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CHAPITRE III

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Durant la possession française, c'est Plaisance (Placentia), sur la côte sud de l'île, qui était la capitale de Terre-Neuve. Et c'est sans doute à sa situation privilégiée que Saint-Jean doit d'avoir détrôné son ancêtre. En effet, la ville s'élève sur la côte sud-est, dans la presqu'île d'Avalon, au point le plus rapproché de l'Europe.

Je vous en ai déjà décrit l'aspect, et vous savez aussi qu'elle a un port naturel profond et abrité de tous les vents, le point le plus étroit du goulet (the Narrows) ne mesurant pas plus de six cents pieds en largeur. Le havre s'étend en longueur sur un mille et un quart et presque sur un demi-mille en largeur. Au centre, la sonde descend jusqu'à quatre-vingt-dix pieds. Tout autour des collines de cent quatre-vingts à deux cents mètres d'altitude lui permettent de dormir sans inquiétude, tandis que l'ouragan se déchaîne au large. Les navires de tout tonnage peuvent à toute heure venir s'amarrer le long de ses quais hospitaliers.

Débarquons donc, si vous y êtes disposé, et montons faire un tour en ville.

Ces débris de murailles et de fortifications que vous apercevez à l'entrée du port sont de construction française. Ce sont en effet nos compatriotes qui ont commencé cette ville aujourd'hui tout à fait anglaise, ou, pour mieux dire, terre-neuvienne. Et s'il ne reste point de traces plus nombreuses de leur possession, la cause en est le fameux incendie qui, il y a environ quarante ans, dévora Saint-Jean tout entier.

Ce terrible événement ne s'est point effacé de la mémoire de ceux qui l'ont vu, ni de celle de leurs descendants.

Il y a quelque quatre ou cinq mois, des missionnaires lazaristes étaient venus prêcher une retraite à la cathédrale. À cette occasion, un pauvre homme s'étant approché du confessionnal:—Depuis combien de temps, interrogea le Père, ne vous êtes-vous pas confessé?—Depuis le feu.—Depuis le feu?—Oui: depuis le grand feu.—Combien de temps cela fait-il à peu près?—Ah bien! trente-cinq ou quarante ans!

Parmi le peuple de Saint-Jean, le «grand feu» est comme le commencement de l'ère terre-neuvienne.

À la suite de cette catastrophe, une loi fut votée par les Chambres coloniales ordonnant que les rues principales auraient cinquante pieds de largeur, et que les maisons seraient construites en briques. La voie la plus commerçante de la ville, celle qui longe le port, fut en effet rétablie dans ces conditions. Néanmoins, dans les autres quartiers, la très-grande majorité des habitations est en bois.

Du reste, cela ne nuirait en rien à l'aspect ni à l'agrément de la ville si, par ailleurs, elle ne donnait une si large part à la critique. En été, la moindre pluie transforme les rues en marécages, et le moindre vent voltigeant dans un rayon de soleil soulève en un instant des trombes de poussière. Le pavage est chose absolument inconnue. Encore si l'on pouvait chercher refuge sur les trottoirs!

Gardez-vous-en bien. Ils sont faits de planches couchées les unes auprès des autres et pour les trois quarts pourries. Aussi, rien de plus dangereux pour un étranger que de s'y aventurer la nuit. En l'absence de la lune, la ville est à peine éclairée, et l'on ne sait si l'on ne posera le pied dans un trou ou si l'on ne buttera contre quelque obstacle imprévu.

En hiver, les rues ne sont jamais déblayées, et, suivant le caprice du temps, il faut se résigner, pour sortir, à enfoncer dans la neige ou à se tenir en équilibre sur le sol cuirassé de glace. Connaissez-vous les Alpes? Imaginez-vous une ville bâtie sur un glacier.

Tout cela vient de l'absence d'une municipalité. Et l'absence d'une municipalité vient du manque d'argent, et le manque d'argent de ce que MM. les habitants ne veulent pas payer d'impôts: et MM. les habitants ne payent pas d'impôts. Il n'y a que sur l'eau que le gouvernement a réussi à prélever une taxe. Mais sur ce point il faut convenir que rien ne laisse à désirer: l'eau coulant jour et nuit dans les maisons et sous la ville, et devenant ainsi une haute garantie de salubrité.

Que vous dire encore de la physionomie extérieure de la ville? Ses quelques monuments sont peu remarquables. Jusqu'ici, le plus vénérable, aussi bien par sa position que par ses proportions et sa richesse, est la cathédrale catholique, qui n'est d'aucun style bien défini, quoique toutes ses ouvertures soient à pleins cintres. La cathédrale protestante-anglicane, dont une partie est encore en voie de construction, ne sera pas moins vaste que la précédente; mais, malgré ses fenêtres à ogives, elle sera toujours écrasée par sa rivale dont les tours s'élèvent, imposantes, sur le point culminant de la colline.

Le palais du Parlement est une grande construction en pierres de taille avec un fronton grec. Quant au palais du gouvernement, résidence du gouverneur, ce n'est ni plus ni moins qu'une vaste bâtisse, composée d'un corps de logis flanqué à droite et à gauche d'un pavillon sans aucune prétention à aucun style.

Quoi encore? Le beau collége de Saint-Patrick, dirigé par des prêtres; l'«Athenæum Hall», belles salles de concert et de lecture. Le reste ne vaut pas la peine d'être nommé.

Vous vous attendez sans doute à ce que je vous parle aussi des quais et de la belle promenade le long de la mer? Mais, mon cher ami, n'oubliez donc pas qu'ici tout est fait pour la morue, rien pour les hommes. La rue la plus rapprochée du havre le longe sans l'apercevoir que par quelques échappées. La file des habitations et boutiques des commerçants du lieu l'en sépare. Chaque négociant a ainsi, derrière sa maison, sa calle et son quai, construits en bois sur pilotis, et qui donnent accès dans la rue par un passage sous la maison.

Maintenant que je vous ai traîné par tous les chemins de la ville, laissez-moi croire, pauvre ami! que je ne vous ai pas trop ennuyé, et venez que je vous montre l'intérieur des principaux endroits où ils vous mènent, en vous contant ce qui s'y passe..........................

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Voilà donc, sauf quelques modifications, la lettre que j'avais commencée le 1er mars 1883. Ainsi que je m'y attendais, elle n'a jamais eu de fin. Aujourd'hui, je la reprends pour l'adresser au grand public. Tiendrai-je mieux mes engagements vis-à-vis de lui? Je l'ignore. Essayons pourtant, et puissent mes efforts, s'ils aboutissent, me mériter de sa part des encouragements pour l'avenir!

Terre-Neuve et les Terre-Neuviennes

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