Читать книгу Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne - Isabelle de Montolieu - Страница 11

PREFACE.

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Table des matières

Il y a, ce me semble, beaucoup de présomption et de témérité à offrir encore au public une nouvelle édition de cette Caroline de Lichtfield, déjà si connue, qu'elle ne présente plus aucun intérêt. Mais le succès soutenu de ce petit roman, qui n'a rien de remarquable que sa morale et sa simplicité, et qui a survécu à tant d'autres qui valaient sans doute beaucoup mieux; ce succès, dis-je, auquel j'étais loin de m'attendre, m'a toujours paru quelque chose de si singulier, de si surnaturel, que j'ose encore espérer la continuation de cet étrange bonheur. Ceux qui ont protégé ma Caroline à sa naissance ne l'abandonneront pas à sa rentrée dans le monde. Les enfants de ceux qui l'honorèrent de leur suffrage la reliront peut-être avec plaisir; on daignera se souvenir que la cour alors voulut bien l'approuver, s'en amuser quelques instants, et peut-être voudra-t-elle aujourd'hui la protéger encore: dès lors je n'ai rien à craindre, et je présente Caroline avec la douce espérance qu'elle sera bien reçue et qu'elle retrouvera les mêmes bontés, la même indulgence. Les François ne sont point aussi légers qu'on se plaît à le dire; ils aiment toujours ce qu'ils ont aimé une fois; s'ils ont quelque temps perdu vue les objets de leur affection, ils les retrouvent avec transport; et j'ose croire, j'ose espérer que le noble et vertueux Walstein, la bonne et sensible Caroline, Lindorf et Matilde leur plairont encore, quoique ce ne soient pas de nouvelles connaissances.

Lorsque Caroline fut imprimée le première fois, ce fut vraiment sans mon aveu. Un de mes amis, homme de lettres, connu par la seule bonne traduction du célèbre roman de Werther, me demanda mon manuscrit, que j'avais écrit uniquement pour amuser une vieille parente à qui je donnais tous mes soins, et je ne songeais pas à le publier. Il le fit imprimer sans me le dire et sans nom d'auteur, en ajoutant seulement au titre: Publié par le traducteur de Werther. Plusieurs personnes ont cru, d'après cela, que c'était moi qui avais traduit Werther, et je saisis cette occasion de détruire cette erreur: c'est M. George d'Eyverdun, l'ami dévoué du célèbre Gibbon, dont il est tant question dans les Mémoires de ce dernier (1) [(1) Voyez Mémoires de Gibbon, tome II, page 402.], et j'étais alors cette madame de Crousas qu'il veut bien aussi nommer avec amitié. Il s'en est peu fallu que mon modeste petit ouvrage ne parût sous son nom. Vivant avec M. d'Eyverdun, il fut le complice de sa trahison, et lorsque je m'en plaignis, il me dit: "Je suis si sûr du succès de votre roman, que, si vous voulez me le donner, j'y mettrai mon nom." Je lui assurai que personne ne voudrait croire que le Tacite anglais eût fait un roman; mais du moins il ne s'est pas trompé, et Caroline, sans nom d'auteur, sans protection (1) [(1) Je me trompe; madame de Genlis voulut bien protéger, dans le temps, cette première édition.], arrivant d'une petite ville de Suisse, réussit si bien à Paris, qu'il fallut pardonner aux traîtres amis qui l'avaient fait connaître. J'étais cependant alors si peu aguerrie avec le titre d'auteur, avec l'idée de voir mon nom à la tête d'un livre, que je ne pus me résoudre à l'y placer, lorsque, deux ou trois ans après, j'en fis une seconde édition, imprimée à Paris avec quelques changements, pour la distinguer de la foule des contrefaçons et d'éditions fautives qui en paraissaient journellement. Je mis seulement à celle-ci mes lettres initiales, comme éditeur, publié par madame le B. de M, et j'ajoutai un nom d'auteur supposé, pris dans le roman même, celui du baron de Lindorf; ce qui donnait, à mon avis, plus d'intérêt et de vraisemblance au roman. A présent que les années, et plus de soixante volumes que j'ai signés m'ont familiarisée avec ce genre de célébrité, je veux que Caroline, qui contribue au succès de tous les autres, porte aussi mon nom en toutes lettres.

Ce serait, je crois, le moment de répondre à l'obligeant reproche qu'on m'adresse sans cesse, de traduire au lieu de composer. Il suffirait peut-être d'un seul aveu, assez humiliant à faire, mais que je dois à la vérité, c'est que je manque de ce don du génie, de cette imagination créatrice qui fait inventer des situations nouvelles, des événements frappants ou intéressants, des caractères originaux; enfin de tout ce qui entre dans la composition d'un bon roman. Il faut, pour m'inspirer, que quelque chose, soit en réalité, soit en récit, me saisisse, m'électrise: alors je puis peut-être développer cette impulsion, l'étendre, y ajouter des incidents, la prolonger ou la modifier, enfin en tirer parti. C'est ainsi que j'ai agi avec plusieurs de mes traductions; et Caroline elle-même doit son origine à un petit conte allemand qui m'en avait fourni la première idée. Je dois dire cependant que, dans la troisième édition, j'ai changé tout ce que j'avais tiré de cette source, et que l'auteur du petit conte lui-même, M. Antoine Wall, n'a pas voulu croire, en lisant Caroline, qu'il m'eût aidée en rien. Mais il n'en est pas moins vrai que j'ai besoin d'un peu d'aide. Quelques-unes de mes nombreuses nouvelles sont bien entièrement de moi, mais ce ne sont pas les meilleures. Et qu'importe au lecteur, pourvu que ce qu'il lit l'amuse et l'intéresse, que ce soit une idée d'Isabelle de Montolieu, de madame de Pichler, d'Auguste Lafontaine, ou de quelques auteurs moins connus? Je suis bien plus sûre d'y parvenir en m'associant avec eux qu'en travaillant toute seule, et j'ai un peu moins de responsabilité. Je ne donne du moins au public français que des ouvrages dont le succès est assuré, et que je m'efforce de les rendre aussi agréables qu'il m'est possible sous leur nouveau costume, éludant ainsi une espèce de voeu téméraire que je fis lorsque je vis le succès inattendu de Caroline. Je résolus en effet de m'en tenir là, et de ne pas risquer, par une seconde production, de détruire l'espèce de charme ou de prestige qui semblait attaché à la première. Il ne faut pas fatiguer le bonheur; il s'échappe si facilement! Celui qui a toujours accompagné Caroline depuis son apparition se serait peut-être évanoui sans retour si je lui avais donné bien des frères ou des soeurs; ils auraient déplu peut-être, parce qu'on ne plaît pas toujours, et la pauvre soeur aînée aurait été enveloppée dans la proscription. Un demi-succès m'aurait, je crois, stimulée à tâcher de faire mieux: celui-là m'a découragée, ou plutôt j'ai voulu en jouir sans craindre de le perdre. La nombreuse famille étrangère qui j'ai adoptée n'a pas nui à Caroline; elle est restée l'enfant gâtée du public, quoiqu'il y en ait qui valent bien mieux à mon gré. Les charmants Tableaux de Famille, Marie Menzikoff, Falkenberg et Agathoclès, auraient dû la faire oublier. Mais puisqu'on veut bien l'aimer encore, la voilà mieux soignée et plus digne des bontés qu'on a pour elle. Je n'y ai d'ailleurs rien changé, puisqu'elle a plu telle qu'elle est; mais j'ai corrigé avec grand soin les négligences de style et la musique des trois romances. Celle de la ronde villageoise de Justin n'avait pas paru; les deux autres airs sont assez bien adaptés aux paroles. Je n'aurais pu faire mieux, et je les ai seulement un peu rajeunis. J'en aurais sûrement trouvé de beaucoup plus jolis dans la foule de ceux qu'on a bien voulu composer sur mes paroles; mais un choix aurait été difficile et désobligeant: c'est le seul motif qui m'ait décidée à préférer ceux que j'ai faits moi-même sans être musicienne, et pour lesquels j'ai surtout à réclamer l'indulgence.

Isabelle de Montolieu.

Caroline de Lichtfield ou Mémoires extraits des papiers d'une famille prussienne

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