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L’HOMME ET SON IMAGE.
POUR M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD[5].
Un homme qui s’aimoit sans avoir de rivaux
Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde:
Il accusoit toujours les miroirs d’être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentoit partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos dames:
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu’il peut imaginer,
N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés:
Il s’y voit, il se fâche; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau;
Mais quoi! le canal est si beau,
Qu’il ne le quitte qu’avec peine.
On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d’entretenir.
Notre âme, c’est cet homme amoureux de lui-même;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d’autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes;
Et quant au canal, c’est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.