la hallebarde de fer et le chapeau galonné de notre suisse.

Mon père était heureux de mon enthousiasme; ma mère en souffrait, car avec son sentiment maternel elle démêlait très-bien l’effet que ces histoires produisaient sur moi:

— Tout ça, disait-elle, lui donnera le goût des voyages et de la mer.

— Eh bien! après? Il fera comme moi, et pourquoi pas comme son oncle?

Faire comme mon oncle! mon pauvre père ne savait pas quel feu il allumait.

Il fallut bien que ma mère se résignât à l’idée que je serais marin; mais dans sa tendresse ingénieuse elle voulut au moins m’adoucir les commencements de ce dur métier. Elle décida mon père à abandonner le service de l’État; quand il aurait un commandement pour l’Islande, je ferais mon apprentissage sous lui.

Par ce moyen, elle espérait nous garder à terre pendant la saison d’hiver, alors que les navires qui font la pêche rentrent au port pour désarmer. Mais que peuvent les combinaisons et les prévisions humaines contre la destinée?

Romains Kalbris

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