Читать книгу La Vérité du catholicisme, notes pour les apologistes - Joseph Bricout - Страница 8
II
ОглавлениеLes saints Évangiles! Mais, hélas! qu’en reste-t-il? La critique en a-t-elle laissé subsister assez pour étayer notre foi? Ou, au contraire, l’exégèse moderne, celle qui s’est tant développée au siècle dernier, n’a-t-elle pas suscité de «nouvelles» difficultés de croire?
Tout était simple, écrit fortement M. Brunetière, , la veille encore, pour ainsi parler, qnand on admettait universellement que le Christ avait enseigné, que les apôtres avaient prêché, que l’Église avait continué la prédication des apôtres. Mais voici maintenant qu’on se demandait, non plus même, comme au temps de Luther et de Calvin si l’Église avait — et quelle Eglise? — fidèlement continué cette prédication, mais quelle était cette prédication? et si les Évangiles en pouvaient être considérés comme de sûrs témoins? et s’ils contenaient vraiment la parole du Christ, et quelle preuve décisive on en pourrait produire? Reconnaissons, Messieurs, qu’il y avait là de quoi troubler profondémeut les consciences chrétiennes, et aussi l’ont-elles été, le sont-elles profondément encore. L’exégèse rationaliste a été, de notre temps, la grande ouvrière du doute en matière de religion; et je suis bien obligé d’ajouter qu’elle le sera pour aussi longtemps que nous ne l’aurons pas vaincue sur son propre terrain, qui est celui de l’érudition.
M. Brunetière ajoute, néanmoins, que les difficultés de croire qu’on tire de l’exégèse, sont «moins graves, moins inquiétantes et moins nombreuses qu’il y a cinquante ans» .
Et en effet,
On est à peu près unanime à reconnaître aujourd’hui que les livres du Nouveau Testament sont bien de leurs auteurs, — ou de l’école de leurs auteurs, si je puis ainsi dire, — et on tombe d’accord, à quelques années pres, des dates successives de leur apparition, qui s’échelonnent de 48 ou 50 à 110. On est à peu près unanime à reconnaître que si les Evangiles ne sont pas des «histoires» au sens propre du mot, — de la nature de celles de Tacite, par exemple, ou de César, — «l’historicité », c’est-à-dire la certitude historique des faits qui s’y trouvent rapportés, n’est cependant pas douteuse. Et on est à peu près unanime à reconnaître que, s’ils contiennent l’essentiel de l’enseignement du Christ, ils ne le contiennent pas cependant tout entier, ce qu’on peut rendre encore d’une autre manière, plus expressive, en disant que l’Église est antérieure à l’Évangile.
Voilà qui est, certes, d’un optimisme rassurant! Mais est-ce tout à fait exact? et les apologistes doivent-ils s’emparer de ces triomphantes affirmations pour les transcrire dans leurs ouvrages ou les citer dans leurs sermons sans prendre la peine d’en examiner le bien-fondé ?
Il est très vrai que M. Harnack et même Renan sont, sur certains points, moins éloignés de nous que Baur ou Strauss. Mais, il faut le dire puisqu’il ne servirait de rien de se faire illusion, leur exégèse, parce qu’elle est moins outrée, n’en est peut-être que plus redoutable. Il était assez facile de réfuter les exagérations insensées des uns: il l’est beaucoup moins de reduire à néant les affirmations plus mesurées des autres. Quelques conférences de Lacordaire suffisaient à la rigueur pour faire justice des excès de la Nouvelle Vie de Jésus; nous ne nous tirerons pas à si peu de frais de la discussion de telle ou telle des soixante-cinq propositions que le Saint-Office vient de condamner.
Les exégètes rationalistes ou protestants sont d’accord avec nous sur quelques points importants. Oui. Mais est-on aussi unanime que M. Brunetière le croit, sur l’authenticité, l’historicité et l’autorité des livres du Nouveau Testament? M. Brunetière écrit, par exemple: «L’historicité, c’est-à-dire la certitude historique des faits qui se trouvent rapportés» dans les Évangiles, «n’est pas douteuse... Il n’y a pas de doute sur la substance de l’enseignement du Christ... Il n’y a pas de doute ni sur la réalité des faits connus de la vie de Jésus, ni sur l’objet qu’il attribuait lui-même à sa mission, ni sur la correspondance de cette mission avec les promesses de l’Ancien Testament ». Or, en dépit de ces affirmations, n’est-il pas de notoriété publique que l’accord est loin d’être fait sur les points les plus graves, sur la conception virginale et la résurrection corporelle de Jésus-Christ, sur le sens du royaume de Dieu qu’il prêchait et de la filiation divine qu’il s’attribuait, etc.? Tout le monde sait que MM. Vigouroux et Lagrange, Loisy, Harnack diffèrent d’opinion sur tout cela.
Ainsi, Messieurs, conclut M. Brunetière, se trouvent vérifiées les paroles de Bossuet, quand il s’écrie, dans son Discours sur l’histoire universelle: «Qu’on me dise, s’il n’est pas constant que de toutes les versions et de tout le texte quel qu’il soit il en reviendra toujours les mêmes lois, les mêmes prédictions, les mêmes miracles, la même suite d’histoire, le même corps de doctrine, et enfin la même substance? En quoi nuisent après cela les diversités des textes? Que nous fallait-il davantage que ce fonds inaltérable des livres sacrés? Et que pouvions-nous demander de plus à la divine Providence?» Il avait raison, Messieurs, et son raisonnement — qui n’est qu’à peine un raisonnement, mais plutôt une constatation — n’a rien perdu de sa force.
«Il en reviendra toujours... la même substance » : l’affirmation est évidemment vraie si on ne l’entend que de la critique textuelle. Oui, le «fonds des livres sacrés» est resté «inaltérable ». Mais ce qui est vrai de la critique textuelle ne l’est pas nécessairement de la critique littéraire ou de la critique réelle. La substance de l’Évangile apparaît, en effet, singulièrement différente dans les ouvrages des exégètes contemporains les plus fameux, suivant l’idée qu’ils se font de l’authenticité et du caractère de tel ou tel livre, de telle ou telle partie de livre, ou même suivant le sens qu’ils attribuent à telle ou telle expression. Relisez le décret du Saint-Office Lamentabili sane, si vous gardez le moindre doute à ce sujet.
Pour résoudre la difficulté de croire qu’on tire de l’exégèse, il ne suffira donc pas de la nier ou de la diminuer à l’excès: elle n’en subsisterait pas moins et l’exégèse rationaliste, parce que «nous ne l’aurions pas vaincue sur son propre terrain», continuerait d’être «la grande ouvrière du doute en matière de religion».
Ne nous contentons pas, non plus, pour réfuter les exégètes indépendants et incroyants, de signaler leurs contradictions, leurs variations, ou même leurs fantaisies et leurs paradoxes. Gardons-nous surtout de nous réfugier derrière une sorte de scepticisme historique et de dire ou d’écrire, avec M. Brunetière, que «les conclusions de l’exégèse, comme celles de la critique littéraire la plus impressionniste, ne sont toujours que l’expression des opinions particulières de l’exégète».
Ce scepticisme exégétique est excessif, d’abord. Les critiques sont loin de s’entendre, et il est bien certain que les opinions particulières et préconçues de l’exégète risquent d’influer sur la direction de ses recherches et sur ses conclusions; bien certain aussi qu’on ne peut pas toujours procéder en histoire avec la précision, la rigueur, la certitude, l’infaillibilité dont jouissent les sciences physiques ou mathématiques. Il faut reconnaître pourtant que tout en exégèse n’est pas pur impressionnisme et que, si les exégètes, de l’aveu même de M. Brunetière, arrivent à s’entendre parfois sur certaines questions où ils avaient commencé par être en désaccord, cela tient finalement à ce que la méthode qu’ils emploient les conduit à des résultats objectifs et à la vérité historique.
Le scepticisme exégétique de M. Brunetière serait, de plus, extrêmement dangereux. Si les exégètes ne font qu’exprimer dans leurs conclusions leurs «opinions particulières» et si, par conséquent, nous ne mesurons leur crédit qu’ «au gré de notre convenance», sur quelles preuves historiques appuierons-nous l’édifice de notre foi? M. Vigouroux essaiera de me démontrer par les Livres saints la mission divine de Jésus ou l’autorité divine de l’Eglise; je lui repondrai: «Mais tout cela n’est que pur impressionnisme, et au fond nous ne pouvons rien savoir de certain en pareille matière.» Casse-cou, vous dis-je.
Non, il n’y pas d’autre moyen de dissiper les difficultés de croire qui sont nées de l’exégèse, que de faire de la bonne, de la solide exégèse, de l’exégèse vraiment scientifique, de l’exégèse vraie. L’exégèse fausse, l’exégèse systématique, aprioristique ne sera vaincue qu’à ce prix. Ayons assez de foi dans la bonté de notre cause et la puissance de la vérité pour oser regarder en face les difficultés quelles qu’elles soient; ces difficultés trouveront une solution, sinon aujourd’hui, demain à coup sûr. C’est toujours la vérité qui a le dernier mot.
Le témoignage de saint Paul, dont l’authenticité de plusieurs grandes épîtres, tout au moins, est incontestable et incontestée, fera toujours notre force: l’Apôtre écrivait, en effet, vingt ans à peine après la mort de Jésus, et l’on voit qu’il avait à cœur de transmettre «ce qu’il avait reçu» ; son témoignage est véritablement de toute première valeur. Quant aux évangélistes, leur diversité en même temps que leur substantielle concordance, la sincérité avec laquelle ils nous racontent certains faits embarrassants ou nous conservent certaines paroles gênantes, tout indique qu’ils n’obéissaient pas à un parti pris d’idéalisation systématique: ils consignaient par écrit ce qu’eux-mêmes avaient vu ou ce que croyait leur génération, et cette génération — même abstraction faite de l’assistance divine — était trop rapprochée des événements et aussi trop attachée à en garder fidèlement la physionomie et le sens pour qu’une altération essentielle fût possible. Il y avait alors des prophètes, et leur rôle était grand dans les premières communautés; mais il y avait aussi tous ceux qui avaient vu, entendu, touché de leurs mains le Sauveur, et ceux-ci avaient plus d’autorité encore sur les fidèles.
C’est à mettre en relief cette incomparable valeur historique de saint Paul et des évangélistes que les apologistes doivent viser avant tout. Leur tâche, pour délicate et difficile qu’elle soit, n’est pas irréalisable. Quelques positions, difficilement défendables, seront sans doute abandonnées; mais nous pourrons garder l’essentiel. Aussi l’exégèse, cultivée avec loyauté et intelligence, redeviendra vite «la grande ouvrière» de la foi qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.