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Le Retour.

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L’effroi me saisit un instant en plongeant la vue sur la première descente et en songeant aux suivantes. Il y fallait une pose toute contraire à celle de la montée. Je devais appuyer le talon dans les creux de neige, au lieu de la pointe des pieds, et me tenir bien droit, au lieu de me plier en avant. L’instinct de la conservation me rendit fidèle à la première partie du programme; mais ce même instinct, m’égarant sur la seconde, je marchais profondément incliné. C’est que, le vent me faisant pleurer, et n’ayant d’ailleurs plus guère bonne vue, je pensais qu’il était sage de voir les trous de près, afin de n’en point manquer. On me rappela à l’ordre, et j’allai dès lors droit comme un piquet. Le trajet me fut sans encombre ni accident jusqu’à la grande Bosse, la dernière à descendre. Mais là, le pied me manque, et je roule soudain, dans la direction du glacier du Miage, de toute la longueur de ma part de corde. Où serais-je, mon Dieu! sans cette corde providentielle? Simond me fait rentrer en ligne d’un tour de main, et nous rejoignons sans autre accident les sacs confiés au Rocher des Bosses.

On eut là, successivement, pendant un arrêt de 40 minutes, cinq degrés, puis trois, puis onze de chaleur. On déjeûne; mais je n’ai ni faim ni soif. Je travaille cependant comme si j’éprouvais ces deux besoins, dès l’instant qu’on m’assure qu’il est le cas ou jamais de ramasser des forces. C’est de ce déjeûner que m’est venue la comparaison de notre lit de camp sur l’Aiguille du Goûter, le prévoyant -M. Charlet m’ayant montré comment reposent des sardines au fond d’une boîte . Avant d’y pouvoir mordre, je dus me débarraser d’un coup de dents d’une affaire qui flottait désagréablement dans le palais: c’était la membrane qui s’en détachait en partie, second effet et dernier châtiment de ma gourmandise à dévorer de la neige.

Nous avions quitté la corde pour mieux goûter les charmes d’un repos libre. Nous la reprîmes pour... laisser à gauche le chemin de notre Aiguille et prendre à droite celui du Grand-Plateau. Oh! que la Vallée de neige est un long champ de glace! Trois mortelles heures pour la franchir jusqu’aux Grands-Mulets, sous un soleil dardant tous ses feux, avec une chaleur de douze, puis de vingt degrés, par des surfaces éblouissantes, abîmant la vue, et à travers plusieurs crevasses.

Plus nous descendons, plus la neige est mauvaise. On enfonce d’abord jusqu’à la cheville, puis jusqu’aux genoux, et enfin jusqu’à mi-corps. Etant le moins bien partagé en stature, je m’y trouvai pris plusieurs fois sans pouvoir remuer. Mais le vigoureux poignet de Simond avait bientôt fait de me remettre à flot.

Il paraît qu’il est dans les us et coutumes de céans que le guide-chef de la montée passe à l’arrière-train pour la descente. Quoi qu’il en soit, c’est le dernier de l’ascension, Pierre Charlet, qui tient celle fois la tète de ligne. Je maugrée contre la vitesse et l’étendue de ses pas, mais j’admire son extrême prudence. Quand il rencontre, dans le sens transversal, des sillons peu ou bien dessinés, quoique recouverts de neige, il tâtonne, il sonde ces lignes suspectes, et, qu’il découvre ou non une crevasse, il avertit, en donnant l’exemple, qu’il faudra sauter. La plupart du temps, les crevasses sont dessinées jusqu’à la surface; et alors, ou elles sont trop larges, ou non: on les saule dans ce dernier cas, on les contourne dans le premier, jusqu’à un point où le saut ne soit pas trop périlleux.

En bas du Grand-Plateau, à quatre ou cinq kilomètres au-dessus des Grands-Mulets, les pentes, devenues une vallée plus rétrécie, quoique très large encore, changent complètement d’aspect. Le niveau n’est plus aussi égal. On n’a plus sous les pieds ni autour de soi de grandes nappes unies. Ce ne sont de toute part que des brisures de glace, des monceaux de toutes tailles et de toutes formes, en retrait ou en voûtes, verticaux ou surplombant, en seracs ou en longues traînées, en blocs superposés ou errants; offrant le tableau le plus bizarre et le plus affreux. C’est le trait bien caractéristique d’une nature tourmentée et sans cesse en mouvement, de ces vastes vomitoires déchargeant le trop-plein des hauts névés et donnant naissance à ces puissantes laves d’un vert pâle qui courent jusqu’à la lisière inférieure des bois, et qui sont connues sous le nom de glaciers.

Parvenus à un certain point de cette nature étrange, sur un tertre dominant des obélisques de glace des deux côtés, je vois M. Charlet tirer du sac une arme à feu. Que veut-il donc faire? Il n’y a par là ni un chamois, ni une mouche. La capsule éclate, le coup part, et... rien! On commande de crier. Nous poussons de grands cris tous ensemble et. à plusieurs reprises, et toujours rien! Mais qu’est-ce donc?...

Nous allions passer au-dessous de tel de ces obélisques, et il s’agissait, par l’ébranlement de l’air, de savoir si l’avalanche était à point, et de la faire passer avant nous. Pas un bloc de neige n’ayant bronché, nous en conclûmes que nous devions tenir pour très sûr ce passage très dangereux; ce qui n’empêcha pas nos guides de recommander le plus grand silence. Comme nous marchions ainsi, sur la pointe des pieds, avec le moins de bruit possible, je vis sur ma tète une montagne de monstres superposés et penchés en avant pour un bon nombre, et je foulais à mes pieds une traînée de glaces éboulées qui paraissait toute récente.

Les avalanches sont très fréquentes en ces parages. Elles se détachent à la moindre vibration, et même sans le moindre bruit. Nous n’eûmes pas l’avantage d’en voir une seule, bien que l’ardeur de la journée fût on ne peut plus favorable à ces sortes d’éboulements.

Après le parcours d’un plateau aux pentes extrêmement abruptes, nous nous trouvâmes inopinément en face d’une grosse difficulté. Le bas de la colline s’étant affaissé en se détachant de la partie supérieure, nous voilà arrêtés net par l’affreuse crevasse qui en avait été la conséquence, et qui apparaissait béante à nos pieds. Que fait, sans mot dire, l’intrépide Pierre? Il abandonne le lien commun et se lance dans l’espace! J’ai calculé, à vue d’œil, que le saut pouvait être de six à huit mètres de hauteur. Charlet se ramasse dans la neige sans une égratignure, plante son piolet jusqu’à la garde, demande qu’on lui jette, en en retenant les deux bouts, la corde de sauvetage et l’enroule autour de sa poulie d’un nouveau genre. On agit de même à la lisière supérieure du gouffre, et c’est sur ce pont suspendu que devra défiler, un à un, la caravane; chaque patient étant successivement attaché à un côté de cette corde et s’y cramponnant des deux mains.

Le jeune Charlet essaye le premier de la manœuvre et s’en tire à merveille. Vient le tour de Monsieur le Vicaire des Houches. Il m’offre l’honneur de la préséance. Mais mon courage n’eut pas l’héroïsme d’accepter. C’était son tour et je trouvai bon de ne pas lui ôter le bénéfice du proverbe: Chacun son tour. En d’autres termes, je cherchai quelque assurance dans la pensée que le pont n’en serait que mieux éprouvé après son passage. Il glissa comme un oiseau, en fut quitte pour s’être frotté aux parois de la crevasse à deux mètres de profondeur, avant d’en être tiré sain et sauf, et fut cause que je pus m’écrier d’avance: Moi aussi, je suis sauvé ! Il ne me vint pas moins une impression qui n’était pas gaie, quand je me vis river par le milieu du corps à la corde mobile. A peine en branle dans le vide, je vois furtivement sous ma personne deux parois couleur d’émeraude, dont la profondeur me ferme instinctivement les paupières. Je ne les avais pas encore rouvertes, que j’étais dans les bras sauveurs de Pierre Charlet.

Je fus me reposer sur son sac, à quelque distance. L’endroit était un cirque de neige, muré jusque très haut par les glaces et sans issue. Il y faisait une chaleur insupportable. Le rayonnement de cette nappe blanche fatiguait énormément la vue et brûlait le visage. Ma tète éprouvait la sensation que j’imagine au milieu d’un brasier. — J’ai une insolation, dis-je à M. Lombard, qui venait de me rejoindre.

Le sauvetage touche enfin à son terme. Le dernier de la troupe saute comme le premier. Nous avions subi forcément une heure d’arrêt. De là aux Grands-Mulets, il n’y avait pas loin. Nous y arrivâmes par vingt degrés de chaleur, à une heure quarante-cinq minutes.

Qu’est-ce que les Grands-Mulets? C’est une suite de rochers émergeant des glaces comme celui des Bosses, et sur l’un desquels s’élève, à l’abri des avalanches, à trois mille cinquante mètres d’altitude, un chalet-restaurant pour la période des ascensions. Mais je me propose d’y revenir plus loin. Nous n’y fimes ni long séjour ni grands frais de bouche: vingt minutes de halte et une tasse de liquide bouillant. Depuis la galerie, on jouit d’un superbe point de vue sur Chamonix, sur la direction parallèle des glaciers de Taconaz et des Bossons, et du côté de Genève.

En reprenant la corde, je demande au guide Joseph Simond si nous en aurions encore pour longtemps avec les neiges. «Nous autres, fail il, nous en aurions pour une forte heure et demie: mais avec vous!...» Merci du compliment; mais il était juste. C’est qu’en effet, à l’inconvénient d’être le plus court de taille, se joignait en moi l’excès d’une fatigue écrasante. Qui pourrait dire de combien de gouttes de sueur j’ai enrichi la masse des eaux congelées? En avant quand même, puisqu’il faut revenir en ce bas monde!

Rien de ce que nous avions parcouru jusque-là ne se rapproche du bouleversement de la nature en ce point des deux glaciers pré-mentionnés, que l’on devra traverser obliquement. Nous sommes à la Jonction, terme très convenable aux neiges d’en-haut, qui passent toutes là ; mais qui pourrait tout aussi bien s’appeler la Disjonction, puisque c’est de là que chacun des deux glaciers reconnaît et emporte son bagage. Mais le partage, comme il arrive souvent parmi les hommes, ne s’y fait pas sans de violentes disputes. Témoin ce las de glaçons amoncelés pèle-mèle, ou détachés en blocs de tout format et de tout calibre, dont les uns semblent hésiter à choisir leur direction, et les autres penchent déjà vers la lave glacée qui les convoque. C’est au milieu du tas que nous devons, coûte que coûte, nous frayer un passage. Il y en a à n’en pas finir, et sans y voir d’issue que de l’un à l’autre. On dirait un champ de bataille couvert de géants et de monstres. Tels semblent des ours blancs guettant leur proie, et tels, d’immenses glaçons en partance, comme aux mers polaires. Tous ensemble, ils offrent aux regards étonnés et éblouis ce qu’il y a de plus désagréable et de plus beau à la fois.

Le chemin du lendemain y est rarement celui de la veille. Il suffit d’un éboulement nouveau ou d’une autre crevasse qui s’ouvre, pour couper la roule et vous contraindre à des détours plus ou moins considérables. En ai-je vu là, de grandes crevasses! Heureusement qu’il n’a pas été nécessaire de les aborder de front. Mais les petites, que nous recherchions pour cause, n’en étaient pas moins très fréquentes. Nos hommes étaient trop habitués à ces ruines gigantesques, pour avoir l’air d’y faire attention; mais pour moi, c’était une réelle jouissance, alors que l’on s’arrêtait pour reprendre haleine, que de regarder dans ces échancrures aux vertes parois, dont l’œil ne pouvait atteindre la profondeur. Elles font l’effet d’avoir plusieurs centaines de mètres: jugez du craquement, lorsqu’elles naissent tout à coup par l’effet d’une violente rupture!

Plus nous descendons, plus la neige est gluante. Nous étions trempés jusqu’à mi-côte, comme après le gué d’une rivière, et non moins trempés de sueur dans l’étage supérieur. J’avais fini par avancer en véritable automate, si bien que je piquais de temps en temps une tête sans prendre garde qu’il s’agissait de ma personne. Une fois, sous une très haute moraine de glaçon, le long d’une étroite saillie, je manque le passage et disparais dans la neige fondante. Une autre fois, pour m’être écarté de quelques lignes des pas tracés devant moi, j’enfonce jusqu’au coude gauche, qui seul me retient sur la lèvre d’une crevasse. Là encore, une main de fer me soulève comme une plume, et ça été mon dernier motif d’actions de grâces au vigilant Adolphe Simond.

Près de Pierre-à-l’Echelle, d’où les premiers ascensionnistes se servaient d’une échelle pour franchir les crevasses, on me signale un couloir par où l’Aiguille du Midi s’amuse à lancer des projectiles. On m’affirme que le passage est dangereux; mais je n’en ai cure. Je sens que la terre ferme n’est pas éloignée. J’aspire vers elle de toutes les fibres de mes jarrets et de toute l’ardeur de mon âme. Est-ce l’effet du trop grand empressement? Jamais je n’ai été aussi alourdi, aussi gauche, que sur le dernier névé. Là, plus de corde protectrice. Tous prennent les devants, moins le bon M. Charlet, qui veille sur moi et sourit sympathiquement à mes misères. Je me traîne en effet cahin caha. Je roule. Je me relève pour rouler encore. Et nonobstant, j’ai fait mon chemin! Et comme Christophe Colomb abordant les plages du Nouveau Monde, je pleure de joie et m’écrie:

Terre! Terre! Rendons grâces aux cieux!

Il était quatre heures quinze minutes. Un trajet d’enfer, quoique sur la glace, de trois heures dix minutes depuis les Grands-Mulets. Et dire que toute fatigue disparut au sortir des neiges! On reçoit un excellent accueil au charmant Pavillon de Pierre-Pointue. Rien d’urgent comme de jeter ses guêtres et d’enfiler des chausses de rechange. On se restaure. Ils mettent sac au dos. Je brandis mon alpenstock. Plus de faim, plus de soif, plus de fâcheuse surprise, plus d’inquiétude, plus de danger! Plus que la bagatelle d’une interminable descente en zigzags! Plus que les honneurs du Capitole, au bout de cette voie tortueuse, mais triomphale!... Il me prend une furieuse envie de chanter... J’y mets bon ordre en récitant le saint Bréviaire.

Les longues-vues sont nombreuses à Chamonix. Chaque hôtel a sa grande lunette, et il s’en trouve encore sur les places publiques. Toutes sont braquées sur le Mont-Blanc pendant une ascension. Il en résulte qu’il n’est pas de route aussi surveillée que le trajet de la Vallée de neige. Quantité de gens nous suivaient donc au bout de ces verres indiscrets. Ils nous avaient vus descendre vers la capitale des hautes Alpes; et, calculant l’heure de notre entrée, s’étaient mis sur les rangs pour nous voir défiler. Les naturels n’ont pas cet empressement, pour l’ordinaire: ils sont si accoutumés aux ascensions réussies! Mais les étrangers vident les hôtels ou manquent à dessin une excursion, pour se presser dans la rue, au passage d’ascensionnistes heureux. Ce soir-là, sur les six heures et demie, indigènes et population flottante s’étaient groupés en deux haies compactes, depuis l’hôtel Cachat jusqu’au pont d’Arve. C’est qu’on avait vu rarement une caravane où figuraient trois ecclésiastiques s’exposer de la sorte aux regards et voire aux vivats de la foule.

J’aurais bien voulu échapper à l’inconvénient d’être ainsi offert en spectacle. Je ne doute pas que mes deux collègues n’aient éprouvé un moment avec moi quelque chose qui semblait à la mort dans l’àme, lorsque, au grondement des canons de notre hôtel, nous aperçûmes là-bas ce mouvement de va-et-vient de la foule, cette double rangée de curieux et de curieuses, cette longue exhibition des costumes européens et autres. Mais que faire, sinon nous abandonner à ce qui avait été le bon plaisir de nos guides? Après tout, ne revenions-nous pas des Thermopyles, et pourquoi ne serions-nous pas aussi grands que Napoléon du haut des Pyramides? Prenons-en donc notre parti en braves!

La consigne était d’avancer deux à deux, au pas, sac au dos, alpenstock à la main ou piolets sur l’épaule. Je m’applique de mon mieux à cette marche militaire, mais je ne suis pas assuré d’y réussir. Etant le premier, à la droite de M. Charlet, quoique étant le moins «Mont-Blanc » de la troupe, j’entends murmurer de temps à autre: «Oh! comme il est noir!» Je crus que ce compliment m’était tout personnel. Ce fut tant de pris sur les camarades. On verra que je ne l’avais pas volé.

Dans le parc de l’hôtel Cachat, on nous entoure, on nous isole, on nous accable de questions. Ce sont les sympathies de la rue qui nous suivent et deviennent encore plus chaudes. Le canon y joint ses derniers tonnerres. Mais, cette fois, n’en pouvant plus d’épuisement, et pressé par la faim et la soif, je me dégage vite de trois jeunes Messieurs qui en voulaient savoir trop long, et vais commander huit services.

Je recommande avant tout le potage, à quiconque demandera ce qu’il faut faire d’abord au retour du Mont-Blanc. Avec quelle délectation j’ai vu passer au bon endroit deux grandes et bonnes soupières! Le reste a pris le même chemin avec cet appétit que l’on prête à l’Anglais, et qui est passé en proverbe. Bref, il faut être revenu du Mont-Blanc pour pouvoir dire: je n’ai jamais si bien dîné de ma vie. En fait de gentillesses, notre hôte s’est vraiment surpassé, y comprise celle d’une carte à payer des plus modestes. Mais elle n’en fut pas le couronnement, ainsi qu’on le verra tout à l’heure.

Les ombres de la nuit s’accentuent, et les poignées de mains s’échangent entre les compagnons de route. Une voiture doit nous emporter aux Houches à neuf heures. Allons dire adieu à Monsieur le curé ! Monsieur l’archiprêtre de Chamonix nous reçoit avec une effusion jaillissant à la fois de deux manières; l’une qui le fait s’écrier: Oh! que je voudrais avoir été avec vous autrement qu’au bout de ma lunette! l’autre, qui s’appelle le vin d’honneur et de la vieille amitié. Nonobstant, j’étais là silencieux et morne. Ce virement de front avait commencé déjà vers le milieu du dîner. Je me sentais la tète de plus en plus lourde et les yeux s’appesantir toujours davantage. J’éprouvais comme un gonflement progressif des paupières et de tout le visage. Ce n’était donc pas une illusion, lorsque, là-haut, accroupi sur la neige et voilé dans un pan de ma robe, j’assurai M. Lombard que je recevais un coup de soleil !

L’heure du départ va sonner au beffroi. Nous occupons, sur la place de l’église, le banc placé à côté de la statue de Jacques Balmat, en attendant la voiture. Tout à coup, nous avons le spectacle d’un hôtel qui s’illumine, et de fusées qui, partant de là, viennent répandre, jusque dans le jardin du presbytère, leurs gerbes de feu. C’était la dernière et la plus brillante des gentillesses de l’honorable M. Cachat. Notre voiture dut prendre le petit pas, tant il y avait foule dans la grande rue. Il faut avouer que ces braves Chamoniards sont joliment heureux et fiers que l’on fasse à leur Mont-Blanc l’honneur de lui grimper sur les épaules. Et, certes, ce n’est pas moi qui leur donnerais tort: ne fait-il pas, avec tant d’autres merveilles, leur renommée et leur fortune?

Aux Houches, je m’endors, en priant, d’un sommeil de plomb pendant huit heures. Le lendemain, il m’est impossible de pouvoir ouvrir les yeux. Les paupières, enflées démesurément, les cachent au soleil levé. Je ne sens plus une tête, mais comme un ballon sur mon cou. Du reste, point de douleur, et pas d’autre malaise. A quoi me résoudre? à rien de mieux que de rester en cage. Mais...

Que faire en pareil gite, à moins que l’on ne songe?

Je ne songeai qu’à dormir encore, jusqu’à ce que, n’ayant plus sommeil, je me dis qu’il devait être l’heure du lever. Il était une heure de l’après-midi; et par ainsi, ma prière du matin dut compter forcément comme prière du soir. Ah! si mes paupières pouvaient s’ouvrir comme j’ouvre les persiennes de ma chambre! Mais il y faut l’emploi de la main. Je regarde dans une glace; elle me montre, sous une figure d’un rouge vif, presque monstrueuse, un sujet que je ne reconnais pas du tout, mais dont on eut bien tort de dire la veille: comme il est noir!

Quatre heures allaient sonner, et je ne devais pas manquer le courrier de quatre heures. Pour ne pas déranger mes hôtes, dont l’un était en promenade et l’autre au repos, je m’achemine seul vers la grand’route, un bandeau sur les yeux et le doigt sur une paupière; le bandeau, pour cacher ma misère autant que possible, et le doigt, pour découvrir un œil à tous les quatre pas. Conducteur et voyageurs se sont montrés fort sympathiques à mon infirmité, en ajoutant que le Mont-Blanc était par trop mauvais sire. Ce fut ma consolation et son châtiment.

A Sallanches, un vieil ami de séminaire me rapporte d’auprès de M. le docteur Payot le spécifique à mon érésipèle, consistant à me couvrir tout simplement le visage de crème de lait. L’effet en fut si prompt que l’enflure diminua considérablement pendant la première nuit, et la seconde acheva si parfaitement ma guérison, qu’il ne me resta plus trace de rougeur ni d’enflure. Merci au docteur Payot, et... Deo gratias!

Une ascension au Mont-Blanc et études scientifiques sur cette montagne

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