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ОглавлениеLA SOLITUDE
RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES
Dans cette vie inquiète, au milieu de la contrainte des devoirs et des affaires, dans les chaînes du monde, au déclin de mon existence, je veux me rappeler l'ombre de mes joies évanouies, l'ombre des jours de ma jeunesse, où je trouvais mon bonheur dans la solitude, où je n'entrevoyais pas de refuge plus doux que celui des cloîtres, des cellules bâties sur les montagnes, où je m'élançais avec ardeur dans les profondeurs des forêts, dans les ruines des vieux châteaux, et où je n'avais pas de plaisir plus vif que de m'entretenir avec les morts.
Je veux méditer sur une idée importante pour l'homme, sur les dangers et les consolations de la solitude, sur les avantages qu'elle procure, avantages que les peuples les plus célèbres ont reconnus de tout temps, mais qui n'ont peut-être jamais été assez discernés. Je veux réfléchir au secours puissant qu'elle nous offre quand le chagrin dessèche notre cœur, quand la maladie nous énerve, quand le fardeau des jours pèse sur nous, quand nous éprouvons des douleurs que notre âme ne peut supporter.
Ah! je renonce volontiers au monde et à ses distractions, à tout ce que l'on appelle les joies de la vie, pourvu que je puisse avoir quelques heures de loisir et de repos, pourvu que, seul et libre, je puisse dire sur la solitude quelques vérités utiles qui occupent un instant l'homme du monde, et émeuvent les gens de bien.
La solitude est une situation où l'âme s'abandonne à ses propres réflexions: nous jouissons de la solitude, soit lorsque nous prenons plaisir à nous séparer du tumulte humain, soit lorsque nous détournons notre pensée de ce qui nous entoure.
Chacun se livre alors à ses méditations, selon sa nature d'esprit, son développement d'intelligence et ses vues particulières. Regardez les bergers assis à l'écart. L'un d'eux chantera quelque chanson; un autre se cisèlera un vase; un troisième observera la nature; un quatrième fera de la philosophie; un cinquième rêvera; et s'il se trouvait là, sous l'ombre des arbres, au bord du ruisseau paisible, une belle jeune fille, chacun d'eux peut-être serait amoureux. Mais dans la triste absence de tout ce dont le cœur a besoin, lorsqu'on se trouve seul à regret, on n'a d'autres ressources que de s'occuper, comme on peut, de ses propres idées. Chaque homme obéit alors à une impression particulière. Celui-ci recherche le chant du rossignol; cet autre ne veut entendre que le cri du hibou. Il en est à qui l'obligation de rendre des visites inspire un profond dégoût, et l'ennui les retient dans leur demeure.
Le pauvre cœur s'attache à ce qui lui procure plus de satisfaction que ne lui en offre sa situation. Dans le couvent de Sainte-Magdeleine, à Hildesheim, je trouvai un jour toute une volière pleine de canaris, qui récréaient la cellule d'une religieuse. Un gentilhomme du Brabant a passé vingt-cinq ans en parfaite santé dans l'enceinte de sa demeure. Son bonheur consistait à former une collection de tableaux et de gravures, et il ne sortait point de sa maison, parce qu'il craignait l'impression de l'air, et parce qu'il avait pour les femmes l'antipathie que certaines personnes éprouvent pour les souris.
Ceux qui sont condamnés à la prison recherchent également, dans leur solitude forcée, tout ce qui peut les distraire. Le philosophe genevois Michel Ducret, enfermé dans une forteresse du canton de Berne, s'occupait à mesurer la hauteur des Alpes; le baron Trenck ne songeait, dans la citadelle de Magdebourg, qu'au moyen de s'évader, et le général Walrave passait son temps à élever des poules.
On peut signaler toutes ces particularités dans un livre sur la solitude, sans pénétrer très-avant dans la question principale. J'ai cherché à ne point perdre de vue le but que je m'étais proposé, quoique parfois je paraisse m'en écarter, et j'espère pouvoir démontrer, par une assez longue série d'observations, le caractère de la solitude, son action, ses dangers et son heureuse influence. Par solitude, je n'entends point une scission complète du monde ou une vie d'ermite. On peut trouver la solitude dans une ville comme dans un cloître, dans le cabinet d'étude d'un savant, dans l'éloignement temporaire de la foule. On peut être seul au milieu d'une réunion nombreuse. Une femme allemande, imbue des préjugés de la vieille aristocratie, sera seule dans une société où nulle autre femme n'aura, comme elle, l'honneur de compter seize quartiers. Un penseur est souvent seul à la table des grands. Plaçons-nous, dans une assemblée, en dehors de ce qui nous entoure, recueillons-nous en nous-mêmes, nous voilà aussi seuls qu'un moine peut l'être dans sa cellule, ou un ermite dans sa grotte. On peut être seul dans sa maison, au milieu du mouvement le plus bruyant, comme dans le morne silence d'une petite ville, à Londres et à Paris, comme dans le désert d'une Thébaïde.
Un livre sur les résultats de la solitude est un document de plus à ajouter à toutes les recherches qui ont été faites pour assurer le bonheur de l'homme. Moins l'homme a de besoins, plus il s'efforce de découvrir en lui de nouvelles sources de jouissances. Plus il a de facilité à se séparer des autres hommes, plus il est certain de trouver la véritable félicité. Tous les amusements du grand monde ne me semblent point dignes de l'envie dont on les honore. Mais il faut dire aussi que ces systèmes tant vantés de retraite absolue ne sont pour la plupart que des rêves irréalisables. S'il est beau et noble de se rendre indépendant des autres hommes et de se retirer quelquefois à l'écart, il est bon aussi de se rapprocher de la communauté sociale et d'y apporter un esprit amical, car nous sommes, Dieu soit loué! appelés à vivre en société.