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IV

Table des matières

DANS une lettre précédente, je vous donnais le conseil de n’acheter qu’à bon escient les livres qui vous sont utiles ou qui peuvent procurer une satisfaction durable à votre esprit de bibliophile. Je vous faisais presque un reproche de l’empressement que vous mettiez à encombrer vos armoires. Qu’allez-vous donc me répondre aujourd’hui, quand j’aurai continué à vous énumérer une série d’ouvrages bibliographiques, — assez encombrants, — que je vous engage à acquérir?

Les volumes de cette nature sont, il est vrai, de bonne composition et vous pouvez, sans le moindre inconvénient, les reléguer dans un casier ouvert de votre cabinet de travail. Vos bibliothèques n’en souffriront donc pas; je dis plus: ces ouvrages seront beaucoup mieux là que dans un meuble fermé. Vous pourrez les consulter plus facilement. — Ne les mettez pas loin de la portée de votre main, afin de pouvoir les prendre sans trop vous déranger. Il existe maintenant des casiers tournants à quatre faces, qui vous rendront, dans ce cas, de vrais services.

Revenons à notre énumération.

En fait de bibliographies spéciales, je vous ai cité le Guide de l’amateur d’ouvrages illustrés du XVIIIe siècle, par Henri Cohen. Il est bon d’avoir, à côté de cet ouvrage, le volume du baron Roger Portalis, intitulé les Dessinateurs d’illustrations au XVIIIe siècle. Vous, mon ami, qui recherchez les bons dessins et les belles gravures, vous lirez avec fruit et avec satisfaction ce livre intéressant, écrit avec esprit et simplicité, par un amateur éclairé, homme du monde et agréable écrivain.

M. le baron R. Portalis a publié depuis, en collaboration avec un autre amateur, Henri Draibel (M. Henri Béraldi), les Graveurs du XVIIIe siècle, gros ouvrage en 3 volumes in-8°, plein de renseignements sur l’art gracieux de l’époque de Louis XV et de Louis XVI. Les graveurs qui se sont adonnés plus particulièrement à l’illustration des livres y occupent une large place.

Comme vous le savez sans doute, puisque vous suivez les ventes publiques de livres, on recherche beaucoup depuis plusieurs années les ouvrages du XVIIIe siècle. On en était même arrivé, il y a peu de temps encore, à faire de véritables folies pour posséder quelques-uns de ces livres illustrés, que les amateurs (même ceux d’aujourd’hui) traitèrent avec tant de dédain pendant un demi-siècle au moins. Mais, comme l’exprime aussi brièvement que clairement un proverbe français, «tout lasse, tout casse, tout passe.» Les bibliophiles, même les plus riches, se sont lassés de couvrir d’or certains livres du XVIIIe siècle, qui n’ont pour tout mérite que de gracieuses illustrations. D’ailleurs la plupart des grands amateurs étaient arrivés à les posséder. Et comme l’élévation des prix en avait fait sortir un bon nombre des greniers poudreux ou des bibliothèques délaissées, la rareté n’existant plus au même degré, les prix de tous ont nécessairement baissé un peu.

D’un autre côté, les bibliophiles nouveaux, non encore habitués à voir le Pactole rouler ainsi ses flots d’or autour de quelques livres ornés de gravures, ont commencé par acheter avec prudence, en tâtant un peu le terrain, qui leur semblait tant soit peu mouvant. Ces néophytes sont sans doute les grands bibliophiles de l’avenir, mais, pour le moment, ils se contentent de livres modestes, qu’ils trouvent à des prix raisonnables. Et ils attendent des temps plus doux pour acquérir les volumes illustrés que la mode actuelle a trop surfaits.

Chose digne de remarque et qui m’a souvent donné l’occasion de philosopher, le goût des amateurs de toutes sortes tend aujourd’hui à se rapprocher des objets de fabrication plus récente, soit en meubles, soit en objets de luxe de différente nature, soit en livres. Nous devenons positifs et pratiques; et aucune époque n’ayant, comme la nôtre, travaillé au point de vue des besoins matériels et du bien-être, nous fixons nos désirs sur les objets de toute nature, qui peuvent le plus contribuer à remplir ce but. Et comme notre époque n’est pas douée d’une imagination merveilleuse, nous nous bornons à faire imiter les objets des siècles passés, mais en laissant l’industrie moderne y donner son cachet utilitaire.

Or, les livres du XIXe siècle sont eux-mêmes imprimés dans des formats plus commodes; le papier est plus beau, au moins en apparence, et souvent plus fort; les caractères d’impression sont plus nets et moins fatigants pour les yeux. Et les bibliophiles nouveaux prennent tout cela en sérieuse considération. Ces livres coûtent aussi moins cher que les beaux livres anciens, autre considération tout aussi sérieuse que la première. Les amateurs se sont donc mis à acheter les livres du XIXe siècle.

De là l’idée de rédiger quelques guides, pour reconnaître les bons et beaux ouvrages de notre époque. C’est ce qui a donné naissance à divers ouvrages particuliers, comme la Bibliographie (et Iconographie) de l’œuvre de Béranger, volume très bien fait, dont l’auteur, M. Jules Brivois, est un fanatique du grand poète chansonnier et possède la plus belle collection connue de toutes ses éditions.

Nous avons vu ensuite paraître successivement des bibliographies spéciales pour les œuvres de Victor Hugo, H. de Balzac, Alexandre Dumas, Pétrus Borel, rédigées avec soin par M. Ad. Parran, soit sous son nom, soit sous la signature: «Un bibliophile cévenol.» La Bibliographie des œuvres a’ Alfred de Musset, minutieusement établie par M. Maurice Clouard, nous fournit sur les livres du poète des détails curieux et fort peu connus. La bibliographie des ouvrages de Théophile Gautier a été bien faite par M. Maurice Tourneux.

Il y a quelques années, M. Paul Lacroix avait dressé la Bibliographie Moliéresque, l’Iconographie Moliéresque, la Bibliographie Cornélienne, volumes importants et remplis de détails curieux. M. Bengesco avait déjà publié l’année dernière la Bibliographie des œuvres de Voltaire, ouvrage de patience et de recherches difficiles, consciencieuses, non exempt, certes, de fautes et d’erreurs, mais utile à consulter. M. Louis Dangeau (Louis Vian) avait publié aussi la Bibliographie des œuvres de Montesquieu, très bien rédigée. Un bibliophile aussi modeste que distingué a commencé la publication anonyme d’une série de bibliographies par la Bibliographie et iconographie des œuvres de Regnard, en un excellent petit volume paru en 1878. On attend impatiemment les autres.

La science bibliographique est entrée de nos jours dans des détails si précis, qu’on publie non seulement des traités spéciaux à chaque écrivain, mais encore des monographies relatives aux différentes éditions d’un seul ouvrage.

C’est ainsi que M. Henry Harrisse, l’auteur d’un grand et excellent traité intitulé Bibliotheca Americana, nous a donné la Bibliographie de Manon Lescaut, étude dont la seconde édition a paru avec des modifications et des augmentations, en 1877. Je vous recommande ce livre, si vous avez le désir d’acheter un jour ou l’autre une édition originale, ou rare, ou remarquable, de l’immortel roman de l’abbé Prévost.

Un petit livre moderne, tout spirituel et gracieux, a eu l’honneur d’être ainsi monographié. Ce sont les Contes Rémois, de M. de Chevigné. Une Bibliographie des Contes Rémois, a paru en 1880, rédigée avec soin par le Dr Bougard.

Pour moi, j’avoue que je préfère de beaucoup à tous ces manuels pleins de recherches si minutieuses, presque byzantines, un volume que j’ai lu avec un charme infini, et dans lequel j’ai trouvé, en dehors d’un style de maître, des aperçus délicieux et des réflexions remplies de bon sens, sur les livres et sur les bibliophiles. Je vous cite le titre de cet ouvrage en dernier lieu, vous recommandant tout particulièrement de l’acquérir. Il est intitulé : le Livre et la petite bibliothèque d’amateur, par M. Gustave Mouravit.

Vous trouverez dans une superbe publication périodique, le Livre, publié par M. Quantin, sous la direction de M. Octave Uzanne, de très intéressants documents sur tout ce qui se rapporte au monde littéraire, aux livres et aux bibliophiles. L’art de former une bibliothèque, par Jules Richard, petit volume paru chez Rouveyre et Blond, est d’une lecture attrayante.

Plusieurs ouvrages plus ou moins spéciaux seraient aussi utiles à consulter de temps à autre, pour quiconque tiendrait à ne pas se tromper, — ou à se tromper le moins possible. Par exemple, des traités sur diverses collections typographiques comme celles des Alde, des Estienne, des Elzevier. Je vous parlerai de tout cela en temps opportun. Et puis franchement, mon ami, il ne faut pas sacrifier trop de temps à étudier tous les ouvrages de bibliographie. Vous finiriez par devenir trop expert en l’art de connaître les livres, et telle est bizarre notre nature, qu’il y a beaucoup à parier qu’alors vous commenceriez à les moins aimer. Tant il est vrai que nous éprouvons toujours un certain charme à cheminer à travers l’inconnu, et qu’il se mêle souvent une certaine satisfaction à l’ennui d’être trompé ou de se tromper soi-même.


L'art d'aimer les livres et de les connaitre : lettres à un jeune bibliophile

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