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CHAPITRE II

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IL M’A CASSÉ TOUS MES SOLDATS!

QUAND J’ÉTAIS PETIT GARÇON, j’avais quelquefois des accès de mauvaise humeur, et alors j’en disais plus long qu’il n’y en avait pour faire gronder mes camarades.

C’était un jeudi, et il pleuvait très fort. Quand je sautai du lit, en chemise, pour aller voir quel temps il faisait, je frappai du talon, très en colère. Tout ce que j’y gagnai pour le moment, ce fut de me faire grand mal. Car la veille au soir j’avais laissé tomber sur le tapis mon petit trousseau de clefs, et par négligence je l’avais laissé où il était. Or c’est sur mon trousseau de clefs que j’avais frappé du talon.

«On est toujours puni par où l’on a péché,» me dit la vieille Jeannette, qui, m’entendant aller et venir, était entrée dans ma chambre, pour m’apporter une chemise blanche et pour m’aider à faire ma toilette.

Pour toute réponse, je lui tirai la langue.

«La journée commence mal et elle finira mal, si cela continue, me dit tranquillement Jeannette.

— Aussi pourquoi pleut-il un jeudi? lui répondis-je d’un ton maussade, et surtout un jeudi où nous devions aller goûter dans la forêt avec mon cousin Louis!

— Le fait est que c’est malheureux, reprit Jeannette en regardant du côté de la fenêtre; mais qui sait si le temps ne s’éclaircira pas sur les midi?

— Non, il ne s’éclaircira pas.

— Mettons qu’il ne s’éclaircira pas. Dans tous les cas, ce n’est la faute de personne.

— Si! c’est la faute de quelqu’un!»

Cette réponse était si niaise, si niaise, que Jeannette aima mieux n’y pas faire attention.

Je déclarai à Jeannette que je voulais m’habiller tout seul; j’espérais qu’elle voudrait m’aider et que nous nous querellerions tout le temps. Elle s’en alla sans rien dire.

Je fus bien puni de ma sottise. Car j’eus une peine infinie à m’habiller, et encore j’étais habillé tout de travers. Il est vrai de dire que je m’en prenais à toutes les pièces de mon costume et que je les jetais de tous les côtés avant de les mettre.

Au déjeuner, mon père dit: «Jeannette, cet enfant est fait comme un voleur.

— J’ai voulu l’aider, répondit Jeannette, mais il a refusé.

— Très bien, reprit mon père. Alors qu’il reste toute la journée tel qu’il est.»

Je fus bien penaud, car il faut que je l’avoue, quand j’étais petit garçon, j’aimais beaucoup à être bien habillé.

Je fis mes devoirs en grognant; aussi ils étaient très mal faits. Sur les deux heures, par une pluie battante, ma tante Langlois arriva avec mon cousin Louis. Elle était très bonne et très complaisante, ma tante Langlois, aussi je l’aimais beaucoup.

En m’embrassant, elle parut surprise, mais elle ne dit rien. Je compris qu’elle me trouvait mal habillé, et cette pensée m’ôta pour un moment tout le plaisir que j’éprouvais à la voir.

«Puisque la pluie, dit-elle à ma mère, gâte le plaisir que nos enfants s’étaient promis, il me semble que nous pouvons leur offrir une compensation.

— Laquelle? demanda ma mère.

— Je leur en offre deux, répondit ma tante. Ou bien j’emmènerai nos enfants à la ménagerie Wombwell qui vient d’arriver et qui donne une représentation à deux heures, ou bien je vous laisserai Louis pour qu’il joue avec Albert.»

J’aurais donné tout au monde pour aller à la ménagerie Wombwell; mais pour rien au monde je n’aurais voulu me présenter en public dans l’état où je me trouvais. Et je savais d’avance que mon père ne permettrait pas à Jeannette ou à ma mère de réparer le désordre de ma toilette. Quand il avait décidé une chose, il ne revenait jamais sur sa décision. Je ne le savais que trop bien, l’ayant appris par expérience. Oh! comme notre Jeannette avait raison de dire: «On est puni par où l’on a péché !»

Je répondis en rougissant que j’aimerais mieux jouer avec Louis que d’aller à la représentation.

Je suis sûr que Louis aurait mieux aimé aller à la représentation; et c’était bien naturel. A sa place j’aurais fait la moue. Louis ne fit point la moue, et répondit gaiement: «C’est cela; nous passerons l’après-midi à jouer ensemble.»

Je le pris aussitôt par la main et je l’emmenai dans ma chambre.

Dans ma chambre, il y avait une grande armoire, que l’on appelait l’armoire aux joujoux.

«Par quel jeu veux-tu commencer?» demandai-je à Louis.

Et il me répondit: «Par celui que tu voudras.

— Non, je veux que tu choisisses.»

Je tenais à être très aimable avec lui parce qu’il avait renoncé à la ménagerie Wombwell sans faire la moue.

Et je fus aimable comme cela pendant plus d’une grande heure.

Mais au bout d’une heure le jeu commença à m’ennuyer. Je crois que c’est la pluie qui m’agaçait, parce qu’elle faisait continuellement pan! pan! pan! sur les vitres. Et puis j’étais mécontent d’être mal habillé, et puis ma méchanceté du matin revenait tout doucement, et puis notre Jeannette m’avait dit que cela finirait mal!

Nous en étions au jeu du casse-tête géographique, et nous rassemblions les petits morceaux détachés, qui, une fois réunis, devaient former la carte de France.

«Ce jeu m’ennuie, m’écriai-je tout à coup.

— Eh bien, changeons-en,» me répondit Louis.

Sans le prévenir, je passai brusquement ma main sur la table, et j’envoyai de tous les côtés les morceaux découpés de la carte de France.

Louis ne réclama pas, et même, se mettant à quatre pattes sur le tapis, il ramassa les morceaux un à un.

Cela m’agaçait de le voir ramasser les morceaux si tranquillement; d’ailleurs je sentais que tout m’agaçait. Je me levai et je poussai les morceaux dans tous les coins pour taquiner Louis.

Il se mit à rire. Son rire m’agaça. Je le lui dis; et même j’ajoutai: «Au lieu de rire niaisement, tu ferais mieux de te fâcher, ce serait Plus amusant!»

Je savais que j’avais tort de lui dire cela, mais je ne pouvais pas m’empêcher de le lui dire. Quand j’étais petit garçon, il y avait des moments comme celui-là, où je faisais exprès de trouver à redire à tout.

Quand il eut ramassé toutes les pièces, Louis les rangea dans la boîte, et replaça la boîte dans l’armoire.

Il tira de l’armoire la boîte aux soldats de plomb, qui contenait des fantassins français et des fantassins allemands.

Cela me déplut que Louis eût tiré cette boîte de l’armoire, sans m’en avoir demandé la permission, et je le lui dis.

Il parut étonné, et il me répondit que je lui avais donné le choix des jeux et qu’il choisissait celui-là.

Je haussai les épaules, parce que je ne trouvais rien à répondre, et que cela me déplaisait d’avoir tort.

«Dans tous les cas, dis-je à Louis, c’est toi qui seras le général allemand.»

Louis rougit.

C’est toi qui seras le général allemand.


«Si tu crois, dit-il en hochant la tête, que c’est agréable d’être le général allemand!

— Agréable ou non, je veux que tu le sois.

— Écoute, reprit-il, cela n’est pas juste que je sois le général allemand simplement parce que tu le veux. Nous tirerons au sort comme les autres fois.

— Nous ne tirerons pas au sort. Je veux, entends-tu, je veux que tu sois le général allemand. Si tu refuses, ajoutai-je en m’excitant de plus en plus, j’irai dire à Maman que tu es un mauvais camarade, et que tu fais exprès de ne pas vouloir ce que je veux!»

Il secoua tranquillement la tête; et ce geste tranquille me mit en fureur.

Prenant dans le fouillis de soldats un fantassin allemand, je le plantai tout debout devant mon cousin, et je lui dis:

«Range les autres soldats allemands tout de suite à côté de celui-là, ou bien tu auras affaire à moi.»

Sans rien dire, il prit le fantassin allemand et le jeta au bout de la chambre.

«Ramasse-le tout de suite, lui dis-je avec fureur, en tendant la main droite vers le coin où était tombé le soldat allemand.

— Je n’ai pas d’ordres à recevoir de toi,» me répondit Louis, qui avait fini par se fâcher à son tour. Seulement il ne se mettait pas en fureur, lui; et, même quand il était fâché, il savait toujours ce qu’il disait.

Je me précipitai à bas de ma chaise, et je courus au petit salon où Maman se tenait toujours dans la journée, occupée à travailler ou à lire.

«Maman, Maman! m’écriai-je en m’élançant dans le petit salon. Oh! Maman, si tu savais comme Louis est méchant; il m’a cassé tous mes soldats!»

Maman, qui connaissait bien son petit garçon, me demanda sans s’émouvoir: «Tous à la fois? ou bien les uns après les autres?

— Il ne les a peut-être pas cassés tous, repris-je en balbutiant; mais il en a jeté un de toutes ses forces à l’autre bout de la chambre!»

«Oh! oh! dit Maman, il était donc bien en colère?

— Je t’en réponds! ah! si tu l’avais vu!

— Et à propos de quoi était-il en colère?

— Parce qu’il voulait me forcer à être le général allemand; et moi, je ne voulais pas l’être.

— C’est grave, dit ma mère avec un grand sérieux; mais comment se fait-il que Louis ait voulu te forcer? il me semblait que d’habitude vous tiriez au sort le commandement des deux armées.»

Le calme de ma mère agit sur moi comme une belle petite douche d’eau froide. Ma colère tomba subitement, et alors je vis combien j’avais été injuste en accusant Louis lorsque j’étais le seul coupable.

«Je crois, repris-je en balbutiant, et même je suis sûr maintenant, que c’est moi qui ai voulu forcer Louis. Comme il désirait tirer au sort, j’ai mis un soldat allemand devant lui, et je lui ai dit: Je veux que tu sois le général allemand. Entends-tu, je le veux! Alors il a jeté le soldat allemand.

— Peut-être, reprit ma mère, ce soldat allemand n’est-il pas aussi malade que tu le crois.

— Il ne doit pas être cassé du tout, car il est tombé sur le tapis.

— Allons, dit ma mère, Louis n’est pas si méchant que je l’avais cru d’abord.

— Il n’est pas méchant du tout, repris-je avec vivacité ; c’est moi qui suis méchant; mais, vois-tu? je suis si malheureux depuis ce matin! cette pluie, cette partie manquée, cette ménagerie Wombwell!

— Faut-il, me demanda ma mère, que j’aille demander à Louis de faire la paix avec toi?

— Je ne suis plus fâché contre Louis, répondis-je vivement, et lui, il n’est jamais fâché contre moi.

— C’est un brave garçon.

— Oh! je crois bien.

— J’ai bien envie, pour célébrer votre réconciliation, de faire prévenir sa mère que je le garde à dîner.

— Oh oui! Maman.»

La journée finit beaucoup mieux qu’elle n’avait commencé, et le dîner fut très gai malgré la pluie et malgré le désordre de ma toilette.

Personne ne m’a jamais reparlé de ce fameux jeudi où j’avais été si méchant; mais moi, je ne l’ai jamais oublié ; et ce souvenir plus d’une fois m’a arrêté tout net, au moment où j’allais me mettre en colère, ou accuser les autres, lorsque c’était moi justement qui avais tous les torts.


Quand j'étais petit garçon

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