Читать книгу Du Culte de la Sainte Vierge dans l'Église catholique - John Henry Newman - Страница 8
Remarques sur différents passages de l’ «Eirenicon»
ОглавлениеJe le sais, il est vrai, et je le sens profondément: les fréquentes allusions faites dans votre ouvrage à ce que j’ai écrit, soit autrefois, soit récemment, sont dictées par un vif désir d’être encore avec moi, autant qu’il vous est possible, et par une affection vraie, qui prend plaisir à insister sur celles de mes paroles que vous pouvez encore admettre avec une pleine approbation. J’ai la confiance de n’être pas ingrat et de répondre à vos sentiments à cet égard; mais il est d’autres considérations qui s’imposent impérieusement ici. Quelque charme que je trouve à être d’accord avec vous, mon devoir m’oblige à m’expliquer sur plusieurs points, soit parce que j’ai changé d’avis, soit parce qu’on s’est fait une fausse idée de mon sentiment, soit parce qu’on a dénaturé ce que j’avais dit. J’ai la confiance d’agir par des motifs plus élevés que des motifs personnels, en vous adressant cette lettre publique. Elle me servira d’ailleurs d’introduction à mon sujet principal, et me fournira l’occasion de faire plusieurs observations qui s’y rapportent indirectement, en consacrant une page ou deux aux points de votre livre qui me concernent.
1. — J’ai surtout en vue une erreur généralement accréditée: on suppose que j’ai parlé publiquement de l’Église anglicane comme «du grand rempart contre l’incrédulité dans ce pays». Dans une brochure publiée par vous, il y a un an , vous parliez d’«une classe de catholiques romains très sincères, qui se réjouissent de toutes les œuvres du Saint-Esprit dans l’Eglise d’Angleterre (quoi qu’ils pensent de celle-ci), et qui s’attristent de ce qui affaiblit cette Église qui est, aux mains de Dieu, le grand rempart contre l’incrédulité dans ce pays». On crut voir dans ces dernières paroles une allusion à mon Apologie. En conséquence, le Dr Manning, maintenant notre archevêque, vous répondit en affirmant, comme vous le dites, «la contradictoire de cette proposition». Bien qu’il s’adressât à vous, on crut généralement alors, à tort ou à raison, que, par celte contre-assertion, il redressait en réalité, sans toutefois prononcer mon nom, des propositions de mon Apologie qu’il croyait incorrectes. En outre, dans le volume que vous venez de publier, vous revenez sur les derniers mots de ce passage, et vous parlez de leur auteur en des termes qui, si je ne connaissais la partialité de votre affection pour moi, m’empêcheraient de m’identifier avec lui. Vous dites: «Ces paroles n’étaient pas de moi, mais de l’un des penseurs et observateurs les plus profonds de la communion romaine.» (P. 7.) Un ami m’avait suggéré l’idée que de Maistre était peut-être l’auteur dont vous vouliez parler. Une lettre anonyme, que j’ai reçue de Dublin, me fait connaître que les paroles en question ont été certainement prononcées autrefois par l’archevêque Murray: mais vous parlez de l’auteur comme d’une personne encore vivante actuellement. Enfin, un écrivain du Weekly Register, analysant votre livre dans ce recueil, me les attribue positivement, en me nommant, et m’offre ainsi la première occasion que j’ai eue de les désavouer: c’est ce que je fais maintenant. Ce que j’ai pu, à un moment ou à un autre, avancer dans quelque conversation, ou quelque lettre particulière, évidemment je ne saurais le dire; mais ce dont je suis certain, c’est de n’avoir jamais, de propos délibéré, employé ce mot de rempart à propos de l’Église anglicane, ni en parlant d’elle au point de vue religieux, ni jamais, je pense. J’ai dit dans mon Apologie que «cette Eglise était une digue utile contre les erreurs de doctrines plus fondamentales que les siennes propres». Un rempart fait partie intégrante de la chose qu’il protège, tandis que le mot digue implique comme une protection accidentelle et de facto de la vérité catholique; et encore une protection qui n’exclue pas entièrement l’erreur, mais s’oppose à la violence de son choc. Le mot utile implique aussi quelque chose d’extérieur à ce qui est conservé. De plus, en disant que l’Église anglicane est une protection contre des erreurs plus fondamentales que les siennes propres, je déclare implicitement qu’elle n’est point exempte d’erreurs, et que ses erreurs sont fondamentales.
2. — Il y a dans votre livre (p. 336) un autre passage qu’il peut être bon d’étudier. Vous avez réuni une série de textes des Pères, comme témoignage à l’appui de votre doctrine, suivant laquelle la foi chrétienne tout entière est contenue dans l’Écriture, comme si, à votre sens, les catholiques vous contredisaient en cela. Vous vous référez à mes notes sur saint Athanase, qui ont, dites-vous, fourni quelques citations à votre liste. Mais après tout, ni vous, ni moi, dans mes notes, n’affirmons aucune doctrine repoussée par Rome. Ces notes font de plus un appel fréquent à un enseignement traditionnel, parce que lors même que la foi serait aussi certainement contenue dans l’Écriture, cet enseignement traditionnel est encore nécessaire, comme règle de foi, pour nous montrer qu’elle y est contenue. (Voir pages 283, 341, de l’édition d’Oxford.) Et cette tradition, vous la soutenez, je le sais, autant que moi dans les notes en question. En conséquence, vous reconnaissez qu’il y a une double règle, l’Écriture et la Tradition; et c’est là tout ce que disent les catholiques. En quoi donc ici les anglicans diffèrent-ils de Rome? Je crois que la différence est simplement dans les mots, et je travaillerai, moi aussi, à un Eirenicon, si j’établis clairement quelle est cette différence verbale. Les catholiques et les anglicans — je ne dis pas les protestants — attachent différents sens au mot «preuve» dans la controverse sur cette question: si tout le dogme est contenu ou non dans l’Écriture. Nous entendons, nous, que tout article de foi n’y est pas renfermé de façon à être prouvé logiquement par l’Écriture, indépendamment de l’enseignement et de l’autorité de la Tradition. Les anglicans, eux, entendent que tout article de foi y est renfermé de façon à être prouvé par l’Écriture même, pourvu qu’on y ajoute les explications et les compléments fournis par la Tradition. Et c’est aussi dans ce dernier sens que s’expriment les Pères dans les passages que vous en citez. Je suis sûr au moins que saint Athanase offre souvent, à l’appui des dogmes controversés, certains passages que personne ne regarderait comme des preuves, si l’on ne tenait pas compte de la tradition apostolique, qui en suggère, puis en règle le sens avec autorité. Ainsi vous ne niez pas que tout le dogme n’est pas contenu dans l’Écriture, de telle manière que la seule logique puisse, sans autre recours, le tirer du texte sacré ; et nous ne nions pas non plus que le dogme ne soit dans l’Écriture, en un sens impropre, en ce sens que la Tradition peut le faire reconnaître dans l’Écriture, et l’y déterminer. Vous ne prétendez pas vous dispenser de la Tradition; et nous ne rejetons pas l’idée que l’Écriture contient des sens probables, secondaires, symboliques, connexes, outre ceux qui appartiennent proprement au texte et au contexte. Vous serez, j’espère, d’accord avec moi sur ce point.
3. — Mais ce n’est pas seulement dans quelques endroits que vous me citez dans vôtre ouvrage. Dans une partie considérable, vous faites allusion à deux de mes publications: vous nommez l’une et la défendez, tandis que vous protestez implicitement contre l’autre: ce sont le Tract 90 et l’Essai sur le développement de la doctrine. Quant au Tract 90, vous vous étiez dès l’abord, ainsi que chacun le sait, levé hardiment pour le défendre, en dépit du blâme qui rejaillissait sur vous, et vous me rendîtes alors un grand service. Vous venez de le publier de nouveau, avec mon cordial consentement; mais je saisis cette occasion de faire observer, pour prévenir toute surprise de la part du public, que vous le rééditez dans un but différent de celui que je me proposais, quand je l’écrivis. Son but primitif était simplement de nous justifier, moi et d’autres, de ce que nous souscrivions aux trente-neuf articles, tout en professant un grand nombre de doctrines, qui avaient été généralement regardées comme caractéristiques de la foi romaine. J’estimais que mon interprétation des articles, telle que je la donnais dans le Tract, se maintiendrait, si ceux qui les imposaient consentaient à l’admettre; sinon, j’estimais qu’elle ne pourrait se maintenir. Quand, par le fait, les évêques et l’opinion publique refusèrent de l’admettre, je résignai ma cure, ne croyant plus avoir le droit de la conserver. Mon sentiment sur cette interprétation se trouve exprimé dans un passage de Loss and Gain conçu en ces termes:
«Est-ce une opinion admise, demanda Reding?
«— Il n’y a pas d’opinion admise, dit l’autre; les articles sont admis, mais il n’y a aucune interprétation de ces articles qui fasse autorité.
«— Bien, dit Reding, est-ce une opinion tolérée?
«— Il est vrai qu’on y a fait une forte
«opposition, répondit Bateman, mais elle
«n’a jamais été condamnée.
«— Ce n’est pas là répondre, dit Charles:
«quelque évêque la soutient-il? Quelque évê-
«que l’a-t-il jamais soutenue? A-t-elle jamais
«été formellement admise par un évêque
«quelconque, comme pouvant se défendre?
«Est-ce une opinion conçue pour parer à
«des difficultés actuelles, ou bien a-t-elle une
«existence historique?
«Bateman ne put que répéter la même
«réponse à ces questions, à mesure qu’on
«les lui posait.
«— C’est bien ce que je pensais, dit Char-
«les, l’idée est spécieuse certainement. Je
«ne vois pas pourquoi elle n’aurait pas pu
«être soutenue, si elle avait été sanctionnée
«d’une manière acceptable; mais vous ne
«pouvez me montrer aucune sanction.
«Telle qu’elle est, c’est une pure théorie
«lancée par des individus. Notre Église
«eût pu adopter cette manière d’inter-
«prêter les articles; mais, d’après ce que
«vous me dites, elle ne l’a certainement pas
«fait.» (Ch. xv.)
Quoi qu’il en soit, le Tract n’avait extérieurement rien qui marquât son but et ses conditions: il était nécessairement exposé à des interprétations très éloignées de la vraie. Le docteur Wiseman (comme on le désignait alors), en particulier, avec cette vivacité d’intelligence qui le caractérisait, y vit de suite une base d’accommodement entre l’Anglicanisme et Rome. Il suggéra ouvertement l’idée que les décrets du concile de Trente pourraient servir de règle d’interprétation pour les trente-neuf articles, comme Sancta-Clara,. je crois, en avait donné l’exemple; et il publia à ce sujet, ainsi que vous l’avez fait observer, une lettre adressée à lord Shrewsbury dont voici des extraits:
«Nous autres catholiques, nous devons
«nécessairement déplorer la séparation (de
«l’Angleterre) comme un mal moral profond,
«comme un état de schisme, dont rien ne
«peut justifier la durée. Beaucoup de mem-
«bres de l’Eglise anglicane sont du même
«avis, quant au premier point; ils voient là
«un mal déplorable, tout en excusant,
«comme un malheur inévitable, leur posi-
«tion individuelle dans cette Église... Nous
«pouvons compter sur une coopération cor-
«diale, habile, et très zélée, dans tous les
«efforts que nous pourrons faire pour ame-
«ner cette Église à la situation qui lui
«convient, à l’unité catholique du Saint-
«Siège et avec les églises soumises à son
«obédience, en d’autres termes, avec l’Église
«catholique. Est-ce là une idée chimé-
«rique? Est-ce simplement l’expression d’un
«ardent désir? Je crois que beaucoup le
«penseront; et peut-être hésiterais-je moi-
«même à l’exprimer, si je ne consultais que
«l’intérêt de mon propre repos. Mais je
«veux, dans la simplicité de mon cœur,
«me rattacher à l’espérance ranimée, se-
«lon moi, par tant d’apparences encoura-
«geantes...
«Une question se présente naturellement
«ici: quelles sont, dans l’état actuel des
«choses, les facilités propres à amener un
«aussi heureux résultat que l’union de
«l’Angleterre avec l’Église catholique, faci-
«lités différentes de celles qui existaient
«sous les archevèques Laud ou Wake?
«Il y en a beaucoup, j’en suis frappé... Je
«pense que Votre Seigneurie sera d’accord
«avec moi, pour regarder comme une cir-
«constance beaucoup plus encourageante
«encore le plan qu’a développé le Tract 90,
«et qu’ont accepté M. Ward, M. Oakeley et
«le docteur Pusey lui-même. Je veux parler
«de la méthode qui consiste à mettre leurs
«doctrines d’accord avec les nôtres, par
«voie d’explication. Un prêtre étranger nous
«a indiqué un document important pour
«notre cause: c’est la réponse de Bossuet
«au Pape, qui le consultait sur la meilleure
«méthode à suivre pour réconcilier les
«adhérents de la Confession d’Augsbourg
«avec le Saint-Siège. La Providence, remar-
«que le savant évèque, a permis que cette
«Confession conservàt une si grande part de
«la vérité catholique, qu’il faut tirer de cette
«circonstance tout l’avantage qu’elle pré-
«sente. Il n’y a point de rétractation à
«demander, mais simplement une explica-
«tion de la Confession, qui soit d’accord
«avec les doctrines catholiques. Or on a, en
«partie, préparé la voie à une méthode de
«cette nature, en démontrant qu’on peut
«interpréter les articles les plus difficiles, de
«manière à leur ôter toute contradiction
«avec les décrets du concile de Trente. On
«peut poursuivre l’application de cette
«méthode sur d’autres points, et l’on peut
«épargner ainsi beaucoup de peine aux indi-
«vidus, beaucoup de difficultés à l’Église.»
(P. 11, 35, 38.)
Cet emploi de mon Tract, si différent de celui que je me proposais, mais sanctionné par le grand nom de notre cardinal, vous le renouvelez aujourd’hui; et j’en conclus que vos évêques et l’opinion publique sont maintenant, ou seront bientôt, selon toute apparence, disposés à admettre ce qu’ils rejetaient, il y a vingt-cinq ans. Quelque joie que j’éprouve à connaître vos prévisions, je ne puis évidemment avoir d’opinion sur ce point.
4. — Voilà pour le tract 90. En ce qui concerne mon hypothèse sur le développement de la doctrine, je m’afflige de voir que vous ne la regardiez pas avec des yeux amis; et je ne puis comprendre comment vous pouvez, sans son appui, maintenir les dogmes de la sainte Trinité et de l’Incarnation, et d’autres encore que vous professez, Vous estimez que mon principe pourrait servir ultérieurement à introduire dans notre symbole, comme parties nécessaires de la foi catholique, l’infaillibilité du pape et diverses opinions pieuses, ou profanes peut-être, sur la sainte Vierge. J’espère dissiper votre inquiétude sur ces conséquences, avant d’arriver à la fin de mes observations : je signale ceci dès à présent, pour m’excuser d’intervenir dans une controverse qui, à première vue, ne semble pas me concerner.
5. — J’ai une autre raison de prendre la plume. M’est-il permis de le dire?... c’est parce que vous semblez croire qu’à moi, converti, il ne sied pas d’écrire. Je ne veux pas, par mon silence, souscrire à pareil jugement. Vous dites, page 98:
«Il n’y a rien de moins praticable que de
«se jeter dans les bras de l’Église romaine,
«sous prétexte qu’on peut accepter la lettre
«du concile de Trente. Ceux qui sont nés
«dans l’Église catholique romaine ont, par
«la nature même des choses, une liberté que
«ne peut avoir celui qui, pour embrasser la
«doctrine de Rome, en a abandonné une
«autre. Je ne puis comprendre qu’il y ait
«une foi capable de soutenir le choc qui
«résulte de l’abandon d’une doctrine qu’elle
«critique, et de l’adoption d’une autre doc-
«trine qu’elle critique également. Pour moi,
«j’ai toujours senti que, si l’Église d’Angle-
«terre, en acceptant l’hérésie (ce que Dieu
«veuille, dans sa miséricorde, continuer à
«détourner de nous), m’avait mis dans la
«nécessité de me séparer d’elle, je n’aurais
«pu le faire que les yeux fermés, et en
«acceptant tout ce que j’aurais trouvé devant
«moi. Mais une liberté dont on ne peut user
«individuellement, et des explications qui,
«tant qu’elles sont individuelles, demeurent
«sans autorité, peuvent être formellement
«offertes par l’Église de Rome à l’Église
«d’Angleterre, comme base de réunion.»
Et encore, page 210:
«Il me semble psychologiquement impos-
«sible qu’un homme, qui a déjà passé d’une
«doctrine à une autre, fasse ces distinctions.
«Celui qui, par un acte volontaire, se range
«sous une autorité, ne peut mettre de con-
«ditions à sa soumission. Mais, du côté des
«Romains et des Grecs, on nous a précé-
«demment offert, au moins en forme d’essai,
«des explications précises de nos articles,
«qu’on regardait comme suffisantes pour
«rétablir la communion; et les explications
«romaines n’étaient, dans la plupart des
«cas, que des suppléments à nos articles, à
«propos de questions sur lesquelles notre
«Église ne s’était pas prononcée.»
De tels passages semblent presque me sommer de parler; et garder le silence serait passer condamnation. Au risque donc de parler de moi-même, ce que, à mon avis, on a trop fait depuis quelque temps, je ferai sur ces passages les observations qui vont suivre. Évidemment, ainsi que vous le dites, un converti vient pour apprendre, non pour trier et choisir. Il vient avec simplicité et confiance, et il n’a pas l’idée de peser et de mesurer chacun des actes, chacune des pratiques qu’il rencontre chez ceux auxquels il s’est uni. Il vient chercher dans le catholicisme un système vivant, et non pas seulement un ensemble de canons et de décrets qui, par eux-mêmes, ne sont évidemment que la charpente, non le corps et la substance de l’Église. C’est là une vérité qui concerne, qui lie non seulement le converti, mais encore ceux qui ne connurent jamais d’autre religion. Par système catholique, j’entends cette règle de vie, ces pratiques de dévotion que nous chercherions en vain dans la profession de foi de Pie IV. Le converti vient, non seulement pour croire à l’Église, mais encore pour se confier à ses prêtres et leur obéir, pour se conformer à son peuple par la charité. Il ne lui conviendra, en aucun cas, de décider que jamais il ne dira un Ave Maria, que jamais il ne profitera d’une indulgence, jamais ne baisera un crucifix, n’acceptera les dispenses du carême, ne s’accusera d’un péché véniel en confession. Tout cela serait non seulement bizarre, mais dangereux; car ce serait le signe d’une aberration d’esprit, qui ne saurait prétendre à la bénédiction divine. De plus, il se soumet au culte extérieur, à l’enseignement de la théologie morale, aux règlements ecclésiastiques qu’il trouve établis dans le pays où il vit. Et encore, sur les questions de politique, d’éducation, de convenance générale, de goût, il ne se posera pas en critique ou en controversiste. Il se soumet de la sorte aux influences de sa nouvelle religion, et ne s’expose pas à perdre la vérité révélée, en essayant d’en distinguer par lui-même, à tout propos, la substance d’avec les accessoires. C’est ainsi qu’il acquiert peu à peu la doctrine du catholicisme, pour avoir à la fin le droit de parler aussi bien que d’écouter. Puis, avec le temps, une génération nouvelle se lève autour de lui; il n’y a plus alors de raison qu’il ne sache pas autant, et ne décide pas les questions avec un instinct aussi sûr que ceux qui peut-être comptent moins d’années que lui ne compte de communions pascales. Il a pu apprendre l’histoire et la nature des divergences de théologien à théologien, d’école à école, de nation à nation, d’époque à époque. Il sait que, selon les circonstances de temps et de lieu, la politique du moment, le caractère du pape au pouvoir, ou des principaux prélats d’un pays, les opinions et les pratiques dépendent beaucoup de ce qu’on peut appeler la mode, et que les modes changent Son expérience lui dit que quelquefois ce qui est, dans un endroit, dénoncé comme offense grave, ou enseigné comme principe fondamental, a été, chez une autre nation, regardé, de temps immémorial, précisément de la façon contraire; ou bien n’a produit aucune sensation, dans un sens ni dans l’autre, quand on l’a soumis à l’opinion publique; et que les grands parleurs, dans l’Église comme ailleurs, sont prêts à tout renverser devant eux, tandis que les gens calmes et consciencieux croient devoir céder. Il voit, lorsque des questions se débattent, l’autorité ecclésiastique suivre attentivement l’état de l’opinion, la direction et la marche de la controverse: de telle sorte que, dans certains cas, réserver son propre jugement, sur un point, est un acte d’insubordination envers ses supérieurs. Ceci posé en général, voyons maintenant mon propre cas. Après vingt ans de vie catholique, je ne me fais nullement scrupule de donner mon opinion sur un point, toutes les fois qu’on la demande; et si je ne l’ai pas fait plus tôt ou plus souvent, c’est seulement parce qu’on ne l’a pas sollicitée. Je suis arrivé à conclure, non sans déplaisir, que votre livre est une sollicitation. Assurément, dans bien des questions où il y a divergence de théologien à théologien, de nation à nation, j’ai mon opinion personnelle bien arrêtée. Je puis parler ainsi sans offenser personne, par la raison que la nature de ces cas rend impossible l’accord avec tous. Je préfère les habitudes anglaises de croyance et de dévotion aux habitudes étrangères, par les mêmes motifs et aussi justement que les étrangers préfèrent les leurs. En suivant celles de mon pays, je montre moins de singularité, et je soulève moins d’agitation que si je préconisais celles qui sont nouvelles et exotiques. En agissant ainsi, je ne fais que profiter de l’enseignement que j’ai trouvé en devenant catholique; et je me réjouis en pensant que ce que je soutiens maintenant, que ce que je voudrais transmettre après moi, s’il m’était possible, c’est ce qui me fut enseigné alors. Tous ceux qui me donnèrent des avis y mirent la plus extrême délicatesse; je n’ai présent à l’esprit qu’un seul de ces avertissements, qui me vint de feu le docteur Griffiths, vicaire apostolique du district de Londres. Il me mit en garde contre les livres de dévotion de l’école italienne, qui pénétraient précisément alors en Angleterre; et, quand je lui demandai quels livres il recommandait comme des guides sûrs, il me dit de prendre les œuvres de l’évèque Hay. Je n’entends pas dire par là qu’il fût ombrageux à l’égard de tous les livres italiens, ou qu’il se fit responsable de tout ce que le docteur Hay ait pu dire; mais je compris qu’il me prémunissait contre un ordre d’idées et un diapason religieux, excellents à leur place sans doute, mais peu faits pour l’Angleterre.
Quand je fus à Rome, cela pourra vous surprendre, je n’appris même là rien qui fût incompatible avec ce jugement. Des influences locales ne forment pas l’atmosphère de ses institutions et de ses collèges, catholiques de doctrine aussi bien que de nom. Je me rappelle, entre autres, une parole d’un Père Jésuite, mon confesseur, l’un des hommes les plus saints et les plus prudents que j’aie jamais connus. Il disait que nous ne pouvions aimer trop la sainte Vierge, si nous aimions Notre-Seigneur beaucoup plus encore. A mon retour en Angleterre, la première fois que j’entendis exprimer une opinion théologique, ce fut à propos des séries de traduction de Vies de Saints, éditées par feu le docteur Faber. Cette opinion était exprimée par un sage prélat, qui se demandait avec anxiété quelle ligne de conduite pourraient prendre les convertis d’Oxford, qui commençaient à se mettre à l’œuvre. Si je me rappelle bien son opinion, il redoutait l’effet des ouvrages italiens, comme non appropriés à ce pays-ci; il eût voulu que ces Vies fussent des œuvres originales, rédigées par nous et nos amis, d’après les sources italiennes. Si, à cette époque, j’ai été entraîné à quelque acte d’une nature telle qu’il doive me paraître aujourd’hui exagéré, toute la responsabilité en retombe assurément sur moi, mais l’impulsion m’était donnée, non par des catholiques âgés, ni par mes supérieurs, mais par des hommes que j’aimais, en qui j’avais confiance, qui étaient plus jeunes que moi. Mais à quelque excès que j’aie pu être entraîné, et je ne m’en rappelle aucun exemple palpable, mon esprit revint, au bout de peu de temps, à ce qui me paraît une marche plus sûre et plus pratique.
Donc, je pense avoir, quoique converti, le droit de parler; d’autant plus que d’autres convertis ont parlé pendant longtemps, sans que je l’aie fait. Et je puis, avec d’autant plus de raison, parler sans offenser personne, en réponse à vos critiques, que, dans vos accusations, les deux seuls écrivains anglais que vous citiez comme témoins, sont tous deux convertis et plus jeunes que moi. Je mets, naturellement à part l’archevêque, à cause de son office. Ces deux auteurs sont dignes de toute considération, et par leur caractère, et par leur valeur. Dans leurs sphères respectives, ils n’ont peut-être pas d’égaux en ce moment, et ils méritent l’influence dont ils jouissent. L’un est encore dans toute la force de son talent, l’autre n’est plus, et beaucoup l’ont pleuré. On est heureux de faire l’éloge de leur grande et réelle valeur; mais pourquoi vous appuyez-vous sur eux, comme sur des autorités? Vous dites de l’un qu’il a été un «écrivain populaire» ; mais ses qualités remarquables, son imagination poétique, sa franchise attrayante, les grâces de son esprit, son caractère affectueux, sa tendre piété, expliquent assez la popularité de ses œuvres; Pourquoi donc supposer qu’elles se sont répandues généralement à cause de ses sentiments à l’égard de la sainte Vierge? Et, quant à notre autre ami, son énergie, sa pénétration et son érudition théologique, déployées sur un terrain avantageux, dans la Revue de Dublin, n’expliquent-elles pas suffisamment l’effet qu’il a produit, sans qu’il soit nécessaire de supposer qu’un grand nombre d’entre nous soient allés aussi loin que lui, dans leur manière de concevoir l’infaillibilité du pape?
Notre silence, en ce qui touche leurs écrits, est très facile à comprendre: il n’est pas agréable de protester, à la face du monde, contre les écrits d’hommes de notre communion, que nous aimons et que nous respectons. Voici la réalité. En venant à notre Église, ils ont sauvé leurs âmes. Du reste, ils ne sont nullement les porte-paroles des catholiques anglais, et ils ne sauraient prendre la place de ceux qui ont un titre réel à exercer cette fonction. Les principaux écrivains de la génération actuelle sont le cardinal Wiseman, le docteur Ullathorne, le docteur Lingard, M. Tierney, les docteurs Oliver, Rock, Waterworth, Husenbeth et M. Flanagan. Les uns vivent encore, les autres sont allés déjà recevoir leur récompense. Or, parmi ces ecclésiastiques, qui a écrit quoi que ce soit d’exagéré sur les prérogatives de la sainte Vierge, ou sur l’infaillibilité du pape?
Je ne puis donc, sans protester, vous laisser identifier la doctrine de nos deux amis d’Oxford, sur les sujets en question, avec l’esprit actuel, ou la croyance à venir des catholiques. Je ne puis vous laisser prétendre, comme vous le faites, que, parce qu’ils marchent droit devant eux et sont inflexibles dans leurs affirmations, ils sont les précurseurs d’un âge nouveau, qui regardera presque à l’égal d’une erreur toute marque de déférence envers l’antiquité. Pour moi, sans espoir comme vous le croyez, je ne rougis point encore de m’appuyer sur les Pères, ni ne veux les abandonner. L’histoire de leur temps n’est pas encore pour moi un almanach vieilli. Certainement je soutiens la valeur et l’autorité de l’École, comme un des lieux théologiques; je m’unis cependant au P. Petau, pour préférer à la «théologie subtile et contentieuse de l’École» cet «enseignement plus élégant et plus fructueux qui se modèle sur la savante antiquité ». Les Pères m’ont fait catholique, et je n’irai pas repousser du pied l’échelle par laquelle je suis monté à l’Église. Cette échelle est tout aussi bonne aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Bien que je croie, comme vous le savez, à un développement progressif dans la vérité apostolique à mesure que le temps marche, un tel développement ne se substitue pas aux Pères, mais les explique et les complète. Pour ce qui regarde, en particulier, notre enseignement sur la sainte Vierge, je me contente des Pères; et je veux moi-même aborder de suite le sujet de cet enseignement. Je le fais parce que vous dites, comme je l’ai dit moi-même en des années précédentes, que «ce vaste
«système, au sujet de la sainte Vierge,... a
«été pour nous tous une croix spéciale dans
«la doctrine romaine». (P. 101.) Ici, dis-je, comme sur d’autres points, les Pères me suffisent. Je ne désire pas dire plus qu’eux, et je ne veux pas dire moins. Vous serez de cet avis, je le sais; nous pouvons donc ainsi aboutir à un net et large principe, et espérer un résultat intelligible. Nous aurons bientôt de notre très révérend Prélat un traité sur la sainte Vierge; mais cela ne saurait modifier en rien l’argument très simple que je tirerai des Pères, et auquel je m’en tiendrai ici. En ce qui concerne cet argument, je ne prétends vous présenter aucun texte nouveau, aucun fait, qui n’aient été invoqués par de grands théologiens, comme le P. Petau, par des écrivains contemporains, et par moi-même en d’autres occasions. Je reprends la plume cependant, et cela pour trois raisons; d’abord, je désire contribuer à préciser et à exposer complètement l’argument en question; peut-être aussi mettra-t-on, à m’entendre, plus de patience qu’on n’en a accordé à d’autres meilleurs que moi; enfin je me crois appelé spécialement ici, en raison des circonstances de ma vie, à dire nettement ce que je crois et ce que je ne crois pas au sujet de la sainte Vierge. Je souhaite par là montrer à d’autres ce qu’ils seront obligés de croire, ou libres de ne pas croire, à ce sujet, s’ils arrivent là où Dieu m’a conduit.