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CHAPITRE IV

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TROP FIN EN AFFAIRES

QUAND J’ÉTAIS PETIT GARÇON, mon père me dit un jour: «Je n’aime pas les petits garçons qui sont trop fins en affaires, et qui prennent des détours pour obtenir ce qu’ils désirent. » Voici à quelle occasion.

Mais il faut d’abord que je vous dise comment j’en étais venu à employer la ruse, après avoir employé la force, comme un petit brutal.

Mon père m’avait emmené chez un de ses amis, qui avait un petit garçon beaucoup plus jeune que moi. Ce petit garçon avait une trompette, qui rendait des sons très jolis quand on soufflait dedans.

On nous avait envoyés jouer tous les deux au jardin. J’avais une envie folle de souffler dans la trompette, parce qu’il me semblait que j’en saurais bien mieux jouer que le petit Léon.

«Léon, lui dis-je, prête-moi ta trompette, tu seras bien gentil, et je te la rendrai tout de suite.

— Non, je ne veux pas.

— Alors tu n’es qu’un vilain.

— Cela m’est bien égal.»

Et, comme pour me narguer, il souffla encore plus fort dans cette malheureuse trompette. Il en avait les joues toutes gonflées.

Il ne cessa de souffler que quand les forces ui manquèrent.

«Prête-la-moi, seulement pendant que tu te reposes, lui dis-je du ton le plus aimable.

— Je ne veux pas; elle est à moi.

— Je le sais bien qu’elle est à toi, mais je te promets de te la rendre aussitôt que tu me la demanderas. Tu veux bien, n’est-ce pas? mon petit Léon.

— Non, je ne veux pas.

— Tu ne veux pas; une fois, deux fois, trois fois!

— Non, non! et non!

— Eh bien, nous allons voir.»

Je me jetai sur lui, et malgré ses cris, ses coups de pied et sa résistance désespérée, je lui arrachai sa trompette.

Aussitôt Léon prit sa course vers la maison, en poussant de véritables hurlements.

«Qu’est-ce qu’il y a donc? demanda mon père, qui apparut aussitôt sur le perron.

— Il m’a pris ma trompette, s’écria Léon en sanglotant.

— Pourquoi lui as-tu pris sa trompette? me demanda mon père d’un ton sévère.

— Parce qu’il ne voulait pas me la prêter.

— Il était dans son droit en te la refusant, et toi, tu t’es mis dans ton tort en la lui prenant de force.

— Mais, Papa....

— En voilà assez, reprit mon père avec un redoublement de sévérité. Écoute, tu m’as dit souvent que tu voulais être un homme. Eh bien, tu sauras qu’un homme, un vrai homme, n’abuse jamais de sa force pour faire de la peine à ceux qui sont plus faibles que lui; au contraire, il s’en sert pour les défendre.»

Quelques mois après cette petite affaire, une des amies de Maman vint la voir, et amena ses deux enfants, un petit garçon et une petite fille. La petite fille était très gentille, mais le petit garçon était plus têtu qu’un mulet.

Sa maman lui avait acheté en venant un petit chariot à quatre roues, qu’il tenait, tout le temps, serré sur son cœur.

Je l’emmenai au jardin, et je lui appris que les chariots à quatre roues sont faits pour rouler dans les allées des jardins, et non pas pour être serrés sur le cœur des petits garçons.

Quand il vit rouler son chariot, dont les roues étaient cerclées de cuivre, il poussa des cris de joie. Comme c’était moi qui lui avais appris à le faire rouler, je pensai qu’il se montrerait reconnaissant et qu’il me permettrait de le traîner à mon tour.

Il me refusa net; et plus je le suppliais, plus il criait: «Non, non, non! va-t’en!»

Alors il me vint une idée.

J’allai chercher dans l’antichambre le joli chapeau à plumes et le mantelet de la petite fille, et je dis au petit garçon: «Tu as de jolis cheveux bouclés, comme une petite fille.»

Il sourit.

«Je vais te mettre le chapeau de ta sœur, et tu auras encore plus l’air d’une jolie petite fille.»

Il se laissa coiffer sans résistance du chapeau de sa petite sœur.

«Si tu avais le joli mantelet sur les épaules, tu serais tout à fait une petite fille.»

Il tendit docilement ses épaules, et je le revêtis du mantelet.

«Maintenant tu es tout à fait une petite fille; oh! la jolie petite fille.»

Il se mit à marcher en tendant le jarret, tout fier d’être une jolie petite fille.

«Maintenant, repris-je, dis: Je suis une petite fille.»

Il répéta: «Je suis une petite fille.»

C’est là que je l’attendais.

«Tu sais, lui dis-je, que les petites filles ne traînent pas les chariots; c’est trop lourd pour elles; cela gâterait leurs jolies mains. Allons, ma belle petite fille, laisse-moi traîner le chariot, parce que, vois-tu, moi, je suis un garçon, un charretier.»

Il prit un air effaré, et me mit, sans dire un mot, la ficelle dans la main.

Je partis au triple galop; mais ce temps de galop ne dura pas longtemps.

J’avais à peine fait vingt pas que la prétendue petite fille poussa des beuglements de garçon, et au même instant mon père parut à la fenêtre de sa chambre.

Tu sais que les petites filles ne traînent pas les chariots.


«Albert!» cria-t-il d’une voix irritée. Je m’arrêtai tout court.

«Rends à cet enfant son chariot, à l’instant.

— Mais, Papa, je ne le lui ai pas pris de force.

— Tu n’as pas besoin de me donner des explications, car j’ai tout entendu. Tu as abusé de l’ignorance et de la naïveté de ce petit enfant. Tu n’as pas employé la force, mais tu as employé la ruse. La ruse, comme la violence, est indigne d’un homme. Je n’aime pas les petits garçons qui sont trop fins en affaires, et qui prennent des détours pour arriver à ce qu’ils désirent. Tu m’as compris?

— Oui, Papa,» répondis-je en rendant le chariot au petit garçon et en le débarrassant du déguisement dont je l’avais affublé.

«Seulement, ajoutai-je.

— Seulement quoi? me demanda mon père

— Seulement, si un homme ne doit employer ni la force ni la ruse, que faut-il que je fasse quand un petit garçon ne veut pas me prêter son chariot?

— Il faut te passer de chariot et jouer a autre chose.»

Cette idée-là ne m’était pas venue. J’avoue même qu’elle ne me plut pas beaucoup, tout d’abord, parce que, quand je désirais quelque chose, je voulais l’avoir à toute force. Mais je finis par comprendre que mon père avait raison. Il y a comme cela, dans la vie de ce monde, une foule de choses dont il faut savoir se passer; et l’on n’en meurt pas.


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