Читать книгу La Vérité du catholicisme, notes pour les apologistes - Joseph Bricout - Страница 9

III

Оглавление

Table des matières

Il faut en dire autant de la science des religions comparées dont, actuellement, on tire une troisième difficulté de croire.

M. Brunetière insiste ici sur la comparaison qui a été faite si souvent entre le christianisme et le bouddhisme.

Il ne s’arrête pas aux «quelques analogies» «assez superficielles», «qu’on a cru découvrir entre les enseignements ou les formes extérieures» de ces deux religions. Elles ne prouvent pas que l’une dérive ou dépende de l’autre, et, «ces analogies fussent-elles plus profondes et surtout démontrées, il n’en résulterait toujours que l’existence d’une révélation primitive et diffuse, — ou naturelle, si l’on veut — à laquelle l’Inde aurait participé comme le reste de l’humanité ».

M. Brunetière attache beaucoup plus d’importance à ce qu’il appelle «la situation du bouddhisme par rapport au brahmanisme », à l’affirmation que le bouddhisme serait venu substituer dans l’Inde «une religion de l’esprit», «à la religion de la lettre et de la loi, emprisonnée et comme ankylosée dans la multiplicité de ses pratiques ».

Qu’est-ce à dire? et par hasard, ce qui serait plus grave que les analogies qu’on nous a signalées entre nos moines et leurs bonzes, nous trouverions-nous en présence d’une loi de développement de la pensée religieuse dont le bouddhisme et le christianisme ne seraient, à des époques et des milieux différents, que des «cas particuliers », comparables et parallèles? Voilà la vraie «difficulté ». Il semble que nous ayons dans l’évolution du bouddhisme l’exemple d’un développement religieux tout humain, qui lui-même s’est donné comme tel, et dont l’initiateur n’aurait reçu sa mission que de la pitié qu’il a ressentie dans son cœur d’homme pour la misère de ses semblables. Cette «religion de la souffrance humaine» a conquis en son temps la moitié de l’humanité, et ses fidèles, encore aujourd’hui, forment environ le tiers de notre espèce. Quelques-unes des vertus qu’elle enseigne sont au premier rang de celles qu’on nous prêche du haut de nos chaires... Qu’y a-t-il donc en elle de moins que dans le christianisme? Où est le signe de cette «transcendance» que nous attribuons à notre religion? Quelles marques avons-nous de sa supériorité ?...

C’est, Messieurs, la question que je ne crois pas qu’aucun de ceux qui ont étudié le bouddhisme d’un peu près ait pu s’empêcher de se poser, — et j’en connais qui ne l’ont pas résolue. Oserais-je dire que, pour ma part, à la poser ainsi, je n’en sache pas de plus inquiétante? Car si le christianisme n’est pas «unique», il retombe sous la loi naturelle du développement de l’esprit humain, ce qui équivaut à dire qu’il n’est plus le christianisme. Et, dans ces conditions, comme du bouddhisme lui-même, il n’en reste qu’une discipline dont la libre-pensée moderne n’aurait plus qu’à dégager, du milieu des dogmes qui l’obscurcissent, la signification morale et civilisatrice .

A la difficulté ainsi exposée comment M. Brunetière répond-il? Il répond en la niant. La difficulté, écrit-il, est «infiniment moins grave aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a cinquante ans, par exemple; et cela tient à la connaissance que nous avons du bouddhisme, plus exacte et plus complète qu’elle ne l’était au temps où Eugène Bournouf écrivait sa monumentale Introduction ». Le bouddhisme n’est pas et n’a jamais été ce qu’on disait.

Toute comparaison qu’on essaierait aujourd’hui de raire entre le bouddhisme et le christianisme est inégale, injurieuse au second, nullement «scientifique» d’ailleurs, contredite à la fois, rendue vaine et caduque par les textes et par les faits. La différence du bouddhisme au christianisme n’est point, comme on l’a cru, de l’Europe à l’Asie, de l’homme jaune à l’homme blanc, du Chinois ou du Japonais, — puisqu’il n’y a presque plus de bouddhisme dans l’Inde, — au Français ou à l’Allemand. Elle est, Messieurs, dans la doctrine même: elle est dans toute l’histoire et dans tout le développement de l’une et de l’autre religion; elle est dans l’esprit même de l’un et de l’autre enseignement. Et, si je ne me trompe, cette seule constatation ne résout-elle pas la difficulté ?

... Il n’y a pas lieu de nous étonner que le développement du bouddhisme soit «tout humain», et ne se soit jamais donné comme tel, si nous ne trouvons rien, ni dans son origine, ni dans sa propagation, ni dans son enseignement, qui semble excéder la moyenne de l’humanité. L’érudition ici, comme en tant de rencontres, a été dupe de l’apparence et de son empressement à généraliser des données incomplètes. Il n’y a rien, je ne dis pas au sens théologique, mais au sens purement laïque du mot, de moins «transcendant» que le bouddhisme. On ne peut pas plus s’en faire une arme contre le christianisme que de l’islamisme ou du jaïnisme. Il a vécu son temps de moyen de polémique, si je puis ainsi dire; et, n’ayant désormais rien à redouter de la comparaison qu’on en pourra faire avec lui, le christianisme n’a rien à craindre de la science des religions comparées .

De fait, la supériorité du christianisme sur le bouddhisme comme sur toutes les autres religions n’est guère contestable; et l’œuvre des apologistes catholiques serait assez facile, si elle pouvait s’en tenir là.

Mais les apologistes catholiques n’ont-ils qu’à établir la supériorité du christianisme en général sur les autres religions?

D’abord, ce n’est pas du christianisme en général qu’ils ont à établir la supériorité, c’est du catholicisme envisagé strictement, du catholicisme autoritaire tel que nous le connaissons. Or, pour beaucoup de nos contemporains, et non des moindres, le fond d’autoritarisme, qui caractérise l’Église catholique et qui, par certains côtés, fait sa force, est une pierre d’achoppement; il ne leur semble pas nécessaire, non plus, que l’expression de la Révélation doive être, elle aussi, absolument immuable, et une religion qui prétend s’immobiliser à ce point leur paraît une religion pétrifiée, vieillie et vouée à une mort certaine. Ce qu’ils demandent, ce n’est pas le protestantisme libéral, miné par son individualisme excessif; ils rêvent d’un catholicisme moins figé, plus vivant. Il faudra prouver à ceux-là que le catholicisme romain n’est pas aussi tyrannique ni aussi ennemi de la vie qu’ils se l’imaginent, et que la liberté du fidèle y est suffisamment sauvegardée: son caractère autoritaire apparaîtra ainsi comme un élément de sa supériorité, puisque, finalement, il n’a d’autre raison d’être que de grouper en un solide faisceau toutes les forces vives de la société chrétienne, que d’exclure les principes de dissolution et d’anarchie, que de faire profiter chacun des efforts et des richesses de tous.

Et puis, et surtout — qu’on le remarque bien, — ce n’est pas seulement la supériorité du christianisme, du catholicisme qu’il s’agit de démontrer, c’est sa divinité, sa divinité strictement entendue, à l’exclusion de toutes les autres religions.

Nous avons prouvé que le catholicisme est supérieur au bouddhisme par son dogme, sa morale, son culte, son organisation, son action. S’ensuit-il nécessairement et immédiatement que le catholicisme est divin, seul divin, et que le bouddhisme n’est qu’une religion fausse, diabolique ou tout humaine? Non, en bonne logique.

Pourquoi Dieu, en effet, dans son ineffable condescendance, n’aurait-il point agi, parlé en tous les temps et en tous les lieux et n’aurait-il point adapté sa révélation à la capacité des esprits si divers selon les siècles et les races? Le brahmamisme, le bouddhisme, l’islamisme seraient, dans leur fond, divins comme le judaïsme et le christianisme, — dans leur fond, qui est le même partout, puisqu’il n’est autre que l’aspiration de l’âme humaine vers un Au-delà dont on implore, dont on attend l’aide et le salut.

De quel droit, aussi, conclurait-on de la supériorité du christianisme à sa divinité stricte? Nous admettons que le bouddhisme est «tout humain». De ce que le christianisme lui est supérieur, de ce que la comparaison entre le catholicisme et les autres religions est tout à l’avantage de celui-là, de ce qu’il est «transcendant», «unique», s’ensuit-il avec évidence qu’il est d’origine divine et que l’action divine s’y manifeste aujourd’hui et s’y manifestera éternellement? A s’en tenir à la comparaison entre les religions, pourrait-on légitimement tirer ces conclusions? Jusqu’où peut aller l’esprit humain, et le catholicisme, pour être supérieur à ses rivaux, est-il évidemment au-dessus de ce que l’esprit humain peut concevoir? Au surplus, quand même le doigt de Dieu se montrerait dans sa fondation et dans les dix-neuf siècles de son histoire, est-ce à dire, pour cela seul, que le catholicisme ne doive point, un jour, subir le sort du judaïsme et faire place à une religion qui en soit le développement, comme lui-même est un développement du judaïsme?

La science des religions comparées, dangereuse pour certains esprits que des analogies superficielles émeuvent à l’excès, ne peut, si on s’y livre scientifiquement ou loyalement, qu’être favorable au catholicisme dont elle manifeste la supériorité incontestable. Mais pour qu’elle en établisse la divinité, la divinité stricte et exclusive, il faut avoir soin de ne jamais la séparer de l’exégèse et de l’histoire de l’Église. On arrive ainsi à prouver, avec textes et faits à l’appui, que Dieu a institué, immédiatement et directement, une religion, une seule, qu’il lui a promis son éternelle assistance, une éternelle durée, et que cette seule véritable et éternelle religion, souverainement supérieure aux autres, si supérieure aux autres qu’elle est «unique» en son genre, est le christianisme, le catholicisme, le catholicisme autoritaire que nous connaissons.

Une autre question, très grave elle aussi, se rattache à la science, à la philosophie des religions. Elle est fondamentale, et nous la tranchons peut-être trop sommairement. C’est la suivante: Qu’est-ce qui a donné naissance aux religions? Qu’est-ce au juste que le sentiment religieux et dans quels rapports est-il avec la révélation? On prétend communément, autour de nous, que la révélation n’est qu’un des noms du sentiment religieux, son nom mythique, et que les religions positives et prétendues révélées ne sont que le produit de l’âme humaine, de son intelligence, de son imagination, de son cœur, de toutes ses facultés. Les religions révélées, parce qu’elles seraient dans leur fond identiques à ce qu’on a appelé la religion naturelle, tendraient de plus en plus à se rapprocher d’elle. La religion naturelle, épurée toujours davantage, la religion de l’esprit, telle que l’a conçue Auguste Sabatier, serait comme la dernière forme et l’expression suprême de la religion, du sentiment religieux.

M. Brunetière n’a pas abordé dans sa conférence cette importante question, et ce qu’il en dit ailleurs ne suffit pas pour la résoudre. Ce ne sera pas trop, pour y répondre, des efforts combinés de l’histoire, de l’histoire des religions, de l’exégèse, et aussi de la psychologie, de la sociologie et de la métaphysique. Plus encore que de toute autre science, c’est de l’histoire et de l’exégèse que l’apologiste aura à attendre la solution définitive. En fait, y-t-il eu une revélation, et quelle révélation? A une question de fait c’est à l’histoire, c’est ici à l’exégèse, qui n’est qu’une branche de l’histoire, de répondre finalement.

La science des religions, encore une fois, ne doit jamais se séparer de l’exégèse, et c’est par l’exégèse que seront tranchées les questions qu’aura posées la science des religions.

Ainsi comprise, c’est-à-dire étudiée dans toute son ampleur et dans tous ses éléments, la science des religions comparées sera comme une partie intégrante et capitale de l’apologétique catholique à laquelle elle apportera son nécessaire contingent. Elle sera, elle aussi, une «grande ouvrière» de la foi.

La Vérité du catholicisme, notes pour les apologistes

Подняться наверх