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CHAPITRE
5

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Table des matières

POUR LA DIXIÈME fois, William Lobell examina les plans refaits; c’était parfait. Ils avaient travaillé toute la nuit et toute la journée, s’interrompant seulement un quart d’heure de temps à autre pour manger un sandwich et boire un verre de lait glacé.

Mabel était montée se coucher, épuisée, et devait déjà dormir. Il consulta sa montre: huit heures et demie; il fallait y aller.

Il plia soigneusement les faux plans et les glissa dans l’enveloppe grise, à la place des vrais que Mabel avait remis dans son coffre en remontant se coucher. Il s’engagea dans l’escalier, veillant à ne pas faire de bruit, atteignit la loggia, poussa doucement la porte de la chambre...

Mabel dormait, le visage enfoui dans l’oreiller. Il approcha avec mille précautions, se pencha sur elle, effleura ses cheveux d’un baiser... La sensation d’une présence hostile derrière lui le fit se redresser et tourner la tête. Samy était dans un coin de la pièce, près de la salle de bains. William ne voyait de lui que ses yeux phosphorescents, mais cela suffisait...

William pensa qu’il aimerait bien étrangler l’animal, l’étrangler sans se presser afin de le faire souffrir suffisamment... Peut-être un jour aurait-il cette satisfaction.

Il sortit, ferma la porte et descendit l’escalier. Il mit l’enveloppe grise dans un porte-documents en maroquin noir qui appartenait à Mabel. Ils avaient décidé ensemble qu’il était préférable d’emporter les plans pour les faire photographier par le Chinois, plutôt que de remettre à celui-ci des photocopies déjà prêtes. Cela ne pourrait que renforcer la confiance du Jaune dans l’authenticité des documents.

Il gagna l’entrée, prit son imperméable et son chapeau dans la penderie et quitta l’appartement. Il était neuf heures moins vingt minutes.

Dehors, la brume était toujours souveraine et la lumière des lampadaires n’arrivait pas à percer. On aurait dit des boules cotonneuses, vaguement phosphorescentes, suspendues au-dessus de la rue.

William resta un moment immobile sur le trottoir, essayant de décider s’il valait mieux prendre sa voiture ou non. La cloche d’un tramway à crémaillère qui escaladait la colline tinta joyeusement dans la nuit. William décida de prendre un taxi.

Il dut marcher jusqu’à Colombus Avenue avant de trouver une voiture. Sa montre indiquait alors neuf heures moins sept; il demanda au chauffeur de se presser, mais celui-ci répondit qu’il était impossible de rouler vite dans une telle purée de pois.

Assez curieusement, ce fut à cet instant que la peur se glissa de nouveau en lui. Après qu’il eut accepté l’idée de Mabel, toute angoisse l’avait quitté et il avait travaillé presque joyeusement, comme à l’élaboration d’une bonne blague...

Maintenant, subitement, il se rendait compte de nouveau combien le jeu était dangereux. Et si le Chinois, une fois en possession des plans, le tuait pour économiser cinq mille dollars? C’était peu probable, évidemment. La valeur d’un tel document pour l’adversaire résidait surtout dans le secret qui entourait sa fuite; averti de l’affaire, le Ministère de la Défense U.S. s’empresserait de changer l’emplacement des appareils radars chargés d’assurer la protection des côtes et le plan initial perdrait toute valeur. Si le Chinois était intelligent, il ne pouvait pas raisonner autrement, et la mort de William Lobell déclencherait automatiquement l’intervention des services de sécurité.

William pensait que le Chinois était intelligent.

—Voici Lobos Square, annonça le chauffeur.

—Arrêtez-vous ici, demanda l’ingénieur, au coin de Laguna Street.

L’auto s’immobilisa. William paya le prix de la course et descendit. Sa montre indiquait neuf heures deux. Il traversa la rue et longea le square en suivant Chestnut Street. Son cœur battait avec force. Pourvu qu’ils l’aient attendu!... Et s’ils étaient déjà en route pour Stockton Street, avec l’intention d’enlever Mabel pour procéder aux représailles promises?

Il pressa le pas, bousculant deux ou trois personnes sans même prendre le temps de s’excuser. Il n’y avait plus de «cop» au coin de Webster Street; le dimanche, la circulation était beaucoup moins importante que les autres jours. William s’arrêta à l’angle du square et s’adossa à la grille, au même endroit que la veille. Nouveau regard à sa montre: neuf heures quatre, presque cinq... Pourquoi était-il parti si tard? Et pourquoi n’avait-il pas pris sa voiture? Il était facile de garer n’importe où un dimanche soir et il avait perdu dix minutes à marcher jusqu’à Colombus Street pour trouver un taxi.

Le maroquin bien serré sous son bras gauche, il alluma une cigarette afin de signaler sa présence à un éventuel observateur, laissa la flamme de son briquet un peu plus longtemps que nécessaire à hauteur de son visage.

Une femme émergea du brouillard, vêtue d’un imperméable et d’un chapeau en plastique jaune. Elle marchait lentement, comme sans but, et son regard accrocha tout de suite celui de William.

—Excusez-moi, dit-elle en s’arrêtant, je cherche Buchanan Street.

Il pointa son pouce par-dessus son épaule gauche.

—C’est par là, la première à droite.

Elle hésita, lui fit un sourire prometteur.

—Vous ne pourriez pas m’y conduire?

—Vous ne pouvez pas vous tromper, répliqua-t-il avec mauvaise humeur, c’est à cinquante mètres... Là, de l’autre côté de cette rue.

Elle haussa les épaules.

—Dommage, j’avais besoin de compagnie. Vous attendez quelqu’un?

—On ne peut rien vous cacher.

Elle fut secouée d’un rire bref.

—Elle exagère de vous faire attendre dans ce brouillard.

—Bonsoir, dit-il d’un ton sec.

Elle cessa de rire.

—Oh! pardon! Je ne voulais pas vous importuner.

Elle s’éloigna du même pas nonchalant qu’elle avait en arrivant. Il pensa qu’elle avait bu; un «cœur solitaire» que le brouillard rendait encore plus triste. Une pauvre fille.

Un couple sortit d’un restaurant, de l’autre côté de Chestnut Street. La femme riait. Ils s’embrassèrent sur le trottoir, puis partirent étroitement enlacées; ceux-là étaient insensibles au brouillard, ils avaient du soleil au cœur.

Et lui, William Lobell?

William Lobell pétait de frousse. Il était neuf heures dix et personne ne se manifestait. Il décida d’attendre jusqu’à neuf heures un quart, puis de téléphoner à Mabel pour la prévenir et lui demander de n’ouvrir à personne. Elle comprendrait alors que tout n’était pas si facile...

Une grosse Buick noire, d’un modèle ancien, tourna lentement au coin de la rue. Il n’y avait qu’un homme dedans, coiffé d’un chapeau à larges bords. La voiture fit encore une vingtaine de mètres au ralenti, puis se rangea le long du square.

Quelques secondes passèrent. William retenait son souffle. Puis un homme descendit et marcha lentement vers lui.

—Vous avez du feu?

C’était le type de la veille. William lui tendit sa cigarette et demanda:

—Pourquoi arrivez-vous si tard?

Le Chinois ne répondit pas à la question.

—Venez, dit-il.

William le suivit vers la voiture. La portière arrière s’ouvrit, comme la veille.

—Vous me mettez la cagoule, hein? rappela William. Votre patron me l’a promis.

—Oui, n’ayez pas peur.

Il monta derrière où se trouvait un autre Chinois, petit, avec un visage de fouine; celui-là sans doute qui l’avait assommé. La portière se referma. L’autre monta devant et prit le volant. William pensa qu’ils étaient bien sûrs d’eux, et de lui, pour prendre aussi peu de précautions.

Visage de fouine exhiba la cagoule en satinette noire et William tendit docilement la tête. L’auto démarra.

Le trajet ne parut pas très long à William qui essayait de reconstituer le chemin parcouru, à partir des virages ressentis et des bruits entendus. Une seule certitude: on l’emmenait dans Chinatown[1].

Au terme de sa course, la voiture pénétra dans un garage. Le chauffeur descendit pour baisser le rideau de fer. Visage de fouine libéra l’ingénieur de la cagoule qui l’étouffait. Ils descendirent. Celui qui venait de fermer le garage, dit à William:

—Suivez-moi.

Il ouvrit une porte et monta un escalier que l’Américain connaissait déjà. En haut, un couloir, des odeurs de cuisine, puis la pièce, pratiquement nue, à la mode chinoise, où s’était déroulé l’entretien de la veille avec l’homme à l’oreille coupée.

—Attendez ici.

Le Chinois le laissa seul. Cette façon de le traiter redonnait confiance à William; il n’avait plus peur. Il pouvait se donner l’illusion qu’il était venu là de son plein gré pour conclure une affaire des plus ordinaires.

L’homme à l’oreille coupée entra. William ne l’avait pas entendu approcher. Il portait le même kimono qu’à la première entrevue; et il souriait...

—Je suis très content de vous voir, Monsieur Lobell, assura-t-il.

Il s’inclina. L’ingénieur ne bougea pas, il trouvait cette politesse excessive.

—J’espère que ce rendez-vous n’a pas trop bouleversé vos projets? reprit le Chinois, sans la moindre ironie. Mademoiselle Grove est une personne ravissante et il doit vous être pénible de l’abandonner, même pour quelques heures...

William Lobell répliqua sèchement:

—J’ai apporté les plans.

L’homme à l’oreille coupée parut presque choqué par cette brutalité. Il s’inclina cependant.

—Je n’en doutais pas.

—Je n’avais pas les moyens de faire des photocopies en aussi peu de temps. Aussi, j’ai pensé que vous pourriez les photographier vous-même, ici.

Le Chinois sourit.

—Excellente idée, Monsieur Lobell. Excellente idée. Voulez-vous me montrer cela?

L’ingénieur ouvrit le maroquin et en tira l’enveloppe grise. Le Chinois s’accroupit sur la natte qui couvrait le sol.

—Asseyons-nous, ce sera plus commode.

William Lobell s’assit également en tailleur et sortit les plans de l’enveloppe. Il les déploya devant eux, sans rien dire. L’autre regarda un long moment en silence puis décida:

—Vous allez m’attendre ici pendant que je vais les photographier.

Il se leva après avoir saisi les plans. Lobell eut un mouvement de crainte. Le Chinois fit entendre un rire léger.

—Ne soyez pas inquiet, Monsieur Lobell, je vous les rendrai. Si l’on savait que vous m’avez remis ces documents, ils n’auraient plus aucune valeur, vous devez le comprendre?

Rassuré, Lobell le laissa sortir; maintenant, il ne redoutait plus qu’une chose: n’être pas payé. Il avait tout de même décidé de prélever sur la somme les quinze cents dollars nécessaires au renflouement de son compte en banque; il dirait à Mabel qu’au dernier moment le Chinois avait ergoté et finalement donné que trois mille cinq cents dollars. Elle serait déçue, mais moins que de le voir arrêté et jeté en prison si le chèque de l’étole n’était pas couvert à temps. Lobell se sentait devenir raisonnable et pensait qu’il pouvait tout de même toucher à cet argent puisqu’il n’aurait rien remis de valable en échange.

Il alluma une cigarette et se leva, trouvant pénible la position assise en tailleur. Il se demanda ce que faisait Gladys, à Baltimore. Sans doute avait-elle couché les enfants; des amis étaient peut-être venus lui tenir compagnie. Elle organisait souvent des parties de cartes lorsqu’il n’était pas là. Et il n’était pas souvent là.

Pour elle et pour les enfants, il valait mieux qu’il prélevât les quinze cents dollars pour éviter le déshonneur. Personne n’en saurait jamais rien et il ne lui resterait plus qu’à se débrouiller avec sa conscience. Et à ne plus recommencer... Sans doute serait-il obligé d’expliquer à Mabel qu’il n’était pas aussi riche qu’elle paraissait le supposer. Elle comprendrait sûrement...

Il en était à la troisième cigarette lorsque le Chinois revint avec les plans et un paquet enveloppé de papier brun.

—Voilà qui est fait, annonça-t-il.

William reprit les documents, les replia et les remit dans l’enveloppe qui réintégra le maroquin à fermeture éclair.

—Et voici l’argent, reprit l’autre en défaisant le paquet. Si vous voulez vérifier.

William Lobell regarda les cinq liasses épaisses reliées par une bande de papier collé.

—Ce sont des billets de vingt, mille dollars par paquet.

William Lobell approuva d’un signe de tête.

—Je vous fais confiance.

—Vous ne voulez pas compter?

—Inutile.

Le Chinois refit le paquet et tendit les liasses à l’ingénieur qui les disposa à plat dans le porte-documents.

—Voulez-vous prendre une tasse de thé avant de repartir?

Lobell secoua négativement la tête.

—Non, merci, je préfère rentrer.

—Comme vous voudrez. Je crois que vous êtes venu au rendez-vous en taxi, nous allons vous reconduire Stockton Street si cela vous arrange.

—Je veux bien.

Le Chinois frappa dans ses mains. Le chauffeur ouvrit la porte.

—Louis, ordonna l’homme à l’oreille coupée, tu vas reconduire Monsieur Lobell à l’endroit qu’il te désignera. Cagoule jusqu’à la limite du quartier... Au revoir, Monsieur Lobell. J’espère que vous ne garderez pas un trop mauvais souvenir de cette aventure...

William Lobell sortit sans répondre et descendit l’escalier qui conduisait au garage, sur les talons de «Louis».

—Montez derrière, dit celui-ci, et mettez la cagoule.

L’ingénieur obéit, Louis ajusta lui-même la coiffe de satinette.

—Surtout n’essayez pas de l’enlever!

—Je n’essaierai pas.

Le tonnerre du rideau qui remontait, un claquement de portière, le ronronnement du moteur. La voiture partit en marche arrière, manœuvra, prit de la vitesse...

Tout s’était bien passé. L’homme à l’oreille coupée n’avait d’ailleurs aucun moyen de se rendre compte qu’il venait de se faire rouler. William avait l’argent, il était sauvé. Il se laissa aller confortablement dans le coin de la banquette et se mit à penser à Mabel...

La voiture s’arrêta.

—Penchez-vous en avant, demanda le chauffeur, que je vous débarrasse.

William se pencha en avant. Un formidable coup de matraque l’atteignit alors au sommet du crâne. Il roula sur le plancher et ne bougea plus.

Louis l’observa un instant par-dessus le dossier du siège, puis remit la voiture en marche et monta à l’assaut de Russian Hill.

Cinq minutes plus tard, il s’arrêta de nouveau dans une petite ruelle en pente, pas très loin de Stockton Street. C’était une ruelle tranquille, mal éclairée, déserte.

Louis se glissa par-dessus le dossier et fouilla l’ingénieur. Il trouva l’argent dans le porte-documents et le fourra dans ses poches. Puis il ouvrit la portière du côté du trottoir, poussa Lobell dehors, descendit et sortit son couteau.

Personne aux alentours... Aucun bruit de pas dans le brouillard... Il enfonça la lame dans le corps de l’Américain, en direction du cœur, l’essuya sur l’imperméable de sa victime, remonta vivement en voiture et repartit comme un fou...

[1]Quartier chinois de San Francisco, la plus importante colonie jaune en dehors d’Asie. Possède un standard téléphonique en langue chinoise.
OSS 117-Voit Rouge

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