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Le souper.

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Amour des arts et des plaisirs, quelle époque tu avois amenée en France! Artistes dont les noms sont consacrés au temple de Mémoire, dites si vous vous éleviez jusqu'à la noblesse, ou si là noblesse s'élevoit jusqu'à vous; dites si vos talens produisoient l'aménité des grands, ou si leur aménité encourageoit vos talens. Moi j'ai trouvé entre vous un accord si parfait, que je n'ai pu découvrir l'origine de votre union. J'ai vu des gens décorés plus fiers des productions de leur esprit et des talens qu'ils cultivoient, que d'une naissance à laquelle ils n'attachoient que peu de prix; j'ai vu des littérateurs estimables, des artistes distingués, si accoutumés à dater dans la bonne société, qu'ils y oublioient sans effort qu'ils étoient hommes de lettres ou artistes. Pour peindre, sans l'affoiblir, le charme de ces soupers, où toutes les prétentions qui divisent les hommes cédoient au désir de plaire par ses connoissances ou ses talens, il faudroit réunir en soi l'esprit particulier de tous les convives: cela est impossible.

C'est là que l'enthousiasme du beau, si dangereux dans ses écarts, recevoit des leçons du goût, fruit de l'expérience, de la justesse de l'esprit, et de l'habitude du monde; c'est là que le goût, un peu routinier de sa nature, se prêtoit aux écarts de l'imagination, s'éloignoit de son étroit sentier par l'attrait du plaisir, et y rentroit bientôt, dans la crainte de s'égarer; c'est là qu'un bon mot délassoit d'une discussion, et présentoit souvent la solution d'une question qui eût pu fournir matière à plus d'un volume; c'est là qu'on parloit des talens aimables avec l'éloquence bavarde d'Athènes; c'est là encore que la raison se faisoit entendre avec le laconisme des Spartiates. François, quel prestige vous égaroit cependant! alors que votre langue, vos ouvrages immortels, vos modes mêmes, soumettoient l'Europe à vos lois, vous estimiez tous les peuples, excepté vous. Les étrangers, attirés par votre réputation, venoient en foule en France pour entendre des François mépriser les François. Je n'ai jamais pu concevoir la cause de cette extravagance; et quoi qu'en dise la philosophie, qui ne se connoît pas en gouvernement, moins de philanthropie universelle, et plus d'amour pour son pays; moins d'admiration pour les arts étrangers, et plus d'enthousiasme pour les talens nationaux. Un peuple entier doit être un peu gascon; la prévention de soi-même, qui rend un particulier insupportable, est le plus sûr fondement de la gloire des nations.

Pardon, mes chers lecteurs, de cette digression; mais on ne rencontroit alors, comme à présent, que des François estimant peu les François, répétant par-tout le catalogue de nos défauts, et ne nous croyant bons ni à être libres, ni à être esclaves. Pour votre intérêt même, fermez la bouche à ces frondeurs, et persuadez-vous que vous valez bien les autres peuples à leur sentiment, et que vous devez mieux valoir au vôtre.

Florvel, pour qui cette société étoit aussi nouvelle que pour moi, en paroissoit enchanté, quoiqu'à mon exemple, ou moi au sien, nous n'eussions guère pris part à la conversation que pour l'entendre. Bien des personnes se persuadent qu'en se taisant dans une infinité de circonstances, elles feront mal juger de leur esprit; elles parlent, et leur esprit est bien jugé.

Madame de Sponasi étoit l'ame de ses convives; elle eut des attentions pour tout le monde, et particulièrement pour ses deux enfans (c'est ainsi qu'elle appeloit mon ami et moi). À minuit, nous nous retirâmes, et Philippe eut ordre de nous reconduire. Quand nous eûmes déposé Florvel chez lui, Philippe me dit: «Vous devez être bien content de votre journée.—Oh! oui, mon bon ami, sur-tout en pensant que je vous la dois.—Madame de Sponasi va plus vîte que je ne l'aurois cru: mais vous lui avez plu au premier abord; c'est tout ce que je desirois. J'augure beaucoup de son amitié pour vous; ménagez-la, votre bonheur en dépend.»

Je voulus conter à Philippe l'accueil que M. de Vignoral m'avoit fait à la Comédie françoise; il m'assura qu'il ne m'avoit pas perdu de vue, et qu'il savoit non seulement ce qui m'y étoit arrivé, mais en grande partie les sensations que j'y avois éprouvées. «Pour cette fois, mon cher Philippe, vous me permettrez de ne pas vous croire».—Eh bien! n'en parlons pas, me répondit-il; mais quand vous croirez m'apprendre que vous êtes le rival d'un philosophe, je pourrai vous assurer que je le savois.»

Je changeai la conversation, en racontant à Philippe la situation dans laquelle se trouvoit Florvel, et je lui dis que je m'étois fait fort de le tirer d'embarras. «J'ai compté sur vos conseils, ajoutai-je: me suis-je trompé?—Je n'en sais rien, me dit-il en riant; ce que je pourrois proposer à votre ami, est terrible.—Vous m'effrayez. S'il abandonne madame de Folleville, elle en mourra.—Oh! non: mais il l'a bien jugée; elle seroit capable de quelque folie qui la perdroit.—Quel parti peut-il donc prendre?—Qu'il se fasse donner son congé; cela est toujours possible quand on le veut bien. Tenez, mon cher Frédéric, le cœur humain est un labyrinthe dans lequel le plus habile risque de se perdre quand il veut l'approfondir: mais il est des règles générales; et l'une des plus sûres est que l'on n'aime jamais également deux objets à la fois. Quand on oppose un devoir à une passion, on ne peut dire lequel l'emportera; mais quand on met en jeu une passion et un goût, il est presque sûr que le goût l'emportera sur la passion.—Je ne vous entends pas.—Madame de Folleville aime votre ami; elle lui sacrifieroit tout, excepté le plaisir d'être citée, excepté sa toilette, excepté la gloire de voir M. de Florvel au premier rang des hommes à la mode. S'il ne l'admiroit pas tant, elle l'aimeroit moins; s'il cessoit d'être admiré, elle ne l'aimeroit plus. Proposez à votre ami de se montrer dans la société de madame de Folleville, mis avec plus de simplicité qu'il n'a jusqu'à ce jour déployé d'élégance: si elle ne l'abandonne pas après cette épreuve, je renonce à les voir séparés.—Vous avez, Philippe, une bien mauvaise idée de cette femme.—Non, vraiment, pas plus d'elle que des autres; pas plus de son sexe que du nôtre. Un guerrier consentira à tout pour celle qu'il aime, excepté à passer pour un lâche; un homme d'esprit proposera tout, excepté de passer pour un sot; une femme fera le sacrifice de sa réputation, de sa vie même, mais non celui du plaisir que procure la vanité satisfaite. Renoncer à l'éclat ne seroit rien pour une coquette devenue sensible, si elle renonçoit en même temps à la société; mais paroître dans le monde, s'exposer à un ridicule d'autant plus grand qu'il contraste avec la gloire de la veille, ou se voir exposée à ce ridicule dans l'objet de son choix, voilà ce que madame de Folleville ne supportera pas, et peut-être ce que M. de Florvel n'aura pas le courage d'entreprendre. Proposez-le lui.»

Philippe me quitta. Notre conversation, les événemens de la journée, le sourire de la prétendue de M. de Vignoral, mon souper chez madame de Sponasi, chassèrent bien long-temps le sommeil, et firent naître en moi tant de réflexions, que je me levai vieilli d'une année. On ne devroit compter le temps que par l'expérience qu'il procure. Que de gens alors resteroient toujours jeunes!

Frédéric

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