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III

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Où l'on voit paraître une demoiselle et un monsieur.

Tandis que nous étions encore assis entre chien et loup, la porte s'ouvrit et une forme féminine fut poussée plutôt qu'introduite dans l'appartement par deux ou trois des enfants qui criaient:

—Sara avec un manchon! Sara avec un manchon!

Un profond soupir s'échappa du sein de la belle Henriette.

La nouvelle venue, passant de la lumière aux ténèbres, ne voyait probablement pas à un pas devant elle et s'arrêta sur le seuil; les enfants s'en allèrent et nous les entendîmes dans l'allée qui continuaient à crier:

—Sara avec un manchon! Sara avec un manchon!

—Vous venez extrêmement tôt, ma fille, dit Henriette à celle qui entrait, maman dort encore.

—Que dis-tu, Henriette? dit la maman d'une voix rauque en s'éveillant. Que veux-tu, mon enfant? Qu'y-a-t-il? Vous n'avez pas encore de lumière?

—C'est la cousine Sara qui est déjà là, répondit la jeune fille, et avec un manchon, à ce que disent les enfants, ajouta-t-elle en riant.

A cet échange de paroles, l'inconnue se rapprocha et avec une voix d'un timbre charmant s'informa de la santé de la cousine Kegge et de la cousine Henriette.

—Vous n'êtes pas loin de la sonnette, dit cette dernière; sonnez, je vous prie, pour demander de la lumière,

La cousine obéit, et je ressentis un vif désir de voir paraître la lampe. La lumière entra bientôt, et j'aperçus une jeune fille de l'âge d'Henriette peut-être, mais moins formée qu'elle. Sa taille charmante, dessinée par une très-simple robe d'étoffe d'hiver, se dégageait des plis d'un manteau de drap brun; un col gaufré entourait modestement son cou d'une extrême blancheur, et lorsqu'elle ôta son chapeau de castor dépourvu de tout ornement, je vis apparaître un visage de l'expression la plus douce et la plus aimable et encadré d'opulentes boucles de cheveux blonds. Elle rougit à l'aspect inattendu d'une personne de plus qu'elle ne s'y attendait. Je m'empressai pour la débarrasser de son chapeau et de son manteau, comme aussi du manchon en compagnie duquel elle avait été annoncée. Elle rougit davantage encore de cette prévenance et se refusa absolument à ce que je lui rendisse ce léger service.

Henriette prit en main le manchon. Ce n'était pas un manchon ordinaire, un manchon à la mode, de martre ou de chinchilla doublé de soie bleu de ciel ou rouge cerise, et à peine assez grand pour contenir deux petites mains, un mouchoir de poche, un flacon d'essence et un carnet à visites; non, c'était un de ces gros et chauds manchons, velus, de forme antique, faits d'une bonne peau de renard à longs poils et auxquels se rattachait une garniture de cou de même, que nos grand'mères mettaient au-dessus de leur mouchoir pour aller à l'église, et avec lesquels nous voyons encore apparaître de temps en temps quelque vieille cuisinière, et qui portent le nom de sabel[1].

—Quel délicieux manchon! dit Henriette en en frottant les poils rudes contre ses belles joues; mais comment se fait-il que vous ayez un manchon, Sara?

—C'est une vieillerie, dit Sara en souriant doucement; les enfants s'en sont bien amusés aussi. Il vient encore de ma grand'mère et je ne le porte que le soir, cousine Henriette. Comment se porte mon cousin?

—Papa va très-bien, répondit la belle Henriette. Et comme pour prouver la vérité de cette assertion, monsieur Kegge lui-même entra, prit adroitement Sara par la taille et lui donna un retentissant baiser.

—Très-bien, Sara, s'écria-t-il, c'est bien à toi! Viens-tu nous faire les honneurs du thé? Que dis-tu de ce monsieur qui est venu nous voir? Prends garde à toi, sais-tu, c'est un conquérant de jeunes filles.

Ce sont là, de ces plaisanteries auxquelles celui qui en est la victime ne peut guère répondre que par un sourire contraint.

—Et qu'ai-je entendu parler de ton manchon? Rob dit que tu as un manchon. Laisse-moi le voir. Cela vient encore de ta mère, Sara! Ma chère enfant, je yeux tourner en citron si cela ne ressemble tout à fait au poil de sanglier. À la saint Nicolas tu recevras de moi un meilleur manchon que cela.

—Non, non, cousin Kegge, je vous remercie, dit la jeune, fille embarrassée; aussi bien ne le porterais-je que le soir.

—Et pourquoi cela puisque je te le donne?

—Parce que cela ne me ... sied pas cousin Kegge.

—Cela ne te sied pas? sottises que tout cela! Que diable si je le paie!

—Il ne m'en siéra pas davantage, cousin Kegge! Vous êtes trop bon, j'aime mieux ne pas avoir de manchon; je ne puis porter de fourrures,—et puis je suis bien trop jeune encore pour cela.

—Sottises que tout cela! Que vient faire l'âge à propos d'un morceau de peau de bête? n'est-ce pas pour se garantir du froid, tête frisée. Ainsi c'est dit, attends-toi à la chose pour la saint Nicolas, et préserve bien la peau que t'a donnée ta mère des dents d'Azor et de Mimi.

Cette dernière plaisanterie causa à monsieur Kegge une extrême satisfaction, et nous nous assîmes pour prendre le thé. Inutile de faire remarquer que le service était en argent et les tasses en porcelaine bleue. Le lecteur sait assez comment le ménage de la riche famille Kegge était monté pour s'étonner de l'exhibition de quelque nouveau luxe et cela m'ennuie d'attirer encore son attention sur des détails de ce genre. Que celui qui a envie de voir décrire de jolies choses de ce genre sur un ton épris et admiratif, que celui-là lise les nouvelles de Q et Z. On dirait que ces messieurs ont eux-même grande envié des merveilles qu'ils décrivent.

Lorsque nous eûmes pris le thé et que la pendule marqua près de huit heures, monsieur Kegge se fit apporter un surtout doublé de chien marin noir et en forme de polonaise. Il ne faisait pas encore assez froid pour endosser la pelisse, dit-il. Il alluma ensuite un cigare qu'il nommait en termes choisis un bâton puant et sortit pour faire de nouveau une commission urgente.

Peu après entra, pour le remplacer, un monsieur de vingt-sept à vingt-huit ans, à ce que je présumai. C'était un homme bien fait, de haute taille, dont le visage, d'une coupe très-distinguée, était d'ailleurs très-fatigué. Il portait les cheveux longs, séparés par une raie tout à fait sur le côté, et frisés du côté le plus touffu. Ses yeux gris lançaient un regard terne comme du fond d'une caverne, car les arcades sourcilières étaient très-proéminentes et sur ses lèvres se jouait un sourire qui n'avait évidemment d'autre but que de faire voir une denture très-blanche et très-régulière. Ce personnage était vêtu d'un habit vert fort étriqué, garni de très-petits boutons dorés et dont les manches étaient très-étroites et très-courtes, d'un pantalon noir très-ample dont les jambes s'amincissaient en pointe vers le bas, et d'un gilet de soie brochée. Une cravate de satin noir dans les plis de laquelle était attachée une épingle d'or très-longue, très-mince et ayant pour dépendance une chaînette, des gants jaune paille et des bottes très-pointues complétaient son costume. Une chaîne d'or passée au col et composée de longs et maigres anneaux serpentait sur son gilet et indiquait à l'imagination le chemin d'une très-mince montre d'or à cylindre tandis qu'à un cordon élastique, presque invisible se balançait un petit lorgnon carré, destiné à tenir, sans le secours de la main, dans le coin de l'œil.

Lorsque ce monsieur entra, il traversa la chambre dans toute sa longueur, absolument comme s'il ne s'y lut trouvé âme qui vive excepté lui et sans jeter les yeux sur quoi que ce soit, ni à droite, ni à gauche; on l'eût cru en proie à une préoccupation qui l'aveuglait. Parvenu près de madame Kegge, il s'arrêta brusquement et laissa tomber la tête sur sa poitrine comme une abeille brisée en deux, il alla ensuite à Henriette et répéta le même mouvement avec toute la grâce d'un automate; enfin il le répéta une troisième fois à l'adresse de Sara et moi collectivement.

Henriette nous présenta l'un à l'autre comme monsieur Van der Hoogen et monsieur Hildebrand.

Cette formalité accomplie, monsieur Van der Hoogen prit place sur le siège qui lui était offert, porta la main droite à la hauteur de l'épaule droite et la passa dans l'entournure de son gilet broché, de sorte que sa fine taille parut avec tous ses avantages, et dit d'une voix claire et sèche à madame Kegge:

—Et comment vont Azor et Mimi?... deux charmants animaux. Je dînais hier, cher monsieur Van Vragel... À propos, vous savez que mademoiselle Constance a aussi un joli petit chien...

—Je le sais, c'est un King-Richard, dit Henriette, une délicieuse bête...

—N'est-ce pas, délicieuse et toute charmante; mais cependant elle n'est pas à comparer à Azor et Mimi.

—Pensez-vous vraiment cela? demanda madame Kegge avec une visible satisfaction.

—Oh, madame, répondit Van der Hoogen avec exaltation, c'est la différence du ciel à la terre. Aussi n'ai-je pu m'empêcher de dire: Mademoiselle Constance, votre petit chien est charmant, mais les chiens de madame Kegge sont plus charmants encore.

Je n'avais pas encore vu autant de vie sur le visage de madame Kegge; avec une sorte d'enthousiasme, elle donna un morceau de sucre à Azor et à Mimi couchés à côté d'elle sur un tabouret, et elle les caressa tellement que leurs têtes resplendirent comme des miroirs.

Monsieur Van der Hoogen s'adressa à Henriette:

—Je puis vous dire, mademoiselle Henriette, que mademoiselle Constance jalouse vos marabouts; elle vous les a vus dernièrement à l'église. Elle m'a dit hier: Monsieur Van der Hoogen, vous connaissez sans doute la famille Kegge? J'ai répondu que j'avais eu l'honneur d'être présenté ici. Eh bien, reprit-elle, je puis dire que je suis folle des marabouts de mademoiselle Kegge. Ce sont des marabouts tout à fait charmants.—Nous avons eu ensuite toute une conversation sur vous...

—Vraiment? demanda Henriette en le regardant d'un air incrédule. Fi! monsieur Van der Hoogen, vous vous moquez de moi.

—Cela est mal à vous, répondit Van der Hoogen en souriant... Entendez-vous, Madame? Fi! quels noirs soupçons!...

Il donna à sa physionomie une expression sérieuse.

—Vraiment, mademoiselle Henriette, c'est dommage grand dommage que vous ne voyiez pas ces personnes-là. C'est une charmante maison, Mademoiselle Constance est véritablement toute charmante.

—Je ne sais, monsieur Van der Hoogen, mais je crois fermement qu'il y a quelque chose entre vous et cette demoiselle Constance, dit Henriette qui leva son doigt charmant d'un air de menace et regarda son interlocuteur avec toute la coquetterie possible.

Monsieur Van der Hoogen eût consenti, je le parie, à perdre ses jolis gants pour pouvoir rougir. Mais sa faculté de rougir était Dieu sait où.

—Fi, encore une fois, reprit-il; cela n'est pas généreux, mademoiselle Henriette!

Il appuya, d'un air très-convaincu, la main sur son gilet broché.

—Je vous déclare, sur ma parole d'honneur, ajouta-t-il, que tout ce qu'on chuchote peut-être là-dessus est faux.

Il fit une courte pause pleine de mystère et poursuivit:

—Mademoiselle Constance me plaît infiniment; elle est vraiment toute charmante, mais... je n'ai pas d'intentions, absolument pas d'intentions... Et voulez-vous savoir pourquoi elle m'a tant plu, justement hier?...

—Eh bien?

—Parce qu'elle s'intéressait tant à vous.

Et il baissa les yeux de la façon la plus aimable.

—Vraiment, méchant! dit Henriette d'un ton moqueur; en vérité vous me rendriez curieuse, si je pouvais l'être.

—Elle vous trouvait si particulièrement gracieuse et intéressante, dit Van der Hoogen, et elle a tant entendu parler de votre admirable jeu.

Il se tourna vers madame Kegge:

—Chère Madame, unissez-vous donc à tous les gens de goût de la ville pour forcer votre tille à tenir sa parole.

—Cela n'est plus nécessaire, dit Henriette en souriant; c'est une affaire faite; je joue vendredi...

—Charmant, charmant, tout à fait charmant. Mademoiselle Constance sera dans le ravissement. Cela fera sensation en ville. C'est un grand morceau, j'espère...

—Je ne suis pas encore décidée, répondit Henriette; monsieur Van der Hoogen veut-il m'aider à faire mon choix? Voulez-vous ouvrir le piano?

—Volontiers, très-volontiers.

—Mais il faut faire vos observations...

—Impossible! impossible! s'écria Van der Hoogen. Il s'élança de sa chaise, porta son chapeau dans un coin de la chambre ou il le déposa avec autant de précaution que s'il eût été formé d'une coquille d'œuf soufflée; il mit au jour, en se dégantant, des mains blanches comme la neige et des ongles coupés à l'anglaise et aida à Henriette à chercher sa musique.

Ce faisant, il murmura à demi voix:

—Cette demoiselle de Groot a vraiment une toute charmante figure!

—Un peu insignifiante! répondit Henriette.

—N'est-ce pas? C'est son seul défaut, dit Van der Hoogen.

—Sara, reprit Henriette, il est bon que j'y pense; grand'maman a demandé avec instance si vous ne voudriez pas lui tenir un peu société?

—Volontiers, cousine Henriette, répondit Sara, j'y vais à l'instant.

Je vis avec déplaisir le départ des jolis yeux bleus.

Henriette se mit à jouer et monsieur Van der Hoogen à tourner les feuillets; mais je remarquai que parfois il tardait tant à s'acquitter de cette lâche, qu'Henriette, craignant qu'il ne le fil pas à temps, étendait elle-même la main, sur quoi lui se hâtait de rencontrer cette main en murmurant une aimable excuse ou en souriant. En somme, l'attitude des deux jeunes gens au piano avait un caractère de grande intimité.

Pendant ce temps, les jeunes messieurs Rob et Adam, assis à une petite table, jouaient à l'écarté un quart de florin, et la petite Anna (car ces trois enfants paraissaient ne pas devoir s'aller coucher), Anna déchiquetait déplorablement les gravures d'un livre de prix.

Il ne me restait d'autre interlocuteur que madame, qui m'apprît d'abord que l'événement qui devait jeter en ravissement tous les gens de goût de la ville, n'était autre que l'exécution d'un morceau de piano par Henriette, au concert que devaient donner les dames le vendredi suivant. Monsieur Van der Hoogen l'en avait priée si longtemps, la commission directrice du concert avait tant importuné monsieur Kegge, et puis Henriette jouait si parfaitement, qu'on n'avait pu refuser davantage. Après cette communication, notre conversation commença à languir, et je ne sus trouver rien de mieux que de demander à madame Kegge comment elle se plaisait en Hollande. Elle se répandit en plaintes amères. Il faisait froid et humide dans ce pays; les gens y étaient roides et avares, et toujours occupés de leurs enfants; tes enfants avaient tant de vêtements sur le corps, et les maisons tant de vents coulis! Mais heureusement elle se portait toujours bien de même que ses enfants, monsieur Kegge et les chiens.

Monsieur Kegge rentra et raconta tant de nouvelles qu'il était évident qu'il avait été à la Société. On apporta du vin pour les dames et l'on fit du grog pour les messieurs. Monsieur Kegge s'installa auprès du piano. Sara redescendit et dit que la vieille dame désirait se mettre au lit. Je me mis à regarder avec la jeune fille les gravures d'une magnifique édition de Lafontaine. Elle connaissait si bien les fables auxquelles se rapportait chaque gravure, et s'exprimait si bien en français, que je m'aperçus parfaitement que cette simple petite bourgeoise, qui ne pouvait porter de fourrures, avait reçu une très-bonne éducation et avait su peut-être aussi bien la mettre à profit, que j'eusse osé m'y attendre de la jolie brunette aux deux années de pensionnat.

On fit encore de la musique pendant longtemps; madame Kegge s'endormit de même que ses chiens et ne se réveilla que lorsque le charmant Van der Hoogen courut de nouveau à elle, laissa tomber la tête sur sa poitrine, et lui déclara que lui, monsieur Van der Hoogen, avait l'honneur d'être son serviteur.

Il fit le même compliment aux autres dames et dit ensuite à monsieur Kegge:

—A propos, il est bon que j'y pense. Il se présentera sous peu une charmante occasion d'envoyer quelque chose aux Indes. Un jeune commis d'un des bureaux se décidera probablement à partir pour là-bas. Il n'y a pas d'avenir ici pour qui est sans famille; peut-être dans ce pays-là trouvera-t-il quelque petite place de surveillant d'esclaves; c'est une position honorable.

—Surtout maintenant, remarqua monsieur Kegge, bien qu'on soit mieux ici qu'à Surinam. Là, les surveillants d'esclaves sont tout à fait méprisés. Mais c'est une folie, car à Surinam aussi bien qu'à Démérary, la plupart des directeurs ont commencé par remplir ces fonctions.

A ces mots, Henriette devint rouge comme feu. Quelles inductions le charmant monsieur Van der Hoogen ne pouvait-il tirer de cet aveu! Mais le charmant Van der Hoogen songeait peut-être à son propre père, qui, comme je l'appris plus tard, était aubergiste à Amsterdam, et avec qui, pour ce motif, il ne conservait plus d'autre relation que les lettres de change qu'il tirait de temps en temps sur lui.

[1] Ce mot signifie proprement manchon.

Scènes de la vie Hollandaise

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