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RUE VIVIENNE, 2 BIS 1860 Tous droits réservés
ОглавлениеCe livre est un des péchés de ma jeunesse: il fut écrit, disons mieux, il fut improvisé le lendemain des trois journées, un temps si loin de nous, hélas! Tout tremblait, tout espérait, tout se débattait avec courage, avec espoir, et pendant que S. M. le roi Charles X était reconduit, en grand honneur, par messieurs ses gardes du corps jusqu'au vaisseau de Cherbourg, sur cet Océan éternellement étonné de se voir traverser, dans des appareils si divers, et pour des causes si différentes, quelques vieillards qui pleuraient le Roi, quelques jeunes gens qui avaient été, de bonne heure, accoutumés à l'entourer de leurs respects, profitant des libertés que leur accordaient tant de grands esprits, réunis autour du nouveau trône, se montraient impatients d'accompagner ce bon prince, l'honneur même, uni à tout ce que la majesté royale a de clémence et de bonté, d'une suite d'élégies, de respects, de sympathies et de consolations que S. M. le roi Charles X entendit, en effet, sur son passage. Il disait si bien, ce bon roi, lorsque, naguères, il accomplissait son dernier voyage à travers la France, aux courtisans qui l'entouraient et qui lui témoignaient un peu d'inquiétude:—«Allons! retirez-vous de mon soleil; faites qu'on me voie, et rassurez-vous, vous ne savez pas encore l'autorité d'un roi de France!» Et véritablement, dans les derniers moments de sa fortune royale, il lui avait suffi de se montrer, pour voir accourir tout son peuple, autour de son visage radieux.
C'était un roi affable, généreux, bienveillant, loyal, d'une clémence inépuisable, et qui se voyait respecté même par l'émeute. (En ce temps-là, elle n'allait jamais plus loin que la porte Saint-Denis, l'émeute, et l'ombre auguste du château des Tuileries lui faisait peur). Certes, ce bon roi ne pouvait pas se douter qu'un jour viendrait, si cruellement et si vite, avec tant d'ardeur, qui briserait ce trône excellent, qui renverserait cette admirable monarchie! Il ne s'en doutait guère, et, quand vint la tempête, il se trouva sans défense et sans peur. Son départ fut semblable au voyage d'un roi! Les peuples, sur les routes, accouraient et lui disaient adieu! Les vieillards le montraient à leurs petits enfants, comme un triste objet de leurs regrets, plus tard! Pas un cri qui ne fût une sympathie, et pas un salut qui ne fût un adieu respectueux! M. Théodore Anne, un digne garde du corps du roi Charles X, a raconté, dans un récit plein de cœur, de vérité, de dévouement, plein d'honneur, ce voyage de Cherbourg, qu'il accomplissait avec les gardes du corps, ses dignes camarades, et comment, en les quittant, le roi les avait décorés de son ordre et de son souvenir. Rien n'est plus sympathique et plus touchant que cette page éloquente, et l'on y retrouve, à souhait, l'intime et glorieux contentement qui surgit de ces pages fidèles et loyales, où ce n'est pas le vaincu et le détrôné qu'il faut plaindre, où le vainqueur seul est le digne objet d'une intelligente pitié. Ainsi, rien ne vous a manqué, ô Majesté touchante! ô protecteur de notre enfance et des premières années de notre jeunesse! O grâce et bonté souveraines! Sacre éternel que Lamartine a chanté!
Viens donc, élu du ciel que sa force accompagne,
Viens!—Par la Majesté du divin Charlemagne,
La valeur de Martel ou du soldat d'Ivri!
Par la vertu du roi qu'a couronné l'Église!
Par la noble franchise
Du quatrième Henri!
Par les brillants surnoms de cette race auguste!
Le Sage, le Vainqueur, le Bon, le Saint, le Juste...
La grâce de Philippe ou de François premier!
Par l'éclat de ce roi dont l'ascendant suprême
Imposa son nom même
Au siècle tout entier!
Régne! juge! combats! venge! punis! pardonne...!
Par ce martyr des rois, qui mourut pour nos crimes,
Par le sang consacré de cent mille victimes!
Par ce pacte éternel qui rajeunit tes droits!
Par le nom de Celui dont tout sceptre relève!
Par l'amour qui t'élève
Sur ce nouveau pavois!...
Conduis! règle! soutiens! commande! impose! ordonne!
Par la vertu d'en haut sois couronné, sois roi!
Ta main, dès cet instant, peut frapper, peut absoudre;
Ton regard est la foudre
Ta parole est la loi!
Que la terre et les cieux et la mer te bénissent!
Qu'au chœur des Chérubins les Séraphins s'unissent
Pour célébrer le Dieu, le Dieu qui nous sauva!
Saint! saint! saint est son nom! Que la foudre le gronde!
Que le vent le murmure, et l'abîme réponde:
Jéhovah! Jéhovah!
Qu'il gouverne à jamais son antique héritage!
Sur les fils de nos fils qu'il règne d'âge en âge;
Nos cris l'ont invoqué, sa foudre a répondu!
De toute majesté c'est la source et le père!
Le peuple qui l'attend, le siècle qui l'espère,
N'est jamais confondu!
Qu'il est rare, ô mon Dieu! que ta main nous accorde
Ces temps, ces temps de grâce et de miséricorde,
Où l'homme peut jeter ce long cri de bonheur,
Sans qu'un soupir, faussant le cantique d'ivresse,
Vienne en secret mêler aux concerts d'allégresse
L'accent d'une douleur...
Voilà pourtant comme on en parlait, et voilà comme on lui parlait, à ce roi calme et bienfaisant qui était au niveau de toutes les louanges: or cette louange était l'admiration sincère d'un grand poëte; elle eut un rapide écho dans toute la France; elle trouva l'Europe attentive; elle était le présage heureux d'une grande conquête et d'une victoire illustre entre toutes, une victoire dont M. le duc d'Orléans, M. le duc d'Aumale, M. le duc de Nemours, le général Lamoricière et le général Cavaignac devaient sortir.
Ce beau règne! il était annoncé dans l'Écriture: «Orietur in diebus ejus justitia et abundantia pacis.» Un autre poëte, aussi grand que le premier, la plus superbe et la plus vive inspiration de notre âge, un grand homme, un héros, lorsqu'il évoque à son tour la royauté d'autrefois, rien n'est plus splendide et plus touchant que ses paroles à propos du roi martyr et de l'enfant-roi, tué à coups de pied dans la prison du temple:
C'était un bel enfant qui fuyait de la terre.
Son œil bleu du malheur portait le signe austère.
Ses blonds cheveux flottaient sur ses traits pâlissants,
Et les vierges du ciel, avec des chants de fête,
Aux palmes du martyre unissaient sur sa tête
La couronne des innocents.
—Où donc ai-je régné? demandait la jeune ombre.
La France entière pleurait à ces charmants souvenirs! La France entière a répété ces cantiques en l'honneur de tant de misères passées, et de tant d'espérances présentes:
O Français! louez Dieu, vous voyez un roi juste!
s'écriait l'auteur des Contemplations, le jour glorieux où reparut le roi Henri IV sur son piédestal:
O juge! O triomphe! O mystère!
Il est né, l'enfant glorieux...
s'écriait le poëte, à la naissance de Mgr. le duc de Bordeaux.
Et toi, que le Martyr aux combats eût guidée,
Sors de ta douleur, ô Vendée!
Un roi naît pour la France, un soldat naît pour toi!
Voilà pourtant les premiers vers que nous avons entendus retentir à nos oreilles charmées! Enfants que nous étions encore, voilà nos émotions, voilà nos exemples, voilà nos rêves! Lui-même, quand il passait par sa ville en deuil, le roi Louis XVIII, ce dernier roi qui ait eu l'honneur d'entrer mort en son église royale de Saint-Denis, il fut salué par un vrai poëte; Victor Hugo, jeune homme, ajoutait sa douleur impérissable au De profundis de la ville... où jamais la couronne ne tombe, disait l'ode inspirée au tombeau des rois; Victor Hugo, lui aussi, écrivit une ode éclatante, au sacre du roi Charles X, et voici la prière que ses cantiques adressaient au Tout-Puissant, agenouillés à ses autels:
O Dieu! garde à jamais ce roi qu'un peuple adore!
Romps de ses ennemis les flèches et les dards;
Qu'ils viennent du couchant, qu'ils viennent de l'aurore,
Sur des coursiers ou sur des chars!
Charles, comme au Sina, t'a pu voir face à face!
Du moins qu'un long bonheur efface
Ses bien longues adversités!
Qu'ici-bas des élus il ait l'habit de fête;
Prête à son front royal deux rayons de ta tête;
Mets deux anges à ses côtés.
Rappelez-vous aussi, le jour même où 1830 accomplissait sa révolution soudaine, ce vieillard couronné de sa gloire et de ses cheveux blancs, le poëte du Christianisme et le chantre inspiré des Martyrs, entraîné dans la foule victorieuse, et proclamé par elle, au dernier moment des trois jours, à la même heure où le nouveau roi va chercher à l'Hôtel-de-Ville les pouvoirs que l'Hôtel-de-Ville a brisés. Qu'elle était éloquente, et qu'elle était écoutée avec respect, la voix de M. de Chateaubriand! Quelle majesté dans ces adieux suprêmes, du haut de la tribune, où les pairs de France écoutaient, pleins d'attendrissement, de respect..., de remords peut-être, ces plaintes libérales, ces accents prophétiques! Et comment donc, à la même heure, quand les plus grands poëtes de l'âge ancien et des temps présents se mettent à pleurer la royauté qui s'en va, un écrivain de vingt-cinq ans, docile à toutes ces impressions surnaturelles, eût-il négligé de mêler sa douleur et son deuil à cette louange unanime, à ce deuil reconnaissant?
Pouvait-il oublier, lui, enfant de la presse libre et de la libre parole, un prince qui s'était écrié, le jour de son avénement au trône de ses ancêtres: Plus de censure! et qui avait renvoyé dans leurs cavernes les honteux mutilateurs de la presse honnête et libérale? Et de même que le roi Charles X avait dit: Plus de censure! en montant sur le trône, il avait répondu aux vieux poëtes de l'empire qui, dans une pétition célèbre, le sollicitaient, ô honte incroyable! contre les poëtes naissants: «Je n'ai que ma place au parterre!» Il avait fait, il avait dit aussi bien, le jour où il fit appeler l'auteur de Marion Delorme, en le priant de laisser en repos l'ombre de son aïeul, le roi Louis XIII. La date est certaine; elle est consacrée à tout jamais, aux royales Tuileries, dans ce beau livre intitulé: les Rayons et les Ombres, le digne pendant des Feuilles d'Automne et des Contemplations:
Seuls dans un lieu royal, côte à côte marchant,
Deux hommes, par endroits du coude se touchant,
Causaient. Grand souvenir qui dans mon cœur se grave!
Le premier avait l'air fatigué, triste et grave,
Comme un front trop petit qui porte un lourd projet;
Une double épaulette à couronne chargeait
Son uniforme vert à ganse purpurine,
Et l'Ordre et la Toison faisaient sur sa poitrine,
Près du large cordon moiré de bleu changeant,
Deux foyers lumineux, l'un d'or, l'autre d'argent.
C'était un roi, vieillard à la tête blanchie,
Penché du poids des ans et de la monarchie.
L'autre était un jeune homme, étranger chez les rois,
Un poëte, un passant, une inutile voix.
Ils se parlaient tous deux, sans témoins, sans mystère,
Dans un grand cabinet, simple, nu, solitaire...
Or, entre le poëte et le vieux roi courbé,
De quoi s'agissait-il?...
Le poëte voulait faire, un soir, apparaître
Louis Treize, ce roi sur qui régnait un prêtre;
—Tout un siècle, marquis, bourreaux, fous, bateleurs,—
Et que la foule vînt, et qu'à travers des pleurs,
Par moments, dans un drame étincelant et sombre,
Du pâle cardinal on crût voir passer l'ombre...
Le vieillard hésitait:—Que sert de mettre à nu
Louis Treize, ce roi chétif et mal venu?
À quoi bon remuer un mort dans une tombe?
Que veut-on? Où court-on? Sait-on bien où l'on tombe?
Tout n'est-il pas déjà croulant de tout côté?
Tout ne s'en va-t-il pas sous trop de liberté?...
Puis il niait l'histoire, et, quoi qu'il en puisse être,
À ce jeune rêveur disputait son ancêtre,
L'accueillant bien, d'ailleurs, bon, royal, gracieux,
Et le questionnant sur ses propres aïeux!
Tel il nous est apparu, et dans sa vie et dans son règne, le roi Charles X, ce roi excellent que nous perdions! Tel nous le montrait la poésie, en attendant que l'histoire eût adopté cette image vraiment royale! Il avait laissé parmi nous, les uns et les autres, tant de traces bienveillantes! Il avait été au-devant même de ses insulteurs, le cœur tout rempli de pitié, les mains toutes pleines de pardon! Je suis peu de chose, et je n'ai jamais été rien en toute ma vie... Une seule fois, il me semble aujourd'hui que je fus un homme important. Je me souviens, en effet, que j'eus l'honneur, au nom du roi, de porter des paroles de pitié et de pardon à M. Fontan, enfermé à Poissy pour avoir insulté à la majesté royale! Le roi demandait à peine une excuse, et tout de suite il pardonnait... M. Fontan ne voulut pas s'incliner devant ce pardon qui tombait de si haut! Tout au fond de l'abîme, il défiait encore. Ah! je suis sûr que M. Fontan eut un vif regret de son obstination malséante... et courageuse, lorsque un mois après notre ambassade à Poissy (Frédéric Soulié en était):
Holyrood! le vieux roi, demandait à ton ombre
Cette hospitalité mélancolique et sombre
Qu'on reçoit, et qu'on rend de Bourbons à Stuarts...
Donc ce livre, aujourd'hui réimprimé, parce qu'enfin je ne pouvais pas le laisser disparaître, et reparaître un jour, sans le commentaire et sans l'explication qui désormais lui serviront d'excuse, était tout à fait, dans mon ambition juvénile, et qui de rien ne doute, un suprême adieu à la monarchie expirée, une élégie au roi que nous perdions. Dieu soit loué, qui m'a mis au rang des honnêtes gens qui se plaisent à célébrer les causes vaincues! Ils n'attendent rien de la fortune; ils n'ont rien à espérer du pouvoir; ils se tiennent à l'ombre, à l'écart, cédant la place à qui veut passer avant eux! Passez! La place est libre!... Arrivez, ambitieux! Emparez-vous des rumeurs populaires! Tenez-vous du côté des puissants de ce matin! Soyez forts avec les forts, puissants avec les tout-puissants; oubliez la veille, et contemplez le lendemain! Hâtez-vous! qui vous gêne? Hâtez-vous! qui vous arrête? Hâtez-vous! foulez à vos pieds victorieux ce que vous adoriez avec crainte, et le foulez avec joie! Il est si beau de crier, dans la foule, avec la foule!
Il est si bon, si charmant de suivre, au pas de course, un triomphateur! Ceux qui, de loin, vous voient passer s'imaginent que vous êtes une part du triomphe, un fragment de la conquête, un capitaine, un général!... Hâtez-vous bien fort, et prêtez aux nouveaux venus de ce soir les serments que vous avez prêtés aux vainqueurs de la veille... Hâtez-vous!... pendant que dans l'ombre, et d'une voix calme, il y a de bonnes gens qui s'obstinent à crier au roi qui part: «Adieu, Sire! Adieu Majesté! Rappelez-vous ceux qui vous pleurent! Bénissez-les! Bénissez-nous!» Et puis, si l'on savait combien c'est facile, et quel honneur inespéré on en retire, aussitôt que l'on rencontre un de ces pauvres idiots obstinés à la fidélité, qui se souviennent du serment, et qui n'ont pas voulu des sentiers nouvellement frayés!
Ceci dit, reprenons la préface même de l'an de grâce 1830; cette préface de Barnave, aujourd'hui, après tant d'années et tant d'oublis, nous la réimprimons telle qu'elle fut écrite, au moment où la France entière interrogeait l'avenir des successeurs du roi Charles X. La voilà! Je ne changerai pas un mot à cette préface, un instant fameuse... Elle disait tout à fait, en ce temps-là, ce que je voulais dire; elle était toute ma pensée; elle appartenait à mes regrets, à ma sympathie, à mes respects pour le roi de Chateaubriand, de M. Bertin l'aîné, de Victor Hugo, de Lamartine!
Et bientôt, lorsqu'il apparut que le roi Louis-Philippe était un grand prince, un esprit ferme et libéral, un vrai roi, père heureux d'une famille de grands capitaines, d'honnêtes femmes et d'un véritable artiste, la princesse Marie, à l'heure éclatante et libre, entre toutes, où la France entrait à pleines voiles dans des prospérités inconnues, comme un homme d'État, un ministre du roi Louis-Philippe me disait:—Monsieur, nous voilà bien loin, convenez-en, de la préface de Barnave?
—À coup sûr, lui dis-je, et j'en conviens d'autant mieux, que nous voilà bien loin, très-loin du prince de Polignac, bien près du roi Charles X... et du ministère de M. de Châteaubriand.