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La Comédie françoise.

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Table des matières

Florvel (c'étoit bien le nom de l'ami que j'attendois, j'en fus sûr en le voyant), Florvel arriva. Philippe sortit en m'assurant qu'il n'oublieroit pas de présenter mes remerciemens à madame la baronne. Je souris de la complaisance de sa mémoire, car je n'avois pensé qu'à remercier Philippe. Florvel me prit par le bras, et nous partîmes pour le spectacle.

«Quelle est cette baronne, me dit-il, à laquelle on présente tes remerciemens? Est-elle jeune?—Elle n'a que soixante-deux ans.—Et de quoi la fais-tu donc remercier?—Regarde, lui dis-je en lui présentant ma montre: le cadeau n'en vaut-il pas la peine?—Oui certes, mon ami; et si, à ton âge, avec une santé toute neuve, tu donnes dans la vieille noblesse, je te prédis que tu iras loin. Comment se nomme-t-elle?—Madame de Sponasi.—Cela n'est pas possible; je croyois que sa philosophie la mettoit maintenant au-dessus des foiblesses de l'humanité.—Je ne t'entends pas.—Il me semble cependant que je m'explique. Madame de Sponasi est-elle ta parente?»

Je compris aussitôt ce qu'il vouloit me dire, et je répondis avec assurance que j'avois l'honneur d'être allié à sa maison; qu'ayant perdu de bonne heure mes parens, et madame de Sponasi n'ayant pas d'enfant, elle avoit bien voulu se charger de mon sort.

«Que fais-tu chez M. de Vignoral?—J'achève mon éducation.—Est-ce qu'elle veut faire de toi un philosophe, mon pauvre Frédéric? Ne t'avise pas de devenir raisonnable, ou, malgré mon amitié pour toi, je renoncerois à te voir.—Est-ce que tu n'es pas raisonnable, toi, Florvel?—Pas trop; du moins c'est l'avis de ma famille. Figure-toi qu'ils veulent me marier. À vingt ans, un nom, et quelque réputation auprès des femmes, me marier!—Avec une demoiselle âgée, peut-être?—Elle n'a que seize ans.—Laide?—Belle comme son âge.—Sotte?—Remplie d'esprit, de graces et de talens.—Pauvre?—Au contraire, riche dès à présent, et héritière d'une demi-douzaine de vieux parens qui l'adorent.—Et tu refuses?—Mon ami, ce n'est pas ma faute. Je suis aimé à la folie d'une femme qui mourroit de chagrin si je l'abandonnois. Elle ne peut supporter l'idée de ce mariage, et je n'ai pas la force de lui en causer le chagrin. Elle est mariée: elle a bravé pour moi et l'autorité de son époux, et la censure publique; il n'est pas de sacrifices qui lui coûtassent, plutôt que de renoncer à son amour. D'un autre côté, mes parens me pressent: je ne suis pas riche, moi; et comme je n'ai rien de réel à leur objecter, cela m'embarrasse beaucoup.»

Nous arrivâmes aux François, et nous nous plaçâmes au balcon opposé à la loge que Philippe m'avoit indiquée pour être celle de madame de Sponasi. Presque en face de nous, je découvris M. de Vignoral, avec une femme entre deux âges, propriétaire d'une de ces figures dont on ne parle pas, et une jeune personne si jolie, que je soupirai en la regardant. Il s'occupoit si peu d'elle, que je me persuadai bientôt que ce n'étoit pas l'épouse qui lui étoit destinée; et cette idée me fit plaisir, sans trop savoir pourquoi. J'allois la faire remarquer à Florvel, quand lui-même me montra son père avec plusieurs dames et mademoiselle de Nangis; c'étoit l'épouse qu'il refusoit. «Tu as raison, mon ami, lui dis-je, elle est de la figure la plus intéressante.—Sans doute, me répondit-il en soupirant». La pièce venoit de commencer.

Dans l'entr'acte, Florvel m'observa qu'il lui étoit impossible de ne pas aller saluer ces dames et son père; il me proposa de venir avec lui. J'avois vu arriver madame de Sponasi, et je ne demandois pas mieux que d'aller me placer au balcon au-dessous de sa loge, quoique je m'exposasse à être vu de M. de Vignoral, qui étoit presque à côté; mais alors la crainte de ses observations étoit moins grande que le désir de voir sa société de plus près. Je consentis à accompagner Florvel, à condition qu'il viendroit à son tour avec moi. Proposer à un jeune homme de parcourir tous les coins d'une salle de théâtre, c'est être sûr d'avance de sa réponse.

Notre première visite fut pour le père de Florvel; j'en fus accueilli avec les politesses d'usage. Je ne pourrais apprendre aux autres ce que je ne sais pas moi-même; mais il est des choses sur lesquelles l'expérience précède la réflexion. En sortant de la loge, je dis à Florvel: «Mon ami, je suis persuadé que mademoiselle de Nangis t'aime.—Je le crois, me répondit-il d'un air inquiet; je crois plus, c'est que je l'aime aussi.»

Nous entrâmes au balcon. Madame de Sponasi m'apperçut, et me sourit avec amitié: je la saluai; Florvel en fit autant. Madame de Sponasi n'avoit répondu à mon salut que par un nouveau sourire: elle répondit à celui de Florvel par une inclination de tête plusieurs fois répétée. M. de Vignoral entra en ce moment dans sa loge: nous étions restés debout; elle nous fit signe d'approcher.

«Monsieur, dit-elle à Florvel, je félicite Frédéric sur le choix de ses amis: on vouloit me faire craindre qu'il ne devînt trop sérieux; mais en le voyant lié avec vous, je garantis qu'avant un mois on le citera dans tout Paris pour son étourderie.»

«Je crois plutôt, madame, répondit Florvel, que je lui devrai la gloire de devenir raisonnable. L'honneur qu'il a de vous connoître, les conseils de M. de Vignoral, le mettent à l'abri de ma séduction, sans me donner la même assurance contre son exemple.»

«Qu'en pensez-vous, Frédéric»? me dit madame de Sponasi.

«Moi, madame? J'ai appris ce matin que l'amabilité et la raison vont si bien ensemble, qu'il ne vous est pas permis de vouloir les séparer.»

«Vous ne vous doutez peut-être pas que c'est à moi qu'un pareil compliment s'adresse», dit madame de Sponasi en se tournant vers M. de Vignoral, qui n'avoit pas cessé de me regarder. Il soutint la conversation sur le même ton de légéreté, et me prouva, sans effort, qu'il pouvoit être aimable par tout autre part que chez lui.

«Allez, mes enfans, nous dit madame de Sponasi; vous n'êtes pas venus au spectacle pour entendre le radotage d'une vieille femme, et je vous tiens quittes de votre complaisance.»

Florvel l'assura qu'il mettroit toujours au nombre de ses momens les mieux employés, ceux où il auroit l'honneur d'être admis à lui faire la cour.—«Vraiment? s'écria-t-elle.—Vous n'en doutez pas, madame.—Je crois sérieusement qu'il devient raisonnable, me dit-elle. Je vous en fais mon compliment, Frédéric: votre entrée dans le monde date par une conversion. Messieurs, si vous n'avez pas d'engagement pour ce soir, je vous invite à souper». Nous la saluâmes, et nous retournâmes nous placer au balcon au-dessous de sa loge. M. de Vignoral y resta pendant l'acte entier. Que j'aurois voulu tenir la place qu'il avoit laissée vide! Oh! combien étoit jolie la femme qu'il négligeoit pour causer avec madame de Sponasi! Encore une fois, ce ne pouvoit être celle qu'on lui destinoit.

Quand il quitta ma protectrice, il me fit signe de venir à lui; et, me prenant par la main, il me dit qu'il vouloit me présenter aux dames avec lesquelles il étoit. Le cœur me battit bien fort.

«Je vous amène un élève de la philosophie, leur dit-il pendant que je les saluois. Si j'avois à ma disposition cent jeunes gens pareils pour prêcher les véritables principes, je pense, mesdames, que votre sexe nous disputeroit la gloire de les adopter.»

La femme à figure commune me fit un salut d'assez mauvaise grâce; la jolie me regarda en riant. Quelle physionomie piquante!

«Voici, mademoiselle, lui dit M. de Vignoral, le jeune homme dont je vous ai parlé; il a l'esprit sérieux, et j'espère que vous n'aurez qu'à vous louer de ses procédés. J'en pensois déjà beaucoup de bien; madame de Sponasi vient de m'en parler avec le plus grand éloge.»

Elle me regarda encore en riant. Je m'assis derrière elle; et chaque fois que je me hasardai à lui adresser la parole, elle se contenta de me regarder et de rire. J'avois entièrement oublié Florvel: au bout d'un quart d'heure, je le cherchai des yeux à la place ou je l'avois laissé; il n'y étoit plus. Enfin je l'apperçus aux troisièmes, tête-à-tête avec une femme dont l'ensemble, au premier coup d'œil, excitoit l'admiration: ce n'étoit ni sa figure, ni sa taille, ni ses graces, que l'on admiroit; c'étoit un art si étonnant dans sa toilette, qu'en la voyant avec Florvel, il étoit impossible de ne pas regarder cette loge comme le sanctuaire de la mode, elle pour son sexe, lui pour le sien.

À la fin de la première pièce, il vint me rejoindre, et nous sortîmes du spectacle pour nous promener.

«Quelle figure intéressante! me dit Florvel.—Et quelle taille svelte, mon ami!—Comme ses yeux expriment ce qui se passe dans son ame!—Comme elle a l'air spirituel quand elle rit!—Tu l'as vue rire, Frédéric?—Bien des fois, en me regardant.—Elle t'a regardé?—Oui, souvent.—C'est singulier. Tout le temps que j'ai causé avec madame de Folleville, j'ai cru la voir fixer les yeux sur notre loge avec une inquiétude qui m'a pénétré l'ame.—Je ne l'ai pas remarqué.—Moi, je t'en réponds. Elle souffre.—Quelle fantaisie aussi de la sacrifier par un mariage aussi ridicule!—Frédéric!—Mon ami.—En quoi donc ce mariage te paroît-il si ridicule?—En tout. Une femme vive, enjouée, jeune, riche, obligée de passer sa vie avec un homme qui ne l'aimera jamais!—Qui ne l'aimera jamais!—Non, Florvel: il n'aime que sa réputation; il est tyran, maussade dans l'intérieur de sa maison: une maxime philosophique le séduira bien plus que tous les charmes de son épouse.»

Florvel se mit à rire de toutes ses forces. «Et de qui diable me parles-tu? s'écria-t-il. Je croyois qu'il étoit question de mademoiselle de Nangis». Mon sérieux ne tint pas contre la gaieté de notre quiproquo: je parlois de l'épouse promise à M. de Vignoral, et Florvel de celle qu'il refusoit.

«Tu aimes donc mademoiselle de Nangis? lui dis-je.—Oui, vraiment.—Tu n'aimes donc plus madame de Folleville?—Si, mon ami.—Laquelle du moins préfères-tu?—J'aime plus mademoiselle de Nangis; mais je suis plus aimé de madame de Folleville.—Ainsi tu vas te brouiller avec ta famille, perdre un établissement avantageux, t'exposer à des regrets, par faiblesse.—Que ferois-tu à ma place?—Je n'hésiterois pas un instant; j'épouserois mademoiselle de Nangis.—Mais, Frédéric, figure-toi le désespoir de madame de Folleville; je te le répète, elle est capable de se perdre, de tout sacrifier, plutôt que de renoncer à moi. Ce n'est point une coquette qu'une liaison nouvelle puisse dédommager; j'ai eu le temps de la connoître, d'apprécier sa sensibilité: je la juge d'autant mieux maintenant, que je voudrais en vain me dissimuler à moi-même que je n'en suis plus amoureux. Ce qui me retient, Frédéric, ce qui retiendrait tout homme à ma place, à moins qu'il ne fût un fat, c'est la certitude d'en être aimé. Comment de sang froid plonger dans la douleur une femme dont on n'a qu'à se louer? comment voir baignés de pleurs des yeux dans lesquels on n'a apperçu jusqu'alors que la joie, le plaisir, et cette douce sérénité, compagne de l'amour heureux? Dis-moi, aurois-tu ce courage?—Non, Florvel, jamais.—Cependant renoncer à mademoiselle de Nangis, qui me promet à la fois autant de bonheur que j'en peux espérer dans le cours de ma vie; de l'esprit, des talens, un cœur ingénu et sensible, une fortune immense; refuser tout cela, et me perdre auprès de ma famille: à ma place, le ferois-tu, Frédéric?—Non, mon ami, jamais.—Quel parti prendrois-tu donc?—Je t'imiterois; je demanderois des conseils de manière à ce qu'il fût impossible de m'en donner un qui me convînt. Réponds-moi: si tu pouvois rompre sans éclat avec madame de Folleville, le ferois-tu?—Sans hésiter.—Eh bien! permets-moi de confier ton embarras à un ami qui jusqu'à présent ne m'a donné que d'excellens conseils.—Quel est cet ami?—Je ne peux le nommer. Dis-moi seulement si cela t'arrange.—Oui, quoique j'en pressente l'inutilité.»

Nous rentrâmes au spectacle comme il alloit finir; nous abordâmes madame de Sponasi à la sortie de sa loge. Elle prit le bras de Florvel, et je marchai à ses côtés. Nous rencontrâmes dans le vestibule M. de Florvel le père, qui parut satisfait de voir son fils en si bonne société. Mademoiselle de Nangis le salua de manière à lui prouver qu'elle étoit reconnaissante de ne pas le trouver avec madame de Folleville. Cette dame passa un moment après; la foule des élégans se pressoit autour d'elle: un sourire qu'elle adressa à Florvel sembloit lui dire: «Ne craignez rien». M. de Vignoral vint ensuite avec les dames de sa société, et présenta son épouse future à ma bienfaitrice. Cette jeune personne avoit alors un air si modeste et si ingénu, que je crus qu'elle possédoit deux physionomies entièrement différentes, mais toutes deux faites pour inspirer l'amour. On l'admiroit dans son ingénuité, on l'adoroit dans son sourire agaçant. Comme Florvel donnoit le bras à madame de Sponasi, j'étois un peu derrière elle, et j'entendois presque toutes les personnes qui passoient la nommer, parler de son esprit, de la protection qu'elle accordoit aux arts, de sa générosité; en un mot, à soixante ans passés, madame de Sponasi avoit réussi à conserver la célébrité qu'elle n'avoit due jadis qu'à ses charmes. Elle en jouissoit sans doute avec délices; car un de ses domestiques l'avoit plusieurs fois avertie que sa voiture l'attendoit, et elle ne se pressoit pas. Enfin nous partîmes.

Frédéric

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