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CHAPITRE Ier.

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Table des matières

(Williams parle à son ami jusqu'à la fin de l'ouvrage.)

Qu'exigez-vous de moi, cher chevalier, lorsque vous voulez que je vous décrive le véritable état de mon ame dans ces tems où la nature seule m'inspiroit, où heureux dans la solitude des montagnes de Xarico, je vivois avec la tendre Zaka, criminelle & innocente à la fois? Vous oubliez que vous allez rouvrir des plaies qui saignent encore; vous oubliez que pour vous obéir il me faut éprouver la plus vive des douleurs. Mes larmes arrosent le papier.... Ah, Zaka, malheureuse Zaka! la religion condamne les pleurs que m'arrache ton souvenir: je le sais aujourd'hui; mais la nature, mais mon cœur ne peuvent les retenir.

Ferai-je un fidele portrait de moi-même? Me peindrai-je avec un cœur dépravé? moi qui dès le premier instant où j'ai senti mon existence, ai chéri la vertu, avant même que ma bouche eût appris à prononcer son nom.

Cependant l'infortuné Zidzem a été déclaré publiquement coupable, lui qui se flattoit d'être innocent! Que ce souvenir m'est cruel! On est donc coupable sans le savoir. Eh, pouvois-je deviner les loix établies pour la tranquillité ou la félicité d'un grand peuple, tandis que j'étois seul dans un désert?

Voici mon histoire: elle justifiera peut-être, mais elle servira très-peu à éclaircir vos doutes. Vous voulez approfondir de grandes questions, dont la solution passe, je crois, notre portée. La raison de l'homme, abandonnée à elle-même, peut-elle s'élever à la connoissance d'un Créateur? Peut-elle éclairer par degrés notre foible entendement? Est-il possible enfin à l'homme de connoître le véritable rapport de ses devoirs? Oh! ne desirez-vous rien de trop, cher chevalier? Vous-même jugez-vous.

Tous les hommes auroient-ils agi comme moi, s'ils se fussent trouvés dans ma situation? & d'après ce que l'un a fait, peut-on décider de ce que l'autre auroit pu faire? Sans doute nous avons besoin d'une main céleste qui nous conduise dans une route aussi incertaine; mais est-il impossible à l'homme de réfléchir sur lui-même, d'écouter la voix secrete de son cœur, & de remonter ainsi aux principes de cette loi sublime & invariable, qui dirige tous les êtres? Aura-t-il absolument besoin d'un secours étranger pour sentir l'existence d'un premier Être? La vertu est-elle incompatible avec l'ignorance? Le cœur n'a-t-il pas ses lumieres, & plus pures que celles de l'esprit? Hélas! avant que l'Eternel eût daigné faire descendre sur la terre ces vérités lumineuses & consolantes, la raison n'avoit-elle pas su les entrevoir? Ne portons-nous pas le germe d'un sentiment actif, qui ne demande que la moindre étincelle pour croître & se développer?

Je vous envoie mon histoire, parce que vous êtes mon ami, & que j'aime à vous avoir pour témoin de toutes mes pensées. Mais dérobez-les, je vous prie, aux yeux de ces hommes qui veulent exercer un despotisme sur les esprits, & qui font un crime de ne point adorer leurs prétendus oracles. Nourris dans les disputes de l'école, accoutumés à recevoir les idées anciennes, ils prononcent hardiment sur l'homme qu'ils ne connoissent pas, & lancent ensuite leur foudre sur le fantôme qu'ils ont imaginé. Evitez ces docteurs vains, leur orgueil & leur intolérance. Ils voudront vous persuader que Zidzem, qui va vous crayonner la sensibilité de son cœur, est un libertin, un insensé, peut-être un impie qui, sous un air de simplicité, cache le coupable dessein de renverser leur systême. Ils se vengeroient à juste titre: le bon Zidzem a quelquefois été curieux de s'enfoncer dans le dédale obscur de leur philosophie scholastique, & il s'y est égaré avec eux; mais du moins il a ri, en sortant de leur pompeuse école, tel qu'un homme sage, en s'éveillant, se moque du songe ridicule qui a fatigué ses sens.

Pourquoi aussi n'a-t-il pas adopté leurs chimeres? Pourquoi n'a-t-il pas reconnu cette perversité originelle qui, selon eux, est notre partage? Pourquoi a-t-il cru qu'on pouvoit lire la grandeur & la magnificence du Créateur dans la voûte du firmament comme dans un livre? Pourquoi a-t-il pensé que le Juge incorruptible, qu'on ne trompe point, réside en nous-mêmes? Pourquoi a-t-il découvert que toutes les fables dont la terre est remplie ne sont que des emblêmes d'une idée primitive & qui appartient à tout homme qui, au lieu de disputer, ne veut que sentir? Faut-il des argumens pour adorer? Faut-il compulser des livres pour apprendre à être juste & bon? N'est-on généreux, compatissant, qu'à la suite de longues études? L'innocence ne suffit-elle pas, & n'appartient-elle point au premier mouvement de l'ame? Je ne suis ni philosophe, ni savant; je n'ai point, comme eux, l'ambition d'élever un systême sur un échafaudage de mots. Je ne veux être ici que l'historien de mes sensations, & des idées qu'elles m'ont fait naître.

L'homme sauvage

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