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II

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Et cependant, dans le monde imaginaire comme dans le monde réel, il y a des rangs divers, parce qu’il y a des valeurs diverses. Le public et les connaisseurs assignent les uns et estiment les autres. Nous n’avons pas fait autre chose depuis trois ans, en parcourant les cinq siècles de la peinture italienne. Nous avons toujours, et à chaque pas, porté des jugements. Sans le savoir, nous avions en main un instrument de mesure. Les autres hommes font comme nous, et, en critique comme ailleurs, il y a des vérités acquises. Chacun reconnaît aujourd’hui que certains poëtes, comme Dante et Shakspeare, certains compositeurs, comme Mozart et Beethoven, tiennent la première place dans leur art. On l’accorde à Gœthe entre tous les écrivains de notre siècle. Parmi les Flamands, nul ne la dispute à Rubens; parmi les Hollandais, à Rembrandt; parmi les Allemands, à Albert Durer; parmi les Vénitiens, à Titien. Trois artistes de la renaissance italienne, Léonard de Vinci, Michel-Ange et Raphaël, montent, d’un consentement unanime, au-dessus de tous les autres. — En outre, ces jugements définitifs que la postérité prononce justifient leur autorité par la façon dont ils sont rendus. D’abord les contemporains de l’artiste se sont réunis pour le juger, et cette opinion, à laquelle tant d’esprits, de tempéraments et d’éducations différentes ont concouru, est considérable, parce que les insuffisances de chaque goût individuel ont été comblées par la diversité des autres goûts; les préjugés, en se combattant, se balancent, et cette compensation mutuelle et continue amène peu à peu l’opinion finale plus près de la vérité. Cela fait, un autre siècle a commencé, muni d’un esprit nouveau, puis, après celui-ci, un autre, chacun d’eux a révisé le procès pendant; chacun d’eux l’a révisé à son point de vue; ce sont là autant de rectifications profondes et de confirmations puissantes. Quand l’œuvre, après avoir ainsi passé de tribunaux en tribunaux, en sort qualifiée de la même manière et que les juges, échelonnés sur toute la ligne des siècles, s’accordent en un même arrêt, il est probable que la sentence est vraie; car si l’œuvre n’était pas supérieure, elle n’aurait pas réuni des sympathies si différentes en un seul faisceau. Que si la limitation d’esprit propre aux époques et aux peuples les porte parfois, comme les individus, à mal juger et à mal comprendre, ici, comme pour les individus, les divergences redressées et les oscillations annulées les unes par les autres aboutissent par degrés à cet état de fixité et de rectitude, où l’opinion se trouve assez solidement et légitimement établie pour que nous puissions y acquiescer avec confiance et avec raison. — Enfin, par delà ces concordances du goût instinctif, les procédés modernes de la critique viennent ajouter l’autorité de la science à l’autorité du sens commun. Un critique sait maintenant que son goût personnel n’a pas de valeur, qu’il doit faire abstraction de son tempérament, de ses inclinations, de son parti, de ses intérêts, qu’avant tout son talent est la sympathie, que la première opération en histoire consiste à se mettre à la place des hommes que l’on veut juger, à entrer dans leurs instincts et dans leurs habitudes, à épouser leurs sentiments, à repenser leurs pensées, à reproduire en soi-même leur état intérieur, à se représenter minutieusement et corporellement leur milieu, à suivre par l’imagination les circonstances et les impressions qui, s’ajoutant à leur caractère inné, ont déterminé leur action et conduit leur vie. Un tel travail, en nous mettant au point de vue des artistes, nous permet de mieux les comprendre, et comme il se compose d’analyses, il est, ainsi que toute opération scientifique, capable de vérification et de perfectionnement. En suivant cette méthode, nous avons pu approuver et désapprouver tel artiste, blâmer tel fragment et louer tel morceau dans la même œuvre, établir des valeurs, indiquer des progrès et des déviations, reconnaître des floraisons et des dégénérescences, non pas arbitrairement, mais d’après une règle commune. C’est cette règle secrète que je vais tâcher de dégager, de préciser et de prouver devant vous.

De l'idéal dans l'art

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