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De 1670 à 1789.

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Avant de commencer l’histoire de l’hôtel des Invalides, il est nécessaire de dire quelques mots sur l’origine de cette institution, dont l’antiquité ne nous offre aucun exemple.

C’est une institution toute moderne, une œuvre du génie chrétien, une institution toute française, car, seuls, les rois de France en ont conçu le projet, et c’est un roi de France qui l’a réalisé.

Chez les peuples civilisés qui ont le plus honoré la valeur guerrière, dans l’ancienne Grèce, dans l’ancienne Rome, dans l’ancienne Egypte, on ne trouve pas la moindre trace d’institution de ce genre.

Il ne faut pas s’en étonner, et la raison en est toute simple; c’est que de pareils établissements n’auraient eu aucune raison d’être.

Dans les anciennes républiques, les citoyens étaient, depuis l’âge de vingt jusqu’à soixante ans, astreints au service militaire, non comme armée permanente, mais comme milice qui se réunissait à l’appel des magistrats lorsqu’il fallait combattre les factions intérieures ou les ennemis du dehors. Cette milice déposait les armes aussitôt que l’ordre était rétabli ou que l’État avait fait la paix avec l’étranger. Les esclaves cultivaient les terres et exerçaient les divers métiers. La guerre ne dérangeait donc en aucune façon les affaires des citoyens: seulement, s’ils en revenaient blessés ou s’ils devenaient infirmes, leur maison était l’unique asile réservé à leur situation et à leur vieillesse.

Plus tard, vers la fin de la république et sous les derniers empereurs romains, quand les armées devinrent permanentes et furent en grande partie composées de mercenaires, on distribua aux vétérans les terres conquises sur l’ennemi; les proscriptions leur attribuèrent aussi plusieurs fois celles des citoyens. Ce fut le commencement de la décadence.

Les rois francs, qui enlevèrent les Gaules aux Romains, se conformant aux coutumes des vaincus, donnèrent à leurs leudes et fidèles sous le titre de bénéfice et de fiefs, les terres enlevées à l’empire, à la condition qu’ils leur fourniraient des soldats et les entretiendraient.

Charlemagne mit à la charge des abbayes, sous le nom d’oblats, les officiers et soldats mutilés ou affaiblis par l’âge. Ainsi, sous ce grand prince, une retraite fut assurée aux militaires invalides.

Ses successeurs s’appliquèrent à conserver et à étendre cette institution des oblats.

Lorsqu’ils concédaient un bénéfice, ils imposaient au titulaire une redevance pour les besoins de l’armée, et quand ils fondaient une abbaye, ils se réservaient le droit, imprescriptible et inhérent à la couronne, d’y faire admettre un certain nombre d’officiers et soldats invalides, sous le titre de moines lais. Quand toutes les places des abbayes et des prieurés étaient remplies, le Roi donnait des pensions à ceux qui ne pouvaient y être admis. C’est ce que fit Charles V, qui mérita le surnom de Sage.

Avant lui Philippe-Auguste, le premier de nos Rois qui eut à sa solde une armée permanente, conçut le projet de créer des établissements spéciaux pour les vieux soldats, afin de remédier à l’insuffisance des oblats.

Ce projet fut en partie réalisé par son fils saint Louis, qui, à son retour de Palestine, fonda la maison royale des Quinze-Vingts pour trois cents gentilshommes que les Sarrasins, ou plutôt le soleil d’Asie avait aveuglés.

Aujourd’hui ce n’est plus qu’un hospice d’aveugles. L’établissement du saint Roi ne pourrait être d’un grand secours pour les victimes de la guerre, où le nombre des aveugles par suite d’accidents est aux amputés comme 1 est à 1,000.

Charles VII, Louis XII, François Ier, Henri II et Charles IX s’occupèrent d’améliorer le sort des gens de guerre.

Voici l’édit de Charles IX, du 28 octobre 1568:

«Entendons que, pour quelque cause ou quelque occasion que ce soit, les titulaires des prieurés qui sont en la collation des archevêques, évêques, abbés, chapitres ou communautés de nos royaumes, pays et terres de notre obéissance, soient chargés ni tenus de recevoir aucun soldat ou autre estropié, ès places de religieux lais ou oblats, mais seulement voulons lesdits religieux lais, et par nous mis en abbayes ou prieurés qui sont à notre nomination et sur laquelle notre saint-père le pape a accoutumé de pourvoir.»

Henri III publia aussi plusieurs édits contre ces mêmes abus.

Ils n’en continuèrent pas moins, et les plaintes réciproques des titulaires de bénéfices d’une part, celles des officiers et soldats de l’autre; puis, l’accroissement progressif de l’armée rendant de jour en jour plus évidente l’insuffisance de notre institution des oblats, il fallut aviser au moyen d’assurer dignement l’existence de tous ces hommes vieillis ou mutilés en défendant la patrie.

Ces plaintes éveillèrent l’attention et la sollicitude de Henri IV, qui, d’ailleurs, ne pouvait oublier les braves qui l’avaient aidé à conquérir son royaume. Il conçut l’idée que quelques-uns de ses prédécesseurs avaient eue avant lui, de créer un établissement dans lequel officiers et soldats vivraient en commun: idée qu’il mit à exécution par son édit d’avril 1600 et par lettres patentes de janvier 1605.

La mort vint, hélas! trop tôt pour le peuple et trop tôt pour l’armée, interrompre les généreux projets de Henri IV. Si le poignard de Ravaillac n’eût point arrêté le cours d’une si précieuse vie, peut-être le chef de la maison de Bourbon aurait résolu le problème dont ses devanciers avaient vainement cherché la solution: celui d’assurer aux vieux soldats un asile et une existence dignes de la grande nation au service de laquelle ils auraient épuisé leurs forces.

Loin de continuer l’œuvre de Henri IV, Marie de Médicis, régente avec un ministre d’origine étrangère, supprima en 1611, par un arrêt du conseil d’État, rendu le 1er septembre, les maisons militaires de la charité chrétienne et de l’Ourcine; puis elle ordonna que les officiers et soldats estropiés iraient remplir, comme par le passé, les places d’oblats dans les abbayes ou prieurés qui étaient. assujettis à cette charge.

Le vice et l’insuffisance de l’institution des oblats n’avaient point disparu, et les plaintes, les abus et les scandales allaient toujours croissant.

Pour y mettre un terme, Louis XIII, par l’édit du mois de novembre 1633, établit sous le titre de Commanderie de Saint-Louis une communauté où tous les estropiés de l’armée seraient nourris et entretenus pendant le reste de leur existence.

Mais la pénurie d’argent et les préoccupations plus urgentes et plus graves de la politique causèrent l’abandon de cet établissement, et il n’en fut plus question qu’au jour où le jeune roi Louis XIV déclara qu’il gouvernerait lui-même.

Pendant cet intervalle, le nombre des anciens militaires que les blessures ou le grand âge avait rendus incapables de pourvoir à leur subsistance s’accrut prodigieusement.

Les places d’oblats, outre leur insuffisance, donnaient lieu à une foule d’abus plus déplorables encore.

D’une part, les chefs des monastères disposaient de ces places en faveur de gens qui n’avaient jamais servi.

De l’autre, les soldats auxquels on s’efforçait de rendre l’existence désagréable cédaient leur place moyennant finance; bientôt ils en dissipaient le prix et retombaient dans la misère.

Leur situation devenait une honte, même un scandale, un danger.

Le Roi, dans sa toute-puissance, souverain maître dans son royaume, respecté et redouté au dehors, aurait pu réprimer et sévir, mais, ne voulant voir que ce qu’il y avait de juste dans les plaintes, et fermant les yeux sur les fautes, il prit la résolution la meilleure et la plus digne: celle de faire disparaître et de supprimer radicalement la cause du mal.

En 1668 le roi Louis XIV fit mettre à l’étude et étudia lui-même cette question. Il s’enquit des ressources du trésor, et ce ne fut que lorsqu’il put disposer de la somme nécessaire à cette magnifique institution que, par ses ordonnances du 15 avril 1670 et 1674, il en confia les travaux au célèbre architecte Bruant sous la direction du ministre Louvois.

«Le Roi ayant résolu de faire construire une grande maison sous le titre d’Hôtel Royal des Invalides, aux environs de sa bonne ville de Paris, pour retirer les officiers et soldats estropiés à son service, ou qui, par leurs blessures ou un âge trop avancé, ne pourront plus servir dans ses troupes; et voulant qu’en attendant que le bâtiment nécessaire pour un si grand dessein soit en état de les recevoir, il soit pourvu à leur logement et leur subsistance; Sa Majesté a pensé que, pour donner commencement à un si bel établissement, il était à propos de louer une grande maison dans le faubourg Saint-Germain à Paris, pour y retirer lesdits officiers et soldats caducs et estropiés, où ils seront logés, nourris et vêtus, et les malades secourus du spirituel et du temporel, suivant la nécessité, et ce du fonds des deux deniers pour livre qui doivent être retenus par les trésoriers généraux de l’ordinaire et extraordinaire des guerres, chacun en l’année de leur exercice; ensemble des pensions des religieux lais que Sa Majesté a affectées à cette dépense par sa déclaration du mois de janvier dernier, et l’arrêt du conseil d’État du 24 dudit mois; et comme l’intention du Roi est que jusqu’à ce que par ses édits il ait plu à Sa Majesté de faire connaître plus précisément ses volontés sur l’établissement dudit hôtel, le sieur marquis de Louvois, conseiller de Sa Majesté en tous ses conseils, secrétaire d’État de ses commandements et finances, prendra le soin et la direction des choses nécessaires pour le logement et subsistance desdits officiers soldats caducs et estropiés, et comme les grands emplois dont il est chargé et la nécessité où il se trouve de suivre Sa Majesté dans les voyages qu’elle fait ou peut faire ci-après, tant dedans qu’au dehors de son royaume, à la prière dudit sieur marquis de Louvois, elle a commis pour cette direction les sieurs Camus Destouches, Camus Duclos et Camus de Beaulieu, pour en rendre compte audit sieur marquis de Louvois, arrêter les registres, tant des réceptions que des dépenses journalières et autres, concernant l’établissement et la subsistance de ladite maison. Ordonne, à cet effet, Sa Majesté, à ceux qui seront chargés des fonds destinés pour l’entretien et subsistance desdits officiers et soldats invalides, de payer toutes les sommes de deniers qui seront ordonnées par lesdits sieurs Destouches, Duclos et de Beaulieu, ou de l’un d’eux en l’absence des autres, dont il sera tenu compte en rapportant leurs ordonnances avec les quittances nécessaires. Mande, en outre, Sa Majesté, aux officiers et valets qui seront établis dans ladite maison, de les reconnaître en tout ce qui concernera le bon ordre et la règle qui doivent y être observés.

» Signé : Louis.

» Saint-Germain en Laye, le 15 avril 1670.»

«Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut:

» La paix qu’il plut à Dieu de nous donner vers la fin de l’année 1659 et qui fut conclue aux Pyrénées, entre nous et le Roi Catholique, ayant rétabli pour lors le repos presque dans toute la chrétienté et nous ayant délivré des soins que nous étions obligé de prendre pour la conservation de notre État, et de veiller au dehors à nous opposer aux entreprises que nos ennemis y pouvaient faire, nous n’aurions eu d’autre application, pendant que ladite paix a duré, que de songer à réparer, au dedans d’icelui, les maux que la guerre y avait causés, et de corriger les abus qui s’étaient introduits dans la plupart de tous les ordres, ce qui a eu tout le succès que nous en pouvions espérer, et comme pour accomplir un dessein si utile et si avantageux.

» Nous avions estimé qu’il n’était pas moins digne de notre piété que de notre justice de tirer hors de la misère et de la mendicité les pauvres officiers et soldats de nos troupes qui, ayant vieilli dans le service, ou qui dans les guerres passées ayant été estropiés, étaient hors d’état non-seulement de nous en rendre, mais aussi de rien faire pour subsister, et qu’il était bien raisonnable que ceux qui ont exposé librement leur vie et prodigué leur sang pour la défense et le soutien de cette monarchie, et qui ont si utilement contribué au gain des batailles que nous avons remportées sur nos ennemis, aux prises de leurs places et à la défense des nôtres, et qui, par leur vigoureuse résistance et leurs généreux efforts, les ont réduits souvent à nous demander la paix, jouissent du repos qu’ils ont assuré à nos autres sujets et passent le reste de leurs jours en tranquillité. Considérant aussi que rien n’est plus capable de détourner ceux qui auraient la volonté de porter les armes, d’embrasser cette profession, que de voir la méchante condition où se trouvaient réduits la plupart de ceux qui s’y étaient engagés, et n’ayant point de bien y auraient vieilli ou été estropiés, si l’on n’avait soin de leur subsistance et entretènement; nous avons pris la résolution d’y pourvoir. Et quoique nous ayons ci-devant, à l’exemple des Rois nos prédécesseurs, tâché d’adoucir la mission desdits estropiés, soit en leur accordant des places de religieux lais dans les abbayes et prieurés de notre royaume, qui de tous temps leur ont été affectés, soit en les envoyant, comme nous avions déjà fait, dans nos places frontières, pour y subsister et y être entretenus au moyen de la solde que nous leur avions ordonnée, ainsi qu’aux autres soldats de nos troupes; néanmoins, comme il est arrivé que la plupart desdits soldats préférant la liberté de vaguer à tous ces avantages, après avoir les uns composé et traité desdites places des religieux lais dont ils étaient pourvus, les autres quitté ou déserté lesdites places frontières, sont retombés dans leur première misère; nous aurions jugé à propos, pour apporter remède à ce mal, de recourir à d’autres moyens; et après en avoir fait examiner plusieurs qui nous ont été proposés sur ce sujet, nous n’en avons pas trouvé de meilleur que de faire bâtir et construire, en quelque endroit commode et proche de notre bonne ville de Paris, un Hôtel Royal d’une grandeur et espace capables d’y recevoir et loger tous les officiers et soldats, tant estropiés que vieux et caducs de nos troupes, et d’y affecter un fonds suffisant pour leur subsistance et entretènement. A l’effet de quoi et pour suivre un si précieux et louable dessein, et mettre la dernière main à un ouvrage si utile et si important, nous avons donné nos ordres pour faire bâtir et édifier ledit Hôtel Royal au bout du faubourg Saint-Germain de notre bonne ville de Paris, à la construction duquel on travaille incessamment, au moyen des fonds de deux deniers par livre que, par arrêt de notre conseil d’État du 12 mars 1670, nous avons ordonné aux trésoriers, tant de l’ordinaire que de l’extraordinaire de la guerre et cavalerie légère, de retenir par leurs mains, sur toutes les dépenses généralement qu’ils feront du maniement des deniers de leur charges, pour être de ce fonds de deux deniers pour livre employé tant à la construction dudit Hôtel qu’à le meubler convenablement, de sorte que ledit Hôtel étant déjà fort avancé et presque en état de loger lesdits officiers et soldats estropiés, vieux et caducs, il ne reste plus qu’à pourvoir à les y faire subsister commodément, et autres choses concernant le bon ordre et discipline que nous désirons être gardés dans ledit Hôtel. Savoir faisons que, pour ces causes, après avoir fait mettre cette affaire en délibération en notre conseil, Nous, de l’avis d’icelui et de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, avons, par ce présent édit, perpétuel et irrévocable, fondé, établi et affecté, fondons, établissons et affectons à perpétuité ledit Hôtel Royal, que nous avons qualifié du titre des Invalides, lequel nous faisons construire au bout dudit faubourg Saint-Germain de notre dite ville de Paris, pour le logement, subsistance et entretènement de tous les pauvres officiers et soldats de nos troupes qui ont été et seront estropiés, ou qui, ayant vieilli dans le service, ne seront plus capables de nous en rendre; duquel Hôtel comme fondateur nous voulons être aussi le protecteur et conservateur immédiat sans qu’il dépende d’aucun de nos officiers et soit sujet à la visite et juridiction de notre grand aumônier ni autres. Et afin que ledit Hôtel Royal soit doté d’un revenu suffisant et assuré qu’il ne puisse jamais manquer, pour la subsistance et entretènement dans icelui desdits officiers et soldats invalides, nous y avons affecté et affectons à perpétuité par le présent édit tous les deniers provenant des pensions des places des religieux lais, des abbayes et prieurés de notre royaume, qui en peuvent et doivent porter, selon et ainsi qu’il a été par nous réglé, tant par notre déclaration du mois de janvier 1670, que par les arrêts de notre conseil d’État des 24 janvier audit an 1670 et 27 avril 1672.

» Et d’autant que nous sommes bien informé que le nombre des officiers et soldats estropiés, vieux et caducs, est fort grand, et que ne pouvant manquer (la guerre ouverte comme elle est) qu’il n’augmente considérablement, et que ainsi les fonds provenant des pensions desdits religieux lais ne seraient pas suffisants pour leur subsistance et entretènement, en sorte qu’il est nécessaire d’y pourvoir encore; d’ailleurs, pour soutenir un établissement si utile, et empêcher que, faute de fonds, il ne vienne à manquer, nous y avons, d’abondant et de la même autorité que dessus, affecté et affectons pour toujours celui qui proviendra aussi des deux deniers pour livre de tous les payements qui seront faits par les trésoriers généraux de l’ordinaire et de l’extraordinaire de nos guerres et cavalerie légère, à cause de leurs dites charges et par celui de l’artillerie; après que ce qui sera nécessaire, tant pour achever la construction dudit hôtel des Invalides et le mettre en sa perfection, que pour l’achat des meubles et autres choses qu’il conviendra dans icelui, pour le rendre habitable, aura été employé.

» Voulons et entendons qu’au moyen dudit Hôtel Royal, et des fonds ci-dessus dont nous l’avons doté, tous les officiers et soldats estropiés, vieux et caducs de nos troupes, soient logés, nourris et vêtus leur vie durant dans icelui: que comme ledit Hôtel n’étant destiné que pour le logement, subsistance et entretènement desdits officiers et soldats estropiés et invalides, le fonds ci-dessus mentionné dont nous l’avons doté est suffisant pour y subvenir; nous voulons qu’il ne puisse être reçu ni accepté pour ledit Hôtel aucunes fondations, dons et gratifications qui pourraient lui être faites par quelques personnes et pour quelque cause, et sous quelque prétexte que ce soit.»

Bientôt après la promulgation de ces mémorables édits portant création d’une retraite destinée aux soldats vétérans, on vit surgir un vaste ensemble de constructions monumentales qui reçut le nom d’Hôtel Royal des Invalides.

La nomination aux divers emplois dans le personnel et l’administration suivit de près la mise à exécution des travaux.

Afin de mettre le comble à sa royale sollicitude, Louis XIV voulut que le commandement de l’Hôtel fût réservé aux généraux dont les services éminents, les actions d’éclat, les nombreuses blessures, avaient marqué leur place à cet insigne honneur.

Le premier gouverneur fut Lemaçon d’Ormoy, général des bandes à la police du régiment des gardes françaises.

M. de Sennerie eut la place de lieutenant du Roi.

MM. Camus de Beaulieu remplirent les fonctions d’intendant militaire et celles de directeur des services administratifs.

Le conseil fut composé du ministre de la guerre, du gouverneur, des directeurs, du lieutenant du Roi, des trésoriers généraux et du directeur des archives.

L’administration ainsi constituée, Louis XIV vint à l’Hôtel, accompagné, des personnages les plus considérables de la cour; il était escorté par un détachement des gardes du corps, qui resta dans la cour d’honneur et fut remplacé par une garde composée d’invalides.

En descendant de voiture, Sa Majesté se rendit à l’église, où elle entendit la messe, à laquelle le cardinal de Noailles officiait.

Après la messe, le Roi passa la revue des invalides, rangés en bataille dans la cour; il y reçut aussi les députations de ceux qui venaient d’être transférés de la rue du Cherche-Midi, et dont l’un d’eux, vieux sergent mutilé, lui témoigna au nom de ses camarades toute la reconnaissance dont ils étaient pénétrés.

Ce jour-là est décédé Lemaçon d’Ormoy, dont la dépouille mortelle repose dans le caveau des gouverneurs. Il appartenait à une noble famille de Picardie. Ses éminentes qualités militaires, et surtout son attitude à la tête des gardes françaises, très-difficiles à manier, avaient attiré l’attention de Louvois; sa vie judiciaire n’était pas sans illustration, et il unissait à un grand courage toutes les qualités qui font aimer les chefs de leurs soldats; ferme, consciencieux, sévère pour lui-même avant de l’être pour les autres, jamais une plainte, jamais une réclamation ne le trouva indifférent.

Blanchard de Saint-Martin, maréchal général de la cavalerie de France, succède à M. d’Ormoy.

Le 16 juillet 1691 mourut Louvois, emportant les regrets sincères des invalides, qui lui devaient en partie le noble asile où s’abritaient leurs derniers jours. On eût dit qu’avant sa mort, qu’il pressentait peut-être, il voulait étudier et contempler son œuvre. «Hâtez-vous, disait-il à Mansart, si vous voulez que je voie votre dôme achevé.»

Le Roi ordonna qu’il fût inhumé dans un des caveaux de l’église; mais, en 1699, sa famille obtint qu’il fut transféré du caveau où il reposait dans l’église des Capucins, rue Saint-Honoré. La cérémonie de l’exhumation fut magnifique. Elle se fit au flambeau dans la soirée du 22 juillet.

Louis-François de Barbezieux, garde des sceaux, succéda à Louvois.

Le gouverneur Blanchard de Saint-Martin mourut le 18 février 1696. Le Roi venait de le nommer commandeur de Saint-Louis; il était âgé de 83 ans et servait depuis 1635. Il fut le père des vieux soldats, défendit leurs priviléges et les fit augmenter.

Desroches-d’Orange, maréchal général de la cavalerie de France, lui succéda le 21 mars 1701. Il servait depuis plus de quarante ans dans les armées du Roi. Le ministre vint lui-même à l’Hôtel recevoir son serment, en présence de tous les fonctionnaires, officier et soldats. Il poursuivit avec activité l’œuvre de la fondation de l’Hôtel; il mourut en 1705, à l’âge de soixante-dix-neuf ans.

Alexandre de Boyveau le remplaça.

De Boyveau, simple capitaine au régiment de Bourgogne, s’était distingué, sous les yeux même du Roi, au siège de Mons en 1691; emporté par l’ardeur de son courage, il avait été criblé de blessures; l’une d’elles nécessita l’amputation du bras droit.

Quand il fut guéri, le Roi le nomma lieutenant de Roi à l’Hôtel, puis gouverneur, puis enfin grand-croix de Saint-Louis.

En conformité de l’ordonnance d’institution qui défend aux administrateurs de recevoir de tout autre que du Roi les dons et legs qui viendraient à être faits à l’établissement, le conseil, par décision du 10 octobre 1710, refusa la riche succession du chevalier de Beaufort, qui, par testament, avait légué tous ses biens aux Invalides.

A cette époque de revers, d’épuisement et de misère générale, l’Hôtel, qui recevait chaque jour de nouveaux pensionnaires, sans que ses ressources pussent s’accroître, eut aussi sa large part dans les douleurs communes. Peut-être eût-il été permis d’accepter le soulagement offert par le chevalier de Beaufort; mais les invalides, pleins de reconnaissance pour le fondateur, et fidèles aux statuts de leur institution, s’abstinrent de toute sollicitation et attendirent patiemment les secours du Roi.

Enfin vinrent des jours meilleurs. La brillante victoire de Denain, remportée par Villars, et bientôt suivie du traité d’Utrecht, permit à Louis XIV d’achever en paix les dernières années de son règne, et de travailler autant que possible à faire oublier à ses sujets les maux de la guerre. Ses chers invalides, qui pendant plus de quarante ans avaient été constamment l’objet de sa sollicitude toute particulière, ne furent pas oubliés.

En 1714, sentant sa fin prochaine, il voulut encore une fois se faire rendre un compte exact de cette institution, sa création la plus belle, le plus beau joyau de sa couronne. Il s’enquit de tout et dans les plus minutieux détails: administration, discipline, vivres, habillement, rien n’échappa à sa curieuse investigation. Il voulait, autant qu’il était en son pouvoir, améliorer les conditions de cet établissement, afin d’en éterniser la durée.

Son testament, dont nous donnons ici l’extrait, nous en fournit la preuve la plus manifeste:

«Entre tous les établissements que nous avons faits pendant le cours de notre règne, il n’en est pas qui soit plus utile à l’État que celui de l’hôtel des Invalides; toutes sortes de motifs doivent engager le Dauphin et tous les autres Rois nos successeurs à lui accorder une protection particulière; nous les y exhortons autant qu’il est en notre pouvoir.»

Le 1er septembre 1745 Louis XIV mourut. Il fut sincèrement regretté de tous les pensionnaires de l’Hôtel; chacun d’eux savait que c’était à lui seul qu’il était redevable de l’heureuse et paisible existence dont il jouissait.

Bon nombre d’institutions justement célèbres, de grandes victoires, d’illustres guerriers, des poëtes, des artistes, des écrivains de premier ordre dans tous les genres: des Colbert, des Louvois, des Condé, des Turenne et des Villars; des Corneille, des Racine, des Molière; des Mignard, des Lebrun, des Mansart, des Vauban, des Massillon et des Bossuet, ont illustré le règne de Louis XIV et ont fait du dix-septième siècle un des plus grands siècles de l’histoire. Mais toutes ces gloires diverses, qui d’ailleurs n’apparaissent que sous les grands princes, ne sont pas l’œuvre personnelle du Roi. La création de l’hôtel des Invalides lui appartient exclusivement; la splendeur du dôme, la magnificence de tout l’édifice, n’accusent pas seulement le talent des architectes, des sculpteurs et des peintres, elles attestent le génie du grand Roi qui donna son nom à son siècle. L’institution des Invalides est donc tout entière dans l’ordonnance de 1670, et surtout dans l’édit de 1674. Par ces deux ordonnances, Louis XIV a réalisé et établi d’une manière immuable ce que vainement tous ses prédécesseurs avaient médité. Il l’a fait aux grands applaudissements de la France et de l’Europe.

La plupart des souverains étrangers sont venus et viennent encore visiter cet Hôtel. Les plus puissants monarques ont donné à son illustre fondateur un témoignage non équivoque de leur sympathique admiration, en dotant leurs États d’une semblable institution. Tous les autres l’admirent sans pouvoir l’imiter.

Grandes éphémérides de l'hôtel impérial des Invalides

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