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PRÉFACE DU TRADUCTEUR.

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En apprenant l’intention où j’étais de traduire son ouvrage, le Rév. Père Newman m’a fait l’honneur de m’écrire la lettre suivante:

Oratoire, Birmingham, 5 janvier 1850.

«Mon cher Monsieur Gondon,

«J’ai vu, dans le journal l’Univers, les termes flatteurs dans lesquels vous parlez des Conférences que je viens de publier, et je ne puis m’empêcher de vous écrire pour vous en exprimer mes remercîments bien sincères.

«Je vous ferai en même temps, sur le volume lui-même, une observation que vous serez bien aise d’entendre de moi. Ces Conférences étant destinées à un public anglais, et surtout protestant, je me demande si elles conviendront également à la France, dont la population se compose ou de bons catholiques ou d’incrédules; c’est là une question sur laquelle il serait présomptueux, de ma part, de vouloir émettre un jugement, quand je m’adresse à vous, car je ne connais la France que d’une manière très-imparfaite. Mais voici ce que je veux vous dire.

«Dans le cours de ces Conférences, j’insiste beaucoup sur cet argument: que les objections qui empêchent de croire au catholicisme ne sont pas plus fortes que celles qu’on peut élever contre la croyance en Dieu. L’idée d’une providence et d’un gouverneur moral est si profondément enracinée dans l’esprit anglais, que la doctrine-de l’existence de Dieu est une sorte de point d’appui à l’aide duquel on peut arriver, en Angleterre, à remuer et à conduire un penseur au catholicisme, parce qu’il voit, dans cette manière de procéder, une reductio ad absurdum des arguments contre l’Église, dès qu’ils conduisent à la négation de Dieu. Mais pensez-vous que la question puisse être posée de la même manière en France? On reproche aux Français de pousser sans aucune appréhension une idée jusqu’à ses dernières limites; or, en insistant devant eux sur les difficultés que l’on rencontre à prouver l’existence de Dieu, au lieu d’arriver — s’ils ont des dispositions au scepticisme — à leur faire accepter le catholicisme, n’est-il pas à craindre qu’on ne les pousse à nier la Divinité ; de telle sorte que l’argument, fécond en bons résultats à Londres, en produirait de mauvais à Paris?

«Excusez-moi si, en vous parlant ainsi, je témoigne une anxiété peu convenable, et si je me mêle de ce qui ne me regarde guère. Mais, connaissant vos bons sentiments pour moi et la grande imperfection de tout ce que je fais, je n’ai pu m’empêcher de vous soumettre cette crainte. D’ailleurs, tout en vous exprimant mes appréhensions, j’abandonne la chose à votre jugement, plus apte que le mien à apprécier ce qui peut convenir ou non pour faire le bien en France.

«Acceptez mes vœux les plus tendres et mes humbles prières, et croyez-moi, mon cher Monsieur Gondon, avec un profond respect, etc., etc., etc.

«JOHN H. NEWMAN,

«a de la Congrégation de l’Oratoire.»

L’anxiété du R. P. Newman devait-elle me détourner de mon dessein? Peut-on d’ailleurs admettre le danger que l’auteur signale? Serait-il vrai que, dans notre patrie, l’idée de Dieu et de sa Providence est moins profondément enracinée dans les esprits qu’en Angleterre? Je crois qu’il serait difficile à quiconque connaît les deux pays de partager cette opinion. Et, en effet, si notre patrie compte, Dieu merci, un grand nombre de bons catholiques, on ne saurait classer comme incrédule le reste de sa population. En France comme en Angleterre, la masse des habitants se compose d’hommes qui ont foi en Dieu et en sa Providence, mais qui ne tirent pas de cette vérité première les conséquences qui en découlent; qui, par tiédeur, par négligence, vivent dans les illusions du monde, sans se préoccuper des grandes vérités déposées en germe dans leur cœur par leur première éducation. La France n’a jamais été incrédule, à moins qu’on ne veuille la personnifier dans quelques-uns de ses philosophes ou dans certaines illustrations de son Université.

Pour apprécier les sentiments religieux de la France, qu’on les juge lorsque la pression des circonstances leur permet de se manifester au dehors, et que l’on dise ensuite si l’idée du gouvernement moral de l’univers y est moins profondément enracinée dans les esprits que chez le peuple d’Angleterre! Pense-t-on, par exemple, que le respect pour les choses de la religion dont Paris a donné l’exemple sous le coup de la révolution de Février, en 1848, soit un symptôme d’incrédulité ? On ne sera cependant pas tenté de dire que la révolution a été faite par de bons catholiques. Pourrait-on espérer que Londres, frappé par de semblables événements, offrît jamais au monde un pareil spectacle? Quels sentiments a fait naître dans notre armée le grand événement de la rentrée du Vicaire de Jésus-Christ dans la capitale du monde chrétien? Les officiers et les soldats qui remplissaient les rangs de nos troupes d’Italie n’étaient pas des hommes d’élite, désignés en vue de la mission auguste qu’ils avaient à remplir; non, mais ils représentaient avec fidélité, les officiers, la bourgeoisie; les soldats, la classe industrielle des villes et surtout des campagnes. Eh bien! ne peut-on pas dire de ce corps qui, après avoir eu la gloire de ramener à Rome le Vicaire de Jésus-Christ, a fait l’édification du Pontife, des Princes de l’Église et de la ville sainte; ne peut-on pas dire de lui que ses sentiments sont ceux de l’armée, et que les sentiments de l’armée sont ceux de la population de la France? Il y a sous le drapeau national des hommes d’une religion plus ou moins pratique; mais combien en trouverait-on faisant profession d’incrédulité, n’admettant d’autres lois morales que celles de la raison humaine? Les sentiments religieux de la France se sont manifestés encore de manière à repousser le reproche d’incrédulité, quand elle a été frappée par le terrible fléau qui, depuis quelques années, décime les peuples de l’Europe. D’ailleurs, le R. P. Newman dit quelque part, dans ses Conférences, que les protestants, même en Angleterre, sont arrivés à n’avoir plus qu’une idée très-imparfaite de Jésus-Christ, et il en fait remonter la cause à l’oubli du culte de Marie. Or, si le culte de Marie tourne à la gloire de son Fils, comment placer au-dessous de l’Angleterre le pays du monde qui, du nord au midi, rend à Marie le culte le plus populaire dont on ait jamais été témoin? Comment pourrait se perdre ou du moins s’affaiblir la notion de Dieu chez un peuple qui glorifie ainsi Jésus-Christ par sa Mère?

Mon but, dans ces observations, n’est pas de nier les sentiments religieux de l’Angleterre, sentiments qui lui donnent une supériorité si marquée sur les autres pays protestants, et qui, tout en l’honorant, la tiennent sur la voie qui la conduira tôt ou tard à la vérité qu’elle a perdue. Non, tel ne saurait être mon dessein; je cherche seulement à écarter un reproche que la France ne me paraît pas mériter.

Les craintes du R. P. Newman ne pouvaient donc pas m’arrêter; j’y ai vu beaucoup moins une objection contre la traduction de ses savantes Conférences, qu’un prétexte derrière lequel sa trop grande modestie cherchait à se cacher. Je lui écrivis qu’il n’avait pas une idée très-exacte de l’état des esprits en France, et je lui donnai les raisons qui me faisaient espérer que ses Conférences étaient destinées à produire non moins de bien en France qu’en Angleterre, parce que, chez nous, comme chez nos voisins, la foi a surtout besoin d’être réveillée, secouée, tirée de l’état latent où elle se trouve dans la plupart des âmes. Sa réponse ne tarda pas à m’apprendre que j’avais triomphé de ses hésitations. Les grandes vérités du salut, prêchées avec la force de logique, l’attrait du style, la variété et la solidité d’érudition théologique, qui distinguent les Conférences du P. Newman, ne peuvent manquer, quel que soit le pays où elles seront lues et méditées, d’émouvoir et de convertir un grand nombre d’âmes. Des instructions si nourries de doctrine conviennent surtout à la France, où elles auront, entre autres avantages, celui d’offrir à quarante mille prêtres un riche arsenal d’armes puissantes pour livrer les saints combats de l’apostolat contre la tiédeur des croyants et les sophismes de l’erreur.

Ce volume me paraît avoir de nombreux attraits pour nous; il doit intéresser particulièrement le pays qui, après avoir lu et admiré le savant travail de M. Newman sur le Développement de la Doctrine Chrétienne, suit avec émotion les progrès de l’apostolat des nouveaux fils de saint Philippe. Cet ouvrage, le premier que le P. Newman ait publié depuis qu’il est prêtre catholique, offre un caractère remarquable qui le distingue des écrits que nous avions de lui avant son entrée dans l’Église. Ce ne sont plus ces formes de langage qui trahissaient, par leur ambiguïté, les perplexités de son esprit; son style n’est plus le même; il a subi le changement qui s’est opéré dans l’esprit du savant théologien. La science humaine, quelque variée, quelque solide qu’elle soit, ne peut dissiper les ombres que la lumière de la vérité a seule la puissance de faire évanouir. La parole du célèbre oratorien a gagné en force tout autant qu’en netteté ; on s’aperçoit que celui qui n’avait eu jusqu’à ce jour que le soutien de sa propre science en prêchant les vérités du salut, parle aujourd’hui en s’appuyant sur l’autorité infaillible de l’Église. Quiconque a lu les anciens écrits du brillant professeur de l’Université d’Oxford, pourra bien apprécier la puissance que donne à son langage le sentiment de l’autorité au nom de laquelle il évangélise sa patrie. Son talent, comme son âme, a subi une merveilleuse transformation; sa parole radieuse et poétique nous révèle, dans ce volume, un nouveau monde d’idées.

Ces Conférences ont un cachet d’originalité qui permettrait difficilement de les classer sous une désignation particulière. Le philosophe, le moraliste, le controversiste, le théologien, les liront avec un égal profit, car elles s’adressent aux uns et aux autres. Le P. Newman, philosophe non moins remarquable que théologien profond, se distingue surtout par une rare compréhension des doctrines, une faculté de s’élever à leur point culminant, d’en sonder les profondeurs, d’en saisir tous les rapports dans l’ordre surnaturel et dans l’ordre moral. Cette faculté brille avec non moins d’éclat dans le cours de ces Conférences que dans l’Histoire du Développement, où il avait montré cette faculté avec une puissance que l’on chercherait vainement chez les apologistes contemporains.

Ce volume offre au clergé français un modèle dont il manque, et il lui montre que l’on pourrait, même en France, mieux faire que de suivre les rationalistes sur le terrain où ils ont attiré les défenseurs de l’Eglise. Nos plus éloquents prédicateurs se sont laissé entraîner trop loin, en cessant d’être théologiens pour devenir philosophes catholiques. C’est parce que le langage de la théologie a trop souvent été banni de la chaire, que les peuples voisins, étonnés d’apprendre que nos premiers orateurs s’efforcent à démontrer l’existence de Dieu, la spiritualité de l’âme, la différence entre le bien et le mal, entre la vérité et l’erreur, etc., etc., que les peuples voisins, dis-je, se sont imaginé que la France est devenue la patrie de l’incrédulité. J’ai toujours pensé que nos apologistes font au rationalisme beaucoup plus d’honneur qu’il n’en mérite, et qu’ils lui donnent en apparence une importance qu’il n’a jamais eue. Il serait difficile de lire les Conférences du P. Newman sans arriver à conclure qu’il y a mieux à faire en France qu’à philosopher avec nos philosophes. Ce mieux consisterait tout simplement à prêcher l’Evangile.

Quant à l’Angleterre, ce volume, dont Mgr Wiseman a accepté la dédicace, y a obtenu un succès des plus populaires. Indépendamment de l’intérêt qui s’attachait au premier ouvrage publié par l’ancien membre de l’Université d’Oxford, devenu catholique, les circonstances ont concouru à ce succès. L’Église officielle d’Angleterre traversait, au moment de sa publication, une des crises les plus terribles qu’elle ait eu à subir depuis son origine. L’Etat, dont elle est la créature, tient beaucoup à ce qu’elle n’oublie pas le prix dont se paie son puissant patronage. Après lui avoir imposé des évêques d’une orthodoxie suspecte, foulant aux pieds les dernières traces de l’autorité épiscopale, même en matière de doctrine, il faisait décider par des arbitres laïques, que la doctrine de la régénération baptismale peut être acceptée ou rejetée, suivant le bon plaisir de chacun. La foi alarmée des anglicans instruits et sincères cherche en vain un appui contre les prétentions de jour en jour plus arrogantes de l’Etat, qui semble s’étudier à détruire leurs dernières espérances, à dissiper leurs dernières illusions. De là un ébranlement général des esprits, une agitation dont le flot, en se retirant, a laissé sur les rives tranquilles de l’Eglise des intelligences d’élite. Ce volume a été pour plusieurs la planche de salut qui, avec la grâce de Dieu, leur a permis d’atteindre le rivage. Magnifique et consolant spectacle! tandis que l’affranchissement de l’Église est sorti des terribles commotions qui ont ébranlé la France, l’Autriche et les diverses parties de l’Allemagne, le calme politique dont jouit l’Angleterre féconde, dans l’île de saint Édouard, la renaissance du catholicisme, et à l’ombre des libertés dont jouit ce puissant empire, les intelligences d’élite s’inclinent et rendent hommage à l’Eglise de Jésus-Christ.

Conférences adressées aux protestants et aux catholiques

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