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I

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Une triste introduction.

Qui ne connaît, cette terrible maladie qu'on a coutume de désigner par le nom redouté de fièvre nerveuse? Qui n'a vu succomber sous son étreinte quelqu'un de ceux qui lui sont chers? Qui n'a assisté à cette affreuse lutte dans laquelle les nerfs et les vaisseaux se disputent l'avantage jusqu'à ce que le patient, le plus souvent, hélas! succombe sous l'effort? Quant à moi, ce mal formidable me rappelle maint triste souvenir. Je vois encore ces malades, les yeux éteints, les lèvres noircies, les mains desséchées comme du cuir, les doigts dans une perpétuelle agitation. Ils sont présents à mon esprit, tels que je les ai vus autrefois, plongés dans un morne et sinistre délire, silencieusement préoccupés de leurs visions, puis se relevant tout à coup dans leur lit, avec une force qu'on ne leur eût plus soupçonnée, pour se tordre ensuite en proie à des angoisses où l'animal l'emporte sur l'être intelligent. Je les vois encore dans cette fatale apathie, dans ces tristes intervalles de lucidité qui présagent la mort prochaine. Je vois encore ce lugubre appareil de sinapismes pour produire un effet révulsif, ces couvertures mouillées destinées à empêcher le retour de la crise, cette brusque et saisissante transition des débilitants aux excitants. Je sens encore le camphre et le musc gui, d'ordinaire, épouvantent si fort les assistants. J'éprouve encore cette déchirante incertitude entre l'espérance et la crainte, cette anxiété dans laquelle vous jette le commencement de chaque nuit, cet ardent désir de voir reparaître le jour, de voir arriver le médecin. J'entends encore ceux qui tiennent de près au malade demander mille fois si ce n'est pas la crise qui vient de se produire, nourrir les déplorables illusions qu'ils se créent eux-mêmes, en se félicitant de signes qui leur semblent à eux de bon augure, en regardant le médecin comme un songe-creux, en interprétant ses paroles conformément à leurs espérances,—et cela jusqu'à ce qu'enfin,—mais toujours sans qu'on s'y attende,—cette terrible vérité se confirme que la maladie ne laisse pas d'espoir, que l'impitoyable mort s'est annoncée par des indices certains.

Mais l'affreuse maladie, grâce à Dieu, éveille aussi en moi de doux souvenirs de guérison; en moi qui ai personnellement lutté contre le redoutable mal avec l'énergique vigueur de la jeunesse, et qui en ai vu d'autres, sauvés en quelque sorte du tombeau, revivre d'une vie épurée et florissante. Je me rappelle ce rétablissement de la physionomie, ce sommeil calme et réparateur qui annonce peu à peu le retour de la santé, ce premier réveil accompagné de la sensation délicieuse de la convalescence et du repos goûté, cette calme expression des yeux si longtemps désirée, cette faim qui renaît, ce jour où l'on se lève pour la première fois, et cette enfantine reconnaissance que vous inspire le premier verre de vin qui vous est offert. Oh! la santé est un inestimable trésor, mais quand on se rétablit d'une maladie on savoure de délicieuses jouissances!

Au commencement de la troisième année de mon séjour à Leyde, un jeune homme, originaire de Démérary, était venu demeurer dans mon voisinage. C'est la coutume, en pareil cas, parmi les étudiants, de se rendre visite réciproquement. Le jeune homme me plut. Il avait un caractère ouvert et sympathique et de généreux sentiments. Il gardait surtout un tendre et inaltérable souvenir de ceux qu'il avait laissés dans son pays natal, alors qu'il n'était encore qu'enfant, et qu'il ne devait revoir qu'après sa promotion, circonstance pour laquelle il voulait hâter autant que possible l'achèvement de ses études. Je l'aimais à cause de cet attachement solide et passionné et bien que, vu la grande différence qu'il y avait entre nos études et notre ancienneté à l'université, je ne fusse pas en relations régulières avec lui, je lui rendais cependant visite de temps en temps, et cela paraissait lui être doublement agréable parce qu'il osait me parler franchement de ce qui lui tenait tant au cœur et qui semblait à la plupart de ses jeunes amis ou puéril ou trop sérieux pour en faire un sujet de conversation.

Dans une de ces visites, il se plaignit beaucoup à moi d'une certaine lassitude, d'une pesanteur qu'il ressentait dans les jambes depuis quelques jours, et très-peu de temps après; j'appris que William Kegge,—c'était son nom,—était réellement indisposé. Un étudiant malade ne manque jamais de société et peut-être en meurt-il plus d'un par excès de soins. Je choisis, pour l'aller voir, une heure où j'espérais qu'il ne serait pas trop entouré, et je le trouvai alité. Bien qu'il soit admis qu'un étudiant, dès qu'il est forcé de rester chez lui, cherche, beaucoup plus vite qu'une laborieuse mère de famille, du soulagement dans son lit, le cas était plus grave ici que je ne me l'étais imaginé. William était néanmoins très-gai et très-animé. Je m'aperçus sur-le-champ qu'il avait la fièvre. Deux de ses intimes étaient assis à son chevet, sous prétexte de lui donner du courage, et le consultaient comme arbitre sur le point de savoir s'il eût fallu jouer ou non une certaine carte dans une partie d'hombre qui avait eu lieu dans l'après-dînée au Paon, par suite de quoi ils le forçaient de se représenter en imagination une série de vingt-sept cartes combinées de toutes sortes de façons; assurément ce pouvait être pour un malade un passe-temps agréable, mais cependant un peu fatigant. Je fis signe aux deux consolateurs d'abandonner ce thème de conversation et je les eusse vus très-volontiers se retirer. Je conseillai ensuite au patient de se tenir tranquille, j'abaissai un peu la mèche de la lampe et fis retomber les rideaux du lit qui étaient ouverts. Je priai William de prendre un médecin, mais il ne voulut pas entendre raison sur ce point; il me dit qu'un de ses amis resterait auprès de lui jusqu'à ce qu'il fût endormi, et qu'il fallait attendre jusqu'au lendemain.

Le jour suivant, de bon matin, l'hôtesse de mon voisin était déjà chez moi. Elle me dit que monsieur n'allait pas bien du tout, qu'il s'était réveillé au milieu de la nuit, lui avait fait faire du thé et s'était montré très-bourru vis-à-vis d'elle, ce à quoi monsieur ne l'avait pas du tout habituée; avec cela il l'avait regardée d'un air si farouche que bientôt elle avait perdu la tramontane et qu'elle sentait encore dans les jambes la peur qu'il lui avait faite. Elle croyait qu'il n'avait pas été bon pour monsieur de laisser si longtemps sa fenêtre ouverte, vu que les personnes des pays étrangers ne sont pas accoutumées à cela, etc., etc. Je m'habillai et allai le voir incontinent.

Il avait toujours la fièvre, et beaucoup plus fort que la veille; il était très-mécontent de son lit, de sa chambre à coucher, de son hôtesse, en un mot, de tout; il voulait qu'on fit un grand feu dans la première pièce, et fondait tout espoir sur l'effet de ce feu. Je le priai de demeurer où il était, et fis à l'instant chercher un médecin.

Le médecin vint et déclara que l'indisposition était sérieuse. La chambre d'étude fut transformée en chambre de malade; on y transporta William avec son lit, et on écrivit à son tuteur. Celui-ci arriva deux ou trois jours après; c'était un vieux garçon qui n'avait jamais eu occasion de soigner des malades et qui y était d'une extraordinaire maladresse, du reste, pauvre esprit, cœur étroit. Il me laissa le soin de diriger tout. Heureusement l'hôtesse était une femme entendue, posée, obligeante, dévouée et douée en même temps d'un excellent cœur. Elle fit de son mieux; le médecin fit aussi de son mieux; une couple d'étudiants que j'avais choisis dans la foule de ceux qui voulaient à toute force veiller le malade, firent avec moi tout ce qui était possible; mais rien ne servit. La maladie prit un cours fatal, et au bout de trois semaines d'angoisses et de fatigues excessives, nous portâmes le pauvre William à sa dernière demeuré.

Un enterrement d'étudiant a quelque chose de solennel. C'est un long cortège d'hommes dans la fleur de la vie qui, vêtus de deuil, portent à la tombe la dépouille de l'un d'eux, triste preuve que la vie dans sa fleur n'est pas à l'abri des coups de la mort! Ils savent cela, mais il leur faut le voir pour qu'ils en soient convaincus. Cependant ce serait plus imposant encore si tous étaient ou pouvaient être pénétrés de ce sentiment, si tous étaient également attachés au défunt, également touchés de sa mort, oui, si tous, jusqu'aux derniers, pouvaient voir le memento mori qui les précède. Il faudrait aussi que les ordonnateurs renonçassent à la manie de faire parade du long cortège et de fatiguer ceux qui le composent par une inutile promenade à travers la ville. Ordinairement le cercueil est porté par les concitoyens du mort, ou si ceux-ci ne sont pas assez nombreux, par ceux qui sont originaires de la même province ou de la même colonie que lui. Pour William on n'avait pu trouver douze compatriotes. Ses meilleurs amis le portèrent. Il avait passé si peu de temps à l'université!.. et peut-être, parmi ceux-là, n'y en avait-il pas un seul à qui il eût ouvert tout à fait son cœur. Peut-être, moi qui l'avais si peu vu pourtant, avais-je été son plus intime confident. Au moins, dans la dernière nuit de sa vie, dans un moment où il avait pleinement sa connaissance, il avait tiré de son doigt un anneau orné d'un petit diamant et à l'intérieur duquel étaient gravées les lettres E. M.

—Gardez cette bague, m'avait-il dit d'une voix faible mais expressive; elle m'était bien chère....

Il n'avait rien dit de plus.

Le doyen de la faculté de droit à laquelle appartenait William, prononça une courte allocution devant la fosse béante. Puis nous qui l'avions porté, nous jetâmes chacun une pelletée de terre sur lui, et son tuteur remercia tous ceux qui étaient présents de l'honneur qu'ils avaient fait au défunt. Le cortège retourna en bon ordre jusqu'à la salle académique et se sépara là. Les habits noirs furent ôtés, les gants blancs avaient fini leur rôle. Chacun retourna à ses occupations, à ses plaisirs, à ses amis vivants. Quelques-uns portèrent pendant six semaines encore l'étroite rosette de deuil à la casquette. Mais lorsque, vers Noël, parut l'almanach des étudiants et qu'on lut la revue de l'année dans laquelle quelques lignes étaient consacrées à la mémoire de William Kegge, il y avait déjà maint camarade d'université qui devait faire appel à toute sa mémoire pour se représenter comment était ce William Keg de son vivant.

Lorsque le tuteur songeait à écrire aux Indes ou en parlait, il était si embarrassé de cette mission que je pris enfin sur moi d'adresser au père de William une lettre préparatoire que devait suivre le plus tôt possible celle du tuteur, avec l'annonce de la mort et sa reddition de compte au sujet des affaires du défunt. Je remplis ce pénible devoir; et quelque temps après l'envoi des deux missives, je reçus du père de Kegge une lettre remplie de remercîments et de protestations d'amitié passablement exagérés.

Deux ans après la famille Kegge elle-même vint en Hollande, très-riche à ce que je sus plus tard, et s'établit dans la ville de R.... J'en eus la première nouvelle par une caisse de cigares de la Havane que je reçus par la diligence et qu'accompagnait un billet dont voici l'étrange, contenu:

«Voici un petit cadeau odoriférant de reconnaissance à notre arrivée dans la mère-patrie. Venez à R.... et demandez la famille qui est arrivée des Indes Orientales, et vous y serez cordialement reçu par

JEAN-ADAM KEGGE.»

Scènes de la vie Hollandaise

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