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M. Brunetière commence par l’exposé des difficultés qu’il appelle philosophiques. Ne chicanons pas sur le mot et admettons que le terme soit bien choisi pour désigner les difficultés de croire qui, depuis trois cents ans surtout, «se tirent de l’impossibilité prétendue de concilier les conclusions dernières de la science positive avec les données fondamentales et essentielles de la foi» . La religion, la religion chrétienne implique le miracle, c’est-à-dire une dérogation aux lois de la nature. Or, ce que «la science, depuis trois cents ans, a essayé de mettre hors de doute, c’est précisément la «stabilité des lois de la nature» ; c’en est la constance absolue sous la variété de leurs manifestations apparentes; c’est l’impossibilité, pour Dieu même, d’y déroger, et c’est ce fait, à tout le moins, qu’à aucune de celles de ces lois qui nous sont connues, et depuis qu’elles nous sont connues, Dieu n’aurait dérogé » .

Il y a quelques années à peine, on nous opposait tapageusement les multiples erreurs scientifiques de la Bible; rappelons-nous seulement l’impressionnant ouvrage de l’Américain White . Aujourd’hui, par suite, sans doute, de notre interprétation moins servile de la sainte Écriture ou, plutôt, par suite du séparatisme qui tend à prédominer sur ce terrain et qui nous permet de voir dans certaines pages de la Genèse et des autres livres sacrés la simple expression de la science juive d’autrefois , le conflit a pour objet moins les points de détail que «les conclusions dernières de la science positive», que l’universelle et constante régularité du Cosmos dont le miracle, dit-on, dérangerait, troublerait l’admirable harmonie.

Il y a bien là, en effet, pour beaucoup d’esprits modernes, une grande difficulté de croire. L’esprit scientifique, positif, règne jusque dans les écoles primaires, et la mentalité contemporaine diffère profondément, à cet égard, de la mentalite antique. De plus en plus, le paysan lui-même croit à la stabilité des lois de la nature, et de moins en moins il a recours aux explications ou aux interventions miraculeuses. Quand donc on présente aux hommes du XXe siècle une religion tout inspirée d’un esprit contraire, une religion dont le miracle constitue ou semble constituer l’essence, une religion dont l’origine, l’histoire, le dogme, la morale, le culte, le fonctionnement supposent presque constamment l’intervention extraordinaire de Dieu, nos contemporains entrent en défiance, et ils se demandent si pareille religion n’est pas le produit d’un esprit en voie de disparaître, le legs d’un passé définitivement dépassé.

Que faire pour dissiper cette première difficulté de croire?

D’après M. Brunetière, «la vraie réponse est celle-ci, que la négation du surnaturel dans l’histoire est, selon toute apparence, la négation de la loi de l’histoire; et la négation du surnaturel dans la nature, sans ombre d’hésitation ni de doute, la négation de la liberté de Dieu» .

Qu’est-ce à dire?

Strauss écrivait jadis, dans sa Nouvelle vie de Jésus: «Sans un Alexandre, point de Christ», et il eût pu ajouter: sans un César. Mais quand il disait, en s’admirant lui-même de sa hardiesse: «Proposition blasphématoire à des oreilles théologiques!» il oubliait qu’avant lui Pascal avait écrit: «Qu’il est beau de voir, par les yeux de la foi, Darius et Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode agir sans le savoir pour la gloire de l’Évangile! » Et, en effet, Messieurs, de même que l’hypothèse de la stabilité des lois de la nature est la condition d’avancement de la science, ainsi l’hypothèse de la Providence est la condition d’intelligibilité de l’histoire. C’est ce que l’on appelle le «surnaturel général», en dehors duquel nous ne pouvons seulement concevoir ni l’enchaînement des effets et des causes, ni même ce que sont des «effets» et que des «causes» ; et l’histoire n’est plus qu’un chaos, rudis indigestaque moles, une succession irrégulière et désordonnée de mouvements inutiles, une agitation tumultueuse et vaine, l’illusion passagère, la Maya des philosophes de l’Inde, le rêve que nous continuons sans savoir quand il a commencé, ni s’il finira, ni pourquoi nous le rêvons. Mais, à la lumière du surnaturel, tout s’éclaire! La vie de l’espèce prend un sens! L’histoire de l’humanité s’organise! et nous nous développons enfin, au sein de la nature indifférente ou hostile, comme un empire dans un empire, sous une loi qui participe de la divinité de son auteur.

Examinons de près cet éloquent, ce magnifique passage.

«L’hypothèse de la Providence est la condition d’intelligibilité de l’histoire» : «à la lumière du surnaturel», «tout s’éclaire!» — C’est beaucoup assurément. Car enfin, une «hypothèse», qui rend compte de tant de choses, a quelque chance d’être fondée. Cependant, si tentante que puisse être cette raison, bon nombre de nos contemporains sont trop hostiles au miracle pour se laisser convaincre par elle. Sans le miracle, «l’histoire n’est plus qu’un chaos» : C’est triste, répondront-ils, mais tant pis si la réalité est triste! Nous devons la prendre telle qu’elle est et ne pas nous duper nous-mêmes. Et puis, est-ce bien sûr? On ne voit pas pourquoi, Dieu n’intervenant pas dans la série des événements, nous ne pourrions même concevoir «ce que ce sont que des «effets» et que des «causes» et pourquoi l’histoire ne serait plus «qu’un chaos» : quelque enchaînement des faits pourrait subsister et quelque prévision de l’avenir resterait possible. Enfin, le conférencier ne confond-il pas ici, et à tort, le miracle et la Providence? Le «surnaturel général» dont il parle, semble bien être identique à l’action providentielle; or, la Providence peut agir et agit d’ordinaire sans déroger aux lois de la nature.

M. Brunetière continue :

Mais, s’il est vrai qu’ainsi Dieu demeure «le maître de l’heure», comment, Messieurs, méconnaîtrions-nous que sa «Liberté » fait partie de sa définition, et qu’en conséquence, de nier le surnaturel, c’est exactement la même chose que de nier Dieu? Voilà ce qu’il faut bien voir... Ce que je dis, Messieurs, c’est que l’affirmation du surnaturel est inséparable de l’affirmation de l’existence de Dieu. Le Dieu d’Épicure et de Lucrèce,

Au fond de son azur immobile et dormant,

dépossédé du droit d’intervenir dans son oeuvre et devenu l’esclave de sa création, n’est pas un Dieu, mais le contraire d’un Dieu. J’en dis autant du Dieu de Spinoza... Mais si nous y voyons clair, la notion du «surnaturel» conditionne la notion de Dieu; ou encore, l’idée de Dieu n’a de réalité, de signification même, que dans la catégorie du surnaturel. Dieu se manifeste par la liberté qu’il a de défaire les liens où notre courte science essaye de l’emprisonner; et il faut renoncer à s’entendre quand on parle, ou il faut convenir que, de tous les attributs par lesquels nous essayons de le caractériser, il n’y en a pas un qui lui soit plus essentiel que celui de sa liberté. La liberté de Dieu, c’est son essence même, puisqu’enfin ce n’est qu’un autre nom de sa toute-puissance; et quand on affirme le «surnaturel», on affirme tout simplement que la nature et l’humanité, qui ne sont pas leur propre cause, ne sont pas davantage à elles-mêmes leur loi et leur fin. L’homme en a-t-il vraiment jamais douté ?

Est-il vrai que «de nier le surnaturel, c’est exactement la même chose que de nier Dieu» ? Dieu est libre, c’est entendu; mais sa sagesse ne peut-elle, pour ainsi parler, s’opposer à l’exercice d’une liberté, d’une toute-puissance, qui dérogerait aux lois, si admirablement établies, de la nature? Dieu n’est-il pas assez habile pour arriver à ses fins et pour nous venir en aide sans avoir recours au miracle, et l’homme ne peut-il reconnaître la main de Dieu dans le cours harmonieux des choses? Pour qui sait voir et réfléchir, Dieu n’est-il pas plus visible dans le spectacle du ciel étoilé que dans l’arrêt même du soleil? Dites que le miracle est possible, qu’en nier la possibilité, c’est nier Dieu: d’accord. Mais ne dites pas, n’ayez pas l’air de dire que le miracle existe comme nécessairement, et qu’on ne peut, sans nier Dieu, en nier la réalité : ce serait faux. On peut, avec de grands philosophes et Malebranche lui-même, concevoir un Dieu libre et tout-puissant qui ait ses raisons de ne pas faire de miracles. Il ne serait pas pour cela le Dieu fainéant d’Épicure, ni, non plus, le Dieu-nature ou le Dieu-naturant de Spinoza.

Le miracle est possible. — Le miracle est désirable: aujourd’hui comme toujours l’âme humaine souhaite, à certaines heures de détresse surtout, que Dieu réponde à sa prière en dérogeant, s’il faut, aux lois de la nature. N’est-ce pas là, en réalité, l’éternel besoin qui entretient et alimente la religion dans les âmes? Il nous faut, il faut à l’homme du XXe siècle comme à l’homme préhistorique, un Dieu qui, s’il le juge à propos, agisse, selon l’expression de Malebranche, par des «volontés particulières», fasse un miracle pour nous sauver ou pour sauver ceux qui nous sont chers. Au surplus, cela ne nous empêche pas de reconnaître et d’admirer les lois de la nature, ni de dire avec ferveur à notre Père du Ciel: Fiat voluntas tua!... Et encore, je le demande à tout homme de bonne foi, n’est-il pas certain que les plus beaux spectacles finissent par nous laisser indifférents? Assueta vilescunt, a-t-on dit avec raison, et beaucoup en arrivent à ne plus voir Dieu dans la création. Si Dieu, donc, dans sa paternelle bonté, veut rappeler à ses enfants oublieux qu’il est toujours là, ne faut il pas lui savoir gré de ses interventions extraordinaires? En vérité, notre raison et notre volonté sont si faibles, si courtes, que nous devons désirer et que nous désirons réellement que Dieu vienne à nous pour nous éclairer et pour nous aider d’une lumière et d’une force «surnaturelles». Mais tout cela implique l’intervention particulière de Dieu; et la révélation divine, pour être reconnue plus sûrement et plus facilement de tous, postule le miracle comme le signe le mieux approprié à notre condition humaine. — Enfin le miracle est réel. C’est ce dernier point tout spécialement qu’il faut démontrer, car c’est lui que les incrédules les plus sérieux contestent de préférence, et nous aurions beau prouver que le miracle est possible et désirable; si, de fait, il n’y en avait jamais eu de véritablement constatés, si, de fait, Dieu n’était jamais intervenu dans le monde d’une façon extraordinaire, nous n’en serions guère plus avancés. S’est-il jamais fait des miracles, s’en fait-il encore aujourd’hui? La nature et l’histoire, étudiées sans parti pris d’aucune sorte, me montrent-elles ici ou là le doigt de Dieu dans un fait, bien et dûment observé, qui ne puisse s’expliquer sans l’intervention spéciale de la toute-puissance divine? Voilà ce qu’il importe d’examiner de très près. Ne nous contentons pas trop facilement de demi-preuves vacillantes et défectueuses par quelque côté. Nos contemporains, je le répète, se défient des explications par le miracle, et c’est leur droit d’être très exigeants en pareille matière, c’est leur droit de n’accepter le miracle que s’il est strictement prouvé. Non sunt entia multiplicanda præler necessitatem, on ne doit recourir à l’action particulière de Dieu que si les solutions par les causes naturelles sont réellement insuffisantes. Je me hâte d’ajouter que c’est le cas assez souvent, le cas, par exemple, pour bon nombre de pages des saints Évangiles,

La Vérité du catholicisme, notes pour les apologistes

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