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CHAPITRE
2

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Table des matières

WILLIAM LOBELL trouva où ranger sa voiture dans Bay Street, du côté de Fort Mason. Il était neuf heures moins dix; la nuit tombée, le brouillard s’était encore épaissi.

Il ferma l’auto et prit à pied la direction de Lobos Square. Des sirènes de brume résonnaient lugubrement vers la Porte d’Or; ce ne devait pas être facile de naviguer dans la Baie avec une pareille purée de pois.

William Lobell remonta frileusement le col de son imperméable et ajusta son chapeau sur son front. Son angoisse avait redoublé, ce n’était plus seulement les suites du chèque sans provision qu’il redoutait... C’était quelque chose de moins précis mais, probablement, beaucoup plus redoutable.

Il essaya d’imaginer ce que ferait Gladys si elle apprenait. Peut-être demanderait-elle le divorce, peut-être pas... Il y avait les deux enfants et le temps pouvait arranger beaucoup de choses...

Le temps... La seule idée d’être obligé de renoncer à Mabel lui était physiquement intolérable. Il l’avait dans la peau, c’était l’expression juste. Il la désirait follement, et de plus en plus, au point d’être capable de faire n’importe quoi pour ne pas la perdre: signer des chèques sans provision, par exemple.

Il se dégoûtait, mais n’y pouvait rien. Peut-être n’avait-il pas une assez grande expérience des femmes? Il s’était marié très jeune, et puceau.

Quelqu’un le bouscula assez violemment et passa sans même s’excuser. Il en fut extrêmement troublé et resta quelques secondes sur place, à se masser l’épaule, son cœur battant la chamade.

C’était tout de même une chose merveilleuse que de posséder une femme comme Mabel Grove. Aussi loin qu’il était capable de remonter dans ses souvenirs, il ne trouvait aucune femme qui pût soutenir la comparaison. Elle était non seulement très belle et très désirable, mais aussi très intelligente, très érudite. Elle avait fait des études universitaires et dirigeait à San Francisco une agence de publicité très cotée, la «Grove Advertising Agency», dont elle était propriétaire à soixante pour cent. Elle avait des idées, était efficace et sa réussite ne devait certainement pas tout à son charme hors série.

Oui, c’était merveilleux de penser qu’on était l’amant d’une femme comme celle-là et William se disait parfois que cela valait de faire tout ce qu’il avait déjà fait et tout ce qu’il était encore prêt à faire pour elle.

Il tourna au coin du square et marcha vers Chestnut Street. Collés contre la grille, des amoureux s’embrassaient éperdument. Les voitures qui passaient en files serrées avaient des formes floues et leurs lanternes peinaient à trouer le brouillard qui étouffait aussi les bruits.

Il regarda sa montre: neuf heures moins quatre. Le «Chinois», c’est ainsi qu’il appelait dans ses pensées son mystérieux correspondant, n’aurait pas à l’attendre... Il se demanda si le fait d’être en avance au rendez-vous ne serait pas interprété comme un signe de frayeur. Probablement... Mais cela avait-il une grande importance?

Il débattait encore la question lorsqu’il atteignit le coin du square, lieu de la rencontre prévue. Il s’arrêta contre la grille et alluma une cigarette pour se donner une contenance.

Un «cop» surveillait la circulation à quelques mètres de là, debout au bord du trottoir. Sa présence rassura William, qui aurait été fort embarrassé d’expliquer pourquoi, alors qu’il était bien décidé à laisser la police en dehors de tout cela.

Un passant s’arrêta brusquement devant lui et le fit sursauter. C’était un homme de petite taille, coiffé d’un chapeau à larges bords.

—Pouvez-vous me donner du feu?

William mit quelques secondes à répondre.

—Volontiers.

Il tendit le bout embrasé de sa cigarette vers la cigarette de l’autre; sa main tremblait.

—Etes-vous William Lobell?

—Oui.

L’homme tira sur sa cigarette. La faible lueur du tabac incandescent éclaira faiblement son visage lunaire; c’était un Chinois. William Lobell respira profondément et dit d’un ton faussement enjoué:

—Maintenant, vous allez m’expliquer ce que signifie cette plaisanterie.

—Rien du tout, répliqua paisiblement le Chinois en reculant d’un pas. Vous venez avec moi, le patron vous attend.

William Lobell avala péniblement sa salive et remit sa cigarette entre ses lèvres.

—Je ne vous suivrai pas. Vous pouvez me dire ici ce que vous voulez.

Le Chinois marqua un temps avant de répondre, d’un ton qui paraissait sincèrement navré:

—Je regrette pour vous, le patron va être obligé de téléphoner à Baltimore...

William Lobell serra les dents.

—Du chantage, hein?

Le Chinois haussa ses maigres épaules.

—Je ne sais pas ce que c’est. Je vous conseille de venir, qu’est-ce que vous risquez? Le patron veut vous proposer une affaire.

—Quel genre d’affaire?

—Je n’en sais rien. Venez, vous verrez bien.

—Où est-ce?

—Suivez-moi.

Le Chinois tourna les talons sans plus attendre et profita de ce que les feux passaient au rouge pour traverser Webster Street. Après une brève hésitation et parce qu’il n’était aucunement menaçant, Lobell le suivit. Ils marchèrent un moment l’un derrière l’autre en remontant Chestnut Street vers Chinatown, puis Lobell pressa le pas pour rejoindre son guide.

—Comment vous appelle-t-on?

—On ne m’appelle pas, je suis toujours là.

Ce n’était guère encourageant. Lobell décida de ne plus rien dire. Le Chinois tourna soudain à droite, en direction du port des yachts. La brume était si épaisse qu’on n’y voyait pas à dix pas devant soi; des sirènes de navires en difficulté continuaient de lancer leurs sinistres clameurs dans la Baie.

La portière arrière d’une voiture rangée le long du trottoir s’ouvrit brusquement devant Lobell qui s’arrêta pile et voulut contourner l’obstacle. Mais le Chinois le poussa, en même temps que des bras jaillis de l’intérieur de l’auto l’attiraient irrésistiblement. Il perdit l’équilibre et ne put résister. Alors qu’il se préparait à appeler au secours, un coup derrière la tête l’assomma pour le compte.

Il se réveilla dans une pièce faiblement éclairée où flottait une odeur douceâtre. Il se trouvait assis dans un angle, bien calé par de nombreux coussins. Une table basse en laque rouge, devant lui, supportait une théière et deux tasses de fine porcelaine. De l’autre côté de la table, assis en tailleur sur une natte de roseaux tressés, un Chinois en kimono blanc le regardait.

—Veuillez accepter mes excuses pour le traitement qui vous a été infligé, dit le Chinois en s’inclinant profondément. Je suis obligé de prendre certaines précautions...

Lobell reconnut la voix de celui qui lui avait téléphoné.

—Vous me paierez cela, répliqua-t-il avec mauvaise humeur en se frottant le crâne.

Le Chinois eut un faible sourire.

—Je vous paierai, si vous acceptez ma proposition.

Il prit la théière et versa le thé dans les tasses.

—Qui êtes-vous? questionna Lobell en essayant de prendre un ton assuré.

—C’est sans importance. L’important est ce que j’ai à vous proposer.

Un bref silence. Le Chinois reposa la théière. Il était maigre et devait être grand; son oreille gauche avait disparu, coupée à la base. Lobell se demanda à la suite de quelle aventure.

—Je vous écoute, dit-il d’un air agressif.

Le Chinois prit la tasse la plus proche de lui et la porta doucement à ses lèvres.

—Buvez, conseilla-t-il. Ne laissez pas refroidir.

Lobell obéit; il avait sérieusement besoin d’un stimulant. Ils burent ensemble, à petites gorgées, le liquide brûlant. Puis le Chinois annonça sans reposer sa tasse:

—Je sais qui vous êtes, je me suis beaucoup intéressé à vous depuis quelque temps. Je sais ce que vous faites, très exactement... Je sais même que vous avez signé cet après-midi un chèque sans provision de mille cinq cents dollars.... C’était une grosse imprudence, Monsieur Lobell! Heureusement, je peux vous permettre d’arranger ça. Si nous arrivons à nous entendre, je vous donnerai cinq mille dollars. Nous sommes samedi, je vous remettrai l’argent demain soir. En portant l’argent à la banque lundi matin vous serez sauvé.

Lobell s’était senti rougir. Il n’avait pas la partie belle et ce n’était plus le moment de crâner.

—Qu’est-ce que vous demandez en échange?

Le Chinois prit tout son temps pour répondre:

—Je sais que vous possédez les plans du nouveau réseau radar de la côte Pacifique des États-Unis, réseau dont vous avez surveillé la mise en place pour le compte de la société «Bendix», de Baltimore. Je veux une copie de ces plans.

William Lobell avait cessé de respirer et le sang s’était retiré de son visage.

—Vous êtes fou! bégaya-t-il quand il eut retrouvé son souffle.

Le Chinois eut un sourire suave.

—A votre place, Monsieur Lobell, je ne m’arrêterais pas trop longtemps à cette idée.

Lobell s’aperçut qu’il tremblait et une sensation de chaleur sur sa cuisse l’avertit qu’il avait renversé du thé sur son pantalon. Il reposa la tasse et se mit debout, complètement bouleversé.

—Votre proposition ne mérite même pas de réponse, prononça-t-il avec difficulté. Veuillez m’indiquer la sortie.

Le Chinois resta parfaitement immobile.

—Je comprends votre émotion, reprit-il, elle est bien naturelle. Je n’espérais pas que vous répondiez oui tout de suite, aussi ai-je décidé de vous laisser vingt-quatre heures de réflexion... Demain soir, à la même heure, mon collaborateur vous attendra au même endroit. Vous aurez les plans et je vous remettrai cinq mille dollars en échange. Personne n’en saura jamais rien.

Lobell tremblait toujours d’indignation.

—Vous êtes un espion, un sale espion. En sortant d’ici, je vais aller vous dénoncer au «F.B.I.». Tout de suite!

Le Chinois se mit debout, avec une lenteur impressionnante. Il dominait l’Américain d’une demi-tête. Son regard rappela à celui-ci le regard de Samy, le chat birman de Mabel. Il frissonna.

—Si vous faisiez cela, répliqua le Chinois sans hausser la voix, vous le regretteriez jusqu’à la fin de vos jours. Madame Grove est une très jolie femme... Pourriez-vous supporter de la voir défigurée? Si vous le pouviez, nous vous crèverions ensuite les yeux afin que cette image édifiante fût la dernière que vous ayez pu voir en ce monde. J’ai beaucoup d’amis, Monsieur Lobell, partout et dans tous les milieux, et vous ne pourriez leur échapper.

Lobell ne répondit pas. Il était terrorisé. L’idée de voir torturer Mabel lui broyait les entrailles.

—Je... Je ne vous dénoncerai pas, murmura-t-il. Vous pouvez me croire.

—Je vous crois. Vous n’êtes certainement pas assez fou pour faire une bêtise pareille. Vous avez aussi des enfants, Monsieur Lobell. Pensez à eux...

Il y eut un silence. Lobell ne trouvait plus la force de parler.

—Je vais vous faire reconduire, annonça le Chinois. Pour éviter d’avoir à vous frapper de nouveau, nous allons vous couvrir la tête d’une cagoule. C’est ainsi que nous procéderons demain soir, si vous êtes raisonnable.

Il frappa dans ses mains. Une porte s’ouvrit sans bruit au fond de la pièce. Lobell reconnut l’homme qui l’avait abordé au coin de Lobos Square.

—Tu vas reconduire Monsieur Lobell où vous vous êtes rencontrés. Monsieur Lobell est d’accord pour la cagoule, il sera raisonnable.

Le Chinois se tourna vers l’Américain.

—Réfléchissez bien à ma proposition, vous verrez qu’elle est pour vous l’unique porte de sortie, le seul moyen de vous tirer des ennuis qui vous guettent... D’ailleurs, je suis parfaitement tranquille, vous n’avez pas le choix.

Il sourit, s’inclina et ajouta:

—Des photocopies feront parfaitement l’affaire...

Lobell sortit sans répondre. Il était atterré.

OSS 117-Voit Rouge

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