Читать книгу Une ascension au Mont-Blanc et études scientifiques sur cette montagne - Jean Falconnet - Страница 6

Le Départ.

Оглавление

Table des matières

La première Communion de 1884 avait lieu à Magland le dimanche 29 juin, fête des Apôtres saint Pierre et saint Paul. J’avais prévu le besoin probable de quelque délassement, après les soins que demandaient les préparatifs de cette touchante cérémonie, et je m’étais promis d’aller respirer un air plus pur dans de plus hautes vallées que celle où m’a fixé la Providence. A cette fin, je ne vis rien de mieux, à l’issue de l’office du soir, que de prendre place, pour les Houches, dans le courrier de Chamonix. Toute fatigue, toute peine disparurent comme par enchantement, quand je montai sur le véhicule. J’éprouvai même une douce joie à la pensée des courses alpestres auxquelles ne manquerait pas de me provoquer M. le curé Lombard, l’intrépide alpiniste, le chantre-lauréat du Buet, de la Merde-Glace, de la Pointe-Percée, du Mont-Blanc, etc.

Mon voyage devait de plus joindre l’utile à l’agréable. Il s’agissait de soumettre à cet Aristarque émérite un petit travail littéraire, ces Fables qui devaient l’année suivante, grâce à ses judicieuses retouches, m’associer à son propre triomphe . L’agrément de lui devoir de bonnes courses allait donc se mêler au plaisir de lui devoir un peu de bonne littérature.

Neuf heures sonnaient, quand je frappai au presbytère des Houchès. L’hôte en personne vint m’ouvrir. «Bon! fit-il, cela réussit bien: nous partons demain pour la Conférence de Vallorcine.» Tous ceux qui ont l’avantage de connaître M. l’abbé Lombard, le trouveront peint dans ces mots d’après nature.

Rien de saillant dans le trajet du lendemain, si ce n’est que, par les Montets, entre Argentières et Vallorcine, je ne pus me défendre d’exprimer ce sentiment toujours plus aigu en mon âme: Est-il possible qu’il se trouve une oasis habitable, après un semblable désert de roches éboulées et stériles, et que là consente à vivre un Curé comme moi et tant d’autres?

La première partie de la matinée suivante fut consacrée à la cascade de Barberine, l’une des plus belles de nos Alpes, et peut-être de l’Europe. A quelque distance, on dirait un fleuve de lait se précipitant en flots d’écume dans un lit presque vertical. Arrivée à certain point où la roche vive est trouée en forme de puits immense et profond de quelque cent mètres, la masse liquide se précipite avec un bruit épouvantable et se résout partiellement en un nuage qui, tant que le soleil l’irradie de ses feux, resplendit d’un gracieux arc-en-ciel. Mais passons! ce que j’ai à décrire m’écrase trop d’avance, pour m’arrêter plus longtemps, même à ce chef-d’œuvre du Dieu Créateur.

Au retour, visite au premier vainqueur de l’Aiguille du Dru, pour qui le Mont-Blanc n’est plus, depuis des années, qu’une simple promenade, à M. Jean Charlet-Straton d’Argentières, au château des Frasserands.

Evidemment, ma qualité d’étranger ne me donnait pas les mêmes droits qu’à MM. Lombard et Orsat, curé de Servoz, qui étaient là de vieilles connaissances. Je dus me croire exempt des premiers frais de la conversation, et me borner à recevoir tacitement ma part des rafraîchissements offerts, et dont comprendra l’urgence quiconque a fait le trajet de Vallorcine sous un soleil tropical. Mais Mme Charlet, miss Straton, avant qu’elle ne devînt la digne compagne de son brave ancien guide, ne tarda pas à me faire sentir qu’on n’est plus un étranger, dès l’instant qu’on est son hôte. «Eh! fit-elle, en m’interpellant sans autre préambule, vous n’avez pas encore été au Mont-Blanc, Monsieur le Curé ?» Qui ne se fût senti interloqué par une semblable interpellation? Il me fallut un moment avant de trouver cette réponse: Ne va pas là qui veut, Madame. C’est qu’une autre réflexion me tenait tout entier. Est-il possible, pensais-je, qu’une femme parle ainsi, froidement et d’une façon toute naturelle, d’une chose aussi extraordinaire? Mon élonnement eût été moins grand, sans doute, si j’avais su que notre hôtesse comptait à son actif personnel quatre ascensions au Mont-Blanc. Et comme j’ajoutais que, très probablement, je n’essaierais jamais ce coup d’audace, elle reprit vivement, presque avec humeur: «Il faut y aller!» — Mais, Madame, j’ai cinquante ans. — Oh! qu’est-ce que cela fait, puisque c’est mon mari qui vous y conduira? — Alors, Madame, il faudra sans doute y réfléchir.

Mes collègues causaient pendant ce temps à voix basse et d’un air grave. Un complot se tramait, manifestement, entre eux et M. Charlet. — Eh bien! vous en êtes? me crie le groupe. — A vos ordres, Messieurs, répondis-je. Et c’est de la sorte que je fis à l’instant partie de la Société Charlet-Lombard et Cie pour l’exploitation du Mont-Blanc.

L’ascension fut fixée au surlendemain, jeudi, 3 juillet. A Chamonix, M. le Curé de Zermatt en Valais, dont le syndic revenait de la grande cime ce jour-là même, promit qu’il serait des nôtres: il ne vint pas. Il fut télégraphié à trois de nos amis: aucun ne vint. Rentrons aux Houches.

La veille du grand voyage, on s’occupe des provisions au presbytère. Toute ma part de travail consiste à soumettre ma chaussure à l’inspection. Un guide vient y procéder. C’est le frère de Jean Charlet, qui habite les Houches.

«Ces brodequins suffisent, m’assure le bon Pierre; il ne reste qu’à les ferrer: donnez-les-moi.» Il me les rapporte garnis d’une demi-douzaine de gros clous plantés à distance.

Dans l’après-midi, arrivent d’Argentières M. Jean Charlet-Straton, le guide Joseph Simond et le porteur Adolphe Simond. M. l’abbé Duvillaret, vicaire des Houches, Pierre Charlet et son fils Joseph, âgé de dix-sept ans, devaient être aussi de l’expédition. En tout, huit ascensionnistes, dont trois prêtres. On se repose, on trinque, on devise gaîment. Par où descendra-t-on, et à quel hôtel? On convient que ce sera par la vallée de neige, et à l’hôtel Cachat. On écrit alors à l’hôtelier: Lorsque, vendredi matin, vous nous verrez là-haut, saluez à la mode de Chamonix!

C’est l’heure du souper. Toute la caravane en est. Pas bruyants, nos montagnards! Pourtant, règne une gaité calme. On sent qu’il va s’agir d’une entreprise sérieuse; mais, du reste, pas ombre d’inquiétude sur les visages. On fait les sacs. Puis, M. Charlet ayant dit qu’on se lève à minuit, chacun se retire pour faire un somme. Tous sont sur pied aux douze coups de l’horloge.

A une heure dix minutes du matin, une lanterne ouvre la marche dans la direction du pavillon de Belle-Vue, à travers les ravins et les sapinières, sur le sentier étroit et scabreux qui conduit au Col de Voza. Avant de sortir de la forêt, nos hommes font une perche avec un petit mélèze sec, long de quatre mètres environ. Nous en saurons plus tard la destinée glorieuse.

A trois heures vingt minutes, nous frappons à la porte du Pavillon, qui se dresse gentiment au sommet d’un col, d’où l’on a en effet belle vue. L’hôtesse, qui y passait sa soixante-unième saison, descend des combles avec sa servante. Il fait froid, et je suis tout en nage. Elle fait bon feu et j’en profite délicieusement. Une tasse de café noir, puis une autre de vin chaud, agrémentent notre station de soixante minutes.

On s’engage dans les pâturages qui dominent le hameau de Bionnassey. La pente en est parfois si rapide, qu’un seul pas manqué mènerait loin, et j’entends nos hommes se dire: «Nous faisons nos plus mauvais pas.» J’eus la naïveté de prendre ce propos au pied de la lettre, et cela me donna courage.

Arrivés dans la plaine, ou mieux dans le vallon peu incliné qui s’étend jusqu’au glacier de Bionnassey, nous mettons une demi-heure à rejoindre les premiers contreforts de l’Aiguille du Goûter. C’est le cas de dire nos petites-heures, et bien nous en prend.

Les assises de l’Aiguille sont tapissées de rhododendrons. A peine y a-t-il place pour d’autres plantes. Un sentier tracé par les moutons va être notre route. Deux ou trois roches sont déjà escaladées. Je me vois à des hauteurs qui me donnent la sensation du vide. Il y a là un grand pas à faire, sur une roche lisse. Il faut mettre le pied dans la seule concavité qu’elle offre. L’enjambée est en essai; mais, pourrai-je la faire? Et voilà que le doute me donne un commencement de vertige. C’est alors que je me sens quelque part un piolet mis en travers, et qui me lance par dessus bord sans que je m’en aperçoive. Cette vigoureuse poussée du porteur Simond m’a délivré une fois pour toutes du mal dont j’éprouvais les premières atteintes.

Devant nous, grimpe à distance un grand troupeau de moutons. Il fuit au prorata de notre marche, mais toujours en droite ligne sur nos têtes. Nous poussons des cris, il y est répondu par le bêlement d’un seul. Nous voudrions les voir tirer à droite ou à gauche, et nous soustraire par là au danger des pierres qu’ils détachent; ils s’obstinent à prolonger nos inquiétudes. Ce n’est qu’au moment où nous quittâmes nous-mêmes leur terrain, pour prendre la direction de Pierre-Ronde, que nous en fûmes débarrassés.

Les rhododendrons sont devenus de plus en plus clairsemés; des tiges naines de plantes diverses croissent à leur suite; elles disparaissent à leur tour, pour ne plus laisser voir, de distance en distance, que la renoncule des glaciers. Nous touchons aux névés, il est temps de lester les sacs. L’opération, suivie de repos, dura cinquante minutes. Quel brillant appétit, en face du glacier de Bionnassey, et quelle distraction agréable que de contempler la majestueuse Aiguille de neige qui porte ce nom, à 4,061 mètres d’altitude!

A dix heures trente minutes, nous foulons sous nos pieds ceux de notre Aiguille. Est-elle effrayante, celle immense pyramide roussâtre, toute hérissée de pierres qui se disloquent? C’est à la tète de ce monstre que nous devons gravir. On voit très haut devant soi, le bout de ce qu’on aperçoit touche au ciel, mais il s’en faut de beaucoup que ce soit la tête de l’ancienne Aiguille-Blanche. Que de zigzags, de tours et de détours, pour avancer sur ces pierres pourries et roulantes!

Vers le milieu, il prend à chacun une soif intolérable. On se traîne aux glaces voisines. Un soleil très ardent en fait suinter de l’eau goutte à goutte. Nos chapeaux la recueillent, et nous l’absorbons, aussitôt une gorgée prête, avec une avidité indicible. Mais ces gouttes tombent trop lentement sur les ailes repliées de mon couvre-chef et je supplée à leur insuffisance par des bouchées de neige. On m’assure que j’aurai à regretter cette imprudence, mais le moyen d’arrêter la satisfaction d’un besoin invincible?

Ce dangereux passe-temps dura quinze minutes, après lesquelles on se remit à grimper. La sueur de mon front ne tombait pas comme l’eau de tout-à-l’heure, elle coulait, elle ruisselait de manière à m’inonder la poitrine; et j’étais littéralement trempé, baigné, quand nous touchâmes enfin aux névés qui forment l’arrête nord de l’Aiguille. Là, on s’attache à la corde, à environ trois mètres de distance les uns des autres, et vogue la galère... sur la glace! Après quelques pas, l’abbé D. s’étend tout de son long entre les lèvres d’une crevasse, mais elle ne fut heureusement pas assez large pour l’attirer plus bas qu’à ras du sol. Cet accident nous fut un conseil de prudence. Nous touchons enfin à la cabane du sommet. Il était deux heures trente minutes. Quelle joie! Mais quelle désagréable surprise! La cabane est remplie jusqu’au faîte de neige durcie, et il ne faut pas moins de deux heures pour la déblayer. Outre que les planches en sont mal jointes, les derniers voyageurs de la précédente année avaient encore laissé ouvert le guichet qui y tient lieu de fenêtre.

Pendant le déblaiement, je me blottis derrière la paroi opposée au vent régnant. C’était du côté du soleil, dont les rayons me préservèrent de prendre froid après avoir eu si chaud. Là, mes habillements, qui étaient mouillés de sueur comme si je fusse sorti de l’onde, séchèrent parfaitement en moins de dix minutes, et j’eus ainsi la preuve de la puissance de l’évaporation, au milieu de l’air sec et vif de ces hauts parages.

La cabane est enfin déblayée. On a mis au jour un petit poële, deux assiettes, quelques verres et une cruche à moitié pleine d’eau. Le fourneau est mis en place. On le bourre du bois que nos hommes avaient porté pendant dix heures dix minutes, depuis le Pavillon de Belle-Vue. Une bouteille de café tout préparé est tirée d’un sac. Chacun soupire après le soulagement qu’il en espère. Elle tombe à terre et se brise! On y supplée par du vin bouilli. C’est bon, c’est délicieux; mais c’est à peine un remède à une soif dévorante. On passe à des infusions d’achillée argentée, appelée en Savoie le thé de montagne. C’est plus désaltérant que le vin. J’en reçois ma part congrue; mais, elle est loin de suffire, et je l’augmente au possible, tandis qu’elle est bouillante, en jetant dans la tasse des pincées de neige. On ne fut pas guéri de la soif, même après en avoir prix cinq à six tasses, mais l’on fut du moins assez soulagé pour garder bonne patience.

Sur ces entrefaites, les deux Simond s’étaient attachés à la corde pour aller explorer les lieux, en vue du trajet à faire le lendemain avant le jour. La consigne était de revenir au bout d’une heure. Nous ne les revoyions toujours pas, après deux heures d’absence. Les frères Charlet commencent à devenir taciturnes, quoique de figure impassible. Ils se parlent à voix basse. Puis, soudain, M. Jean dit: «Il faut aller voir!» Je demande à M. Pierre: Croyez-vous à un malheur? — «Mais!...» fait-il, comme pour exprimer qu’il est deux fois certain qu’ils ont péri.

Mes confrères et les trois Charlet s’enchaînent selon la méthode, et les voilà partis! Et me voici seul! J’éprouve à l’instant un sentiment indicible. Seul, à 3873 mètres au-dessus de la mer, au milieu des glaces éternelles! Quel malheur, si ces deux hommes sont engloutis! Quel malheur plus effroyable, si les autres allaient périr eux-mêmes! Car, voici que d’épais nuages montent de toutes parts des vallées, avec une rapidité incroyable, vers les hautes cimes. Et déjà les éclairs les sillonnent dans le Val de Mont-Joie. C’est tout à l’heure la tempête au sommet des Alpes. Et te voilà seul!... Mon angoisse était des plus vives, mais, je l’affirme! ce n’était nullement le sentiment de la peur. Me sentant comme défaillir, je rentre dans la cabane. Je n’avais point froid, et pourtant les deux mâchoires battaient convulsivement l’une contre l’autre, et je tremblais de tout mes membres. Mais, à peine assis devant la bouche à feu du poële, mon malaise passa instantanément. Je sors. Quelle joie! Des flancs de Dôme, deux hommes descendent d’un pas ferme. Je crie aux autres de toutes mes forces: Ils sont ici! Et quelques minutes plus tard, nous étions de nouveau réunis, mais en pleine tempête.

Le vent, très violent et très rapide, faisait un bruit qui ne ressemblait en rien aux orages de la plaine. On eût dit le frémissement d’une cascade lointaine, de quelque côté que l’on prêtât l’oreille. Des masses de nuages couraient aux alentours avec une rapidité vertigineuse. Eclairs et tonnerres se succédaient sans interruption. Mais les premiers n’avaient pas l’éclat, et les autres ne rendaient pas le bruit auxquels nous sommes accoutumés. Les éclairs s’apercevaient à peine, tant ils étaient pâles; ils me faisaient l’effet que produit un moucheron passant devant les yeux; et les coups de tonnerre étaient secs, peu retentissants et sans écho. Enfin, les nuées nous enveloppent, avec tout leur attirail de vent, de grêle et d’électricité. Le vent souffle en ligne horizontale. Parfois même, on dirait qu’il frappe de haut en bas. Il est si violent, qu’il menace à chaque bouffée d’emporter la cabane. La grêle se compose de globules ronds comme des pois, et légers comme de la moelle de sureau, tel qu’il arrive en certaines grêles de printemps. Quant à l’électricité, les nuages en ont une telle charge, qu’elle fait rendre aux piolets, plantés devant la cabane pour faire fonction de paratonnerres, un son de bouillotte pareil à celui des fils télégraphiques sur nos grandes routes. Tandis que les piolets chantent, j’éprouve une sensation étrange dans les cheveux. On dirait une multitude d’insectes y prenant leurs ébats, en soulevant chaque tige; et comme j’en étais à abattre des deux mains ces habitants imaginaires, M. Lombard me rappelle à la réalité de la chose en disant: «Sentez-vous l’électricité ?» Oh! que c’est donc beau, curieux et imposant, une tempête au bout d’une grande Aiguille!

Cependant le ciel s’éclaircit peu à peu. Les nuages dévalent assez rapidement, et la journée finit par un superbe coucher de soleil.

Donnons une idée de notre cabane. Des poutres enfoncées dans la roche et garnies de pierres jusqu’à une certaine hauteur, en constituent les suppôts et les angles. En travers de ces poutres courent des planches dont les jointures ne sont pas un obstacle complet à l’entrée de la neige. Le toit est en bardeaux solidement cloués. A gauche en entrant, se dresse près de la paroi le petit poële en fonte, avec son tuyau replié à environ 50 centimètres de hauteur pour rejeter la fumée par une planche trouée. A droite, c’est la table, c’est-à-dire une planche qui se lève ou s’abaisse à volonté, et que maintient horizontalement un simple bâton, comme dans les chalets. A une petite distance de la porte, s’étend un plancher à environ 40 centimètres au-dessus du sol. Il a le grand inconvénient d’être fixe, d’occuper toute la case et d’empêcher de s’y pouvoir tenir debout; tellement qu’il ne reste de place à se tenir droit que pour quatre personnes, au-devant de cette construction gênante.

C’est dans cette huile primitive que les huit ascensionnistes, moitié assis, moitié sur les deux jambes, n’en font pas moins honneur aux provisions de bouche. Seul, M. J. Charlet s’oublie pour préparer et servir à la caravane une série de cinq à six bouillons. Quand je dis bouillon, il ne faudrait pas prendre le mot in sensu obvio. Il s’agissait tout simplement, tantôt d’une eau teinte d’un peu de vin, tantôt d’infusions où le thé de montagne n’était guère gâté par trop de sucre. Ah! c’est que notre cuisinier s’était dit sans doute qu’il fallait faire vie qui dure. Nonobstant, pas un qui eût voulu donner sa part au chat pour tout au monde. Je pense, si j’en peux juger par la diminution sensible de ma soif, que toute la compagnie finit également par ne plus trop en souffrir.

Tous étant restaurés tant bien que mal, il fallut procéder, en vue du grand voyage du lendemain, à certains frais de toilette que je veux dire, bien que la chose ne soit guère dans le genre des séduisantes. Voyez, aux lueurs d’une bougie engagée dans un goulot de bouteille, ces huit hommes assis en deux rangs sur le plancher! Ils ont tiré leurs guêtres et leurs chausses. Un papier rempli de je ne sais quoi circule de mains en mains. Chacun en retire du bout du doigt une matière gluante dont il se barbouille la plante des pieds et les orteils. Qu’est-ce que cela, et dans quel but? Du saindoux, et pour n’avoir pas les pieds gelés dans les glaces. Ils les savent toutes, ces braves montagnards! Et vous verrez que la précaution n’était pas inutile.

On allait s’étendre sur la planche, après cette singulière toilette. D’aucuns étaient déjà en position horizontale, lorsque le brave M. Charlet dit d’un ton grave: «Est-ce qu’on ne fait pas la prière, ici?» Je vous assure que je n’ai rien ouï de plus beau en ma vie que ce pieux: Est-ce qu’on ne fait pas la prière? Aussi, moi, prêtre, n’étais-je pas sans quelque confusion, à cet appel si chrétien d’un laïque. Je dois ajouter pourtant, à la décharge des trois ecclésiastiques présents, qu’ils avaient déjà longuement prêché d’exemple, puisque, sur un seul bréviaire, ils avaient successivement récité Matines et Laudes. Mais c’est égal, Jean Charlet est un croyant robuste, et je ne m’étonne plus des bénédictions dont Dieu l’a comblé, et qui continuent de le rendre heureux et honoré de tout le monde.

On fait à haute voix la prière. Tous répondent. Puis, chacun se confie, sur le flanc et en ligne parallèle, aux planches toutes mouillées, avec une seule couverture pour matelas, et sans moyen de changer de position. Huit à la file, soufflant dans les reins l’un de l’autre! Voyez-vous ce fond de boîte à sardines, à la différence près que les tètes sont toutes du même côté !

Meurtri au bout d’une mortelle heure, et n’ayant pu fermer l’œil, je me lève pour jouir du spectacle, en rallumant la bougie. C’était pittoresque comme une famille de Polonais dormant sur ses grands fourneaux. Quel charme d’entendre le souffle long et régulier de ces larges et robustes poitrines! Vrai, les mieux dotés en constitution ne doivent pas avoir de ces souffles à Paris. Et comme on sent là des poumons développés par l’air vif des montagnes!

Il allait être onze heures et demie. Je m’ennuyais à veiller seul, quoique possédé d’une belle envie de clore les paupières. Le feu, là surtout, ne peut qu’être un compagnon agréable, et je fais bon feu. Bon feu? c’est bientôt dit. Le bois flambe peu, à ces altitudes; il se carbonise simplement, et il faut l’agiter de temps à autre pour avoir un peu de flamme et des braises. Tel est l’effet bien sensible de la raréfaction de l’air.

Voyons, au dehors, quel temps se prépare. La lune, près de son déclin, était noyée dans les nuages. — Quel temps fait-il, me demande M. Charlet? – Ciel couvert, par ci par la, et la lune boit. — Ah! mauvais signe. Quelle heure? — Minuit. — Alors, il faut se lever. — Et aussitôt dit, aussitôt fait. Les autres s’exécutèrent moins facilement; mais tous furent sur pied à une heure.

Le déjeuner, partie chaud, partie froid, est des plus simples: une tasse de vin bouilli, sur laquelle chacun opère à son gré en cassant une croûte. Ma soif de la veille était complètement passée. J’étais tout guilleret et alerte, avec complication, néanmoins, d’un sentiment intime que je ne puis rendre. Ce n’était pas de l’inquiétude, et pas davantage de la peur. C’était comme une prévision que je n’atteindrais pas la grande cime, ou mieux, comme l’idée que je me faisais une illusion complète, et qu’en réalité aucun de nous n’y parviendrait.

L’Arrivée.

Il est deux heures trente minutes. On charge bagage. J’ai fini le premier, étant comme le quatrième officier à la sépulture de Malboroug. On forme la chaîne, et en avant dans la direction du Dôme! Le thermomètre marquait trois degrés de froid. Sur le Dôme du Goûter, où le jour était déjà convenable, sans être encore le grand jour, sept degrés au-dessous de zéro; et cependant la sueur ruisselait de mon front. Presque plus de montée, de là au Rocher des Bosses. J’ai le temps de sécher et de grelotter plus qu’à mon envie dans le trajet. Il souffle un vent glacial et continu. Il me coupe la respiration, mais les jambes sont comme toutes neuves. Il vient du côté de la grande lueur qui, là-bas à l’horizon et à notre niveau, annonce bientôt le lever du soleil. Qu’il est noir et effrayant ce Mont-Cervin trônant sur le Vallais! Mais que l’aurore est belle, quand elle couronne cette longue chaîne de monts gigantesques! Et comment une prière enthousiaste pourrait-elle ne pas s’échapper de l’âme croyante pour monter par-delà cette immense aurore?

Il était cinq heures trente-cinq minutes, lorsqu’il nous fut. enfin donné de nous abriter derrière le Rocher des Bosses. Quand l’air ambiant donnait — 7°, il devait y en avoir — 10° à la surface de la neige. Mais il paraît que cette température est impuissante à geler des orteils qui nagent dans le saindoux. Que l’on rie, après cela, de notre toilette d’hier! J’eus froid, cependant, mais seulement au visage, les mains étant suffisamment protégées par d’épais gants de laine. On nous avait averti, du reste, de toujours remuer les doigts des pieds dans les halles nécessaires, et d’avertir, sitôt que nous éprouverions de l’engourdissement aux pieds ou aux mains. Seul, le jeune Charlet dut pousser une fois le cri d’alarme. Son père lui battit les phalanges de toutes ses forces, et l’accident n’eut pas de suite. Moi, je garde, depuis cette matinée, de la sympathie pour le saindoux, ainsi qu’un grand souvenir d’admiration pour le lever du soleil derrière les Alpes. Quel saut il a paru faire du sein des neiges, et comme ses premiers rayons, bien qu’ils se fissent sentir à peine, ont paru me dégeler instantanément la figure! Astre de la veille et astre de ce matin, bénissez le Seigneur: Benedicite sol et luna Domino!

Quinze minutes d’arrêt sous notre Rocher, en face des Bosses du Dromadaire, Mon Dieu! sont-elles lourdes et sveltes, belles et disgracieuses, effrayantes et enchanteresses, ces terribles et interminables Bosses! Figurez-vous les arêtes du toit d’un manoir féodal: Même inclinaison, ou peut s’en faut, avec une longueur démesurée en surplus. C’est là, par la fine crête, que nous voici engagés. Il faut, pied à pied, à mesure que le guide-chef a pratiqué un trou dans la glace, se maintenir à mi-pied, et avancer lentement et sans perdre courage.

La première Bosse commence par un bourrelet de glace extrêmement difficile à franchir. Les pas que le piolet du guide a marqués sont trop distants pour mes jambes trop courtes. J’en suis à me demander comment faire? L’instrument du porteur Simond ne me fait pas attendre la réponse; et, comme aux bases de l’Aiguille du Goûter, je me vois transporté au-dessus de la situation, avant d’avoir achevé mon comment faire.

Mais qu’est-ce donc qui me préserve du vertige en ces sublimes horreurs? J’y suis sujet, je n’ai jamais pu traverser le Pas-du-Saix sous Areu, en allant bénir les chalets de Chérantaz, à l’ouest de Magland, sans me sentir attiré dans le vide, sans heurter le rocher et me cramponner des mains aux pierres saillantes; et je n’ai pas l’ombre de ces impressions sur cette arête effilée! Et pourtant, à droite, à gauche, derrière moi, partout, ce sont des abîmes insondables. Je le sais, je le vois, j’y pense, je regarde: et pas le moindre symptôme d’étourdissement! Ce phénomène me restera longtemps un mystère, à moins qu’il ne faille l’expliquer par l’illusion des perspectives sur ces champs de glace.

Autre fait non moins remarquable: Une fois par les Bosses, on voit, à chaque pas en avant, descendre d’autant les Aiguilles d’alentour. On les dirait douées d’un mouvement propre. Elles semblent s’affaisser toutes ensemble, lestement, quoique lourdement; descendre en cadence, encore et toujours de même, au fur et à mesure de votre ascension. Je ne sache pas d’effet plus saisissant, et il vient à l’àme ce sentiment qui l’absorbe tout entière, dont elle ne peut plus se dessaisir et qui monte bientôt au paroxysme de l’enthousiasme: que Dieu est grand! que Dieu est grand!

Mais que ces Bosses sont donc ennuyeuses! Pas un mot, parmi cette grappe humaine rivée à leurs arêtes. On a bien assez à faire de souffler. Je souffle ces mots par intervalles: y sommes-nous bientôt, quand donc y serons-nous? En voilà une de gravie. C’est la plus difficile et la plus longue Elle nous porte à 4672 mètres au-dessus des harengs et des cétacés. Oh! qu’il fait bon reprendre haleine sur sa tète! Mais en voici une autre, et je n’en puis plus. Or, c’est curieux comme il est ici exact de dire: il n’y a que le premier pas qui coûte. Enfin, la dernière est gravie, et nous sommes en face de la grande cîme!... Est-elle gigantesque et écrasante!... J’en tressaille d’horreur et de transport! Chose incroyable! J’ai moins que jamais la persuasion que je vais toucher au faîte. C’est en flanc qu’on l’attaque. C’est droit devant soi que l’on avance. On va plus vite que par les Bosses. Est-ce impatience?... le guide-chef ne prend plus la peine de creuser la neige. Cette fois, en sentant mes pieds sur la glace unie, en pensant où j’irais en cas de chute, en songeant qu’un seul pourrait entraîner toute la troupe; oui! cette fois, mes genoux ont tremblé, ont éprouvé comme une paralysie, ont battu l’un contre l’autre: J’ai eu peur!

Mon effroi d’un instant s’évanouit. La certitude du triomphe me donne un courage plein d’ardeur. C’est comme si je me sentais des ailes. Je les devancerais tous, il me semble, si je n’étais rivé à mon rang par la corde. Plus que quelques enjambées... La pente s’atténue... Il n’y a plus de montée... Le monstre est vaincu!...

C’est une joie folle, c’est de l’ivresse, c’est du délire! On s’arrête immobiles. On respire haletants sans plus remuer que des statues. Pas un mot n’interrompt le silence de mort de cette solitude aérienne. On n’est plus de ce bas monde. On est si haut, si loin, et l’on voit tant de choses! On les voit toutes à ses pieds, et l’on est pris de sentiments indescriptibles. Nous dominions l’arête nord-ouest du Géant. Il était huit heures quarante-cinq minutes. Nous étions restés deux heures cinquante minutes par les Bosses.

Un soleil radieux brillait, là-bas, à notre niveau. Tel est du moins l’effet qu’il produit là, étant non loin de son lever. Deux coups de canon arrivent de Chamonix à nos oreilles. C’est la réponse de l’hôtel Cachat à la lettre de l’avant-veille. Une légère concavité nous sépare du sommet méridional. Ce dernier est plus large. On y sera mieux à son aise. Deux autres coups de canon saluent notre transfert. C’est là qu’a lieu notre dernier campement.

Que dire du spectacle? Il vous saisit, vous captive, vous subjugue! Je m’attendais à beaucoup d’étonnement. Je me sens étonné au delà de toute imagination. Que l’éternel Infini est bien la Beauté éternelle et sans limites, puisqu’il offre un tel panorama aux mortels! L’Infini, il me semble que je le vois, le touche et le palpe, tant cet horizon, à perle de vue et sans encombres, m’en donne comme la pénétration. Et que sera-ce donc d’un Dieu si grand dans ses œuvres?

Daignez agréer, ô mon Créateur, mon Roi et mon Maître, le chant de l’adoration, de la reconnaissance et de l’amour que je vous adresse, charmé et ravi, de la sommité du Mont-Blanc!

Mon état psychologique et physiologique est indéfinissable. Je n’habite plus la terre. Je me vois transporté comme sur une autre sphère. Je sens un vide plein d’horreur. Cette série de grandes carcasses rocheuses, béantes, immobiles, interminables, fait naître l’admiration et l’effroi tout ensemble. Il me semble que le bloc de glace qui me porte n’est pas solide. La neige qui cède sous mes pieds est comme le signal de son effondrement. Je vais glisser, malgré que j’en aie, irrésistiblement, sur ses flancs rapides, et m’abîmer dans des gouffres sans fond. Tout m’apparaît grandiose, et tout m’est horrible. Je ne puis me rassasier du spectacle, et à tout moment je me dis que c’en est assez. Je ne voudrais pas être là, et il va m’en coûter énormément de ne plus y être. Il y manque la vie. Un animal quelconque, un moucheron, un brin d’herbe, m’y causeraient une joie infinie, tant le moindre objet y ferait contraste avec cette mort froide, glacée, qui m’enserre de près et de loin.

Je n’éprouve aucun malaise. Je respire librement et à pleins poumons. Je ne ressens aucune lassitude. L’accident que je dirai tout à l’heure ne m’inquiète pas le moins du monde. Et pourtant je n’ai plus les sensations de la vie habituelle. C’est une manière d’être tout à fait insolite, où les hommes d’en-bas n’ont plus rien de commun avec ce que mes sens éprouvent. Et voilà pour le physique.

Mon esprit goûte des jouissances à part, et qu’il n’a jamais eues. Mon cœur savoure avec délices les grandes œuvres de mon Créateur, splendides, radieuses sous les flots lumineux de son grand astre. Tout me semble petit chez les hommes auprès des grandes Alpes que je domine. Et pourtant je me sens pris comme de marasme, de tristesse, presque de dépit, devant celle nature inerte, vide, stérile, bouleversée, et qui me glace l’âme. Et tel est mon état moral: une situation, je le répète, absolument indéfinissable.

Je ne puis mieux rendre le sentiment qui domine mes émotions multiples et diverses que par cette comparaison: Lorsqu’on a lu ou entendu la description d’une merveille de main d’homme, et qu’on a le plaisir de la visiter un jour, il vient pour l’ordinaire à la pensée de se dire: N’est-ce que cela? ou bien: C’est beaucoup, c’est admirable, c’est magnifique; mais je m’attendais à plus d’étonnement. Or, au Mont-Blanc, l’étonnement est plus grand que son attente, la réalité plus imposante que toutes les descriptions les mieux faites, et l’on emporte à jamais le sentiment qu’il est infiniment au-dessus de tout ce qu’on en saurait rêver.

On domine de là, mais avec la sensation d’une hauteur qui épouvante, toutes les chaînes alpestres. Les cimes les plus renommées et le plus en vue se sont abaissées, mais sans rien perdre pour autant de leur beauté caractéristique et imposante. Chacune d’elles se détache avec grâce des massifs qui l’encadrent, et monte vers les cieux dans ses atours spéciaux. On les reconnaît toutes à première vue, et toutes sont belles encore, même à ses pieds. Ainsi, dans la direction du nord, du Buet majestueux et colossal. Ainsi, à l’orient, de la masse noirâtre du Cervin. Ainsi, plus loin, des pointes resplendissantes du Mont-Rose . Ainsi, au midi, du fier sommet du Mont-Viso. Ainsi, à deux pas, de la grandiose Aiguille-Verte et des Grandes-Jorasses... Il n’est pas jusqu’à nos pics de troisième ou quatrième grandeur, tels que la Pointe-Percée, le Jalouvre, la Tournette... qui n’apparaissent très distinctement avec leur cachet propre.

Ce matin-là, les brouillards qui couvraient toutes les vallées à notre départ de la cabane, et qui ne laissaient pas de nous causer de l’inquiétude; ces menaçants brouillards s’étaient transformés partout en splendides tumulus plus blancs que la neige. On les voyait suspendus, assez haut pour permettre au regard de plonger jusqu’au fond des vallées les plus lointaines, mais pas assez haut pour nous dérober aucune des cimes importantes. C’étaient toutes les Alpes guirlandées de ces couronnes d’un nouveau genre, et la couleur vive et éclatante de ces nuées formait la plus agréable des nuances avec le blanc mat des neiges éternelles.

Que de fois j’ai tourné sur mes talons sans remuer de place! Que de choses à voir, après tant d’autres déjà vues! Et combien que je revoyais avec un plaisir toujours nouveau! Un curieux effet, qui est d’ailleurs commun à toutes les vallées que nous distinguons du haut de ce belvédère sans rival, c’est que la vallée de Chamonix semble être à nos pieds et toute petite; et les maisons, les grands hôtels de la ville font l’effet de ruches posées par terre. Mais assez d’une description que je ne saurais pousser au-delà d’une simple ébauche.

Pendant notre séjour, qui fut de trois quarts d’heure, d’aucuns ont joui du spectacle en fumant la pipe. J’ai pensé, mais sans en rien dire, que l’unique bouteille d’Yvorne apportée là était bien trop petite. Une goutte de rhum versée sur un morceau de sucre pour chacun m’a aussi paru en être le complément trop modeste. J’ai appris plus tard qu’il n’en fallait pas davantage, à moins de s’exposer à des malaises. D’où une reconnaissance qui a grandi encore envers M. Charlet pour une attention que j’avais estimée à tort insuffisante, bien que j’y eusse senti et savouré la plus utile, la plus nécessaire, la plus urgente, la plus agréable, la plus douce et la plus réconfortante des surprises.

Ainsi réconfortés, nous devisions avec transport des mille merveilles qui rayonnaient autour du géant central. Les érudits du groupe m’ont été précieux pour la désignation de celles qui m’étaient inconnues, et sur lesquelles ils me donnaient les renseignements désirables. Un guide m’apprit, non sans orgueil, qu’il se voyait pour la trentième fois à cette place. M. Charlet ajouta modestement qu’il y était pour la vingt-et-unième. Notre confiance reposait donc sur des jarrets longuement éprouvés.

Le lecteur se souvient peut-être du petit sapin ramassé dans la forêt des Houches. Pour lui aussi, le jour de gloire est arrivé. Une étoffe aux couleurs de Louise Michel est solidement fixée à sa pointe. On enfonce la hampe à un mètre dans la glace. L’étendard flotte dans les airs, et Chamonix l’honore de deux coups de canon. Mais que va-t-on penser de ce drapeau rouge, arboré devant trois ecclésiastiques, sur la tète de tous les descendants de Japhet? On ne pourra en penser mal, quand j’aurai dit que cette couleur avait été choisie pour qu’elle fit un plus grand contraste avec les neiges. Et de fait, lorsque je l’ai revu, au bout de la grande lunette de l’hôtel Cachat, il produisait un effet des plus saisissants, au beau milieu de la cime blanche, et j’ai su plus tard qu’on l’y admirait encore après plus d’un mois.

Les variations de la température furent celles-ci: 0° à l’arrivée, + 11° au soleil un quart d’heure après, et encore 0° pendant le dernier quart d’heure. Durant cette grande baisse du mercure, de onze degrés de chaleur à zéro, j’éprouvai dans le palais une douleur insolite et qui se prolongea rapidement jusqu’à l’estomac. C’était comme un soulèvement des membranes. J’en référai à M. Charlet, qui répliqua: «Je vous disais bien qu’il ne fallait pas manger de la neige!» Mon accident lui fit sans doute accélérer le départ, car il donna l’ordre aussitôt de lever le camp. Il était neuf heures précises.

Une ascension au Mont-Blanc et études scientifiques sur cette montagne

Подняться наверх