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PIERRE LE GEOLIER

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Table des matières

Les prisons étant encombrées, le condamné à mort avait été enfermé, pour plus de sûreté, dans un des cachots souterrains de la Grosse-Tour, à l'entrée de la petite rade.

Le greffier du tribunal lui avait donné lecture de l'arrêt qui le condamnait à mort. L'exécution devait avoir lieu à sept heures du matin, sur l'esplanade de l'Arsenal.

Cette formalité remplie, la lourde porte s'était refermée sur celui que la prétendue justice des hommes avait frappé.

Jacques était seul.

L'obscurité était profonde: on entendait au dehors le pas des sentinelles et leurs voix qui se répondaient au loin; la mer mêlait son écho lent et sourd au bruissement du vent dans les mâts qui craquaient.

Jacques, debout, le dos appuyé contre la muraille fruste, restait immobile, la tête penchée sur sa poitrine. Il rêvait. Douloureuse méditation!

Ainsi, tout était bien fini. A peine commencée, la vie s'arrêtait brusquement. On allait le tuer. De lui, plein de vitalité, d'énergie, on allait, dans quelques heures, faire un cadavre. Ce cœur qui battait à pulsations précipitées s'arrêterait tout à coup; sous ce front qui pensait se ferait la nuit et le néant.... Les deux mains du condamné se crispaient lentement l'une contre l'autre... et pourtant pas un soupir ne s'échappait de sa bouche. Et quiconque aurait pu voir son visage eût remarqué avec surprise que sur ses lèvres il y avait comme un sourire.... Ses yeux fixés sur les ténèbres semblaient revoir encore l'apparition qui tout à l'heure s'était dressée en face de lui.

Mourir! La jeunesse a d'étranges incrédulités.

Jacques savait qu'il était perdu, et pourtant il doutait encore... et comme si c'eût été un mot cabalistique, un nom vint sur ses lèvres:

—Marie! Marie!...

L'horloge de la grosse tour sonna.

Il était dix heures. Encore neuf heures à vivre.

A ce moment, Jacques entendit un pas s'approcher de son cachot. Une clef fut introduite dans l'énorme serrure, qui grinça, puis la lourde porte tourna sur ses gonds.

Je ne sais quel espoir fou monta au cerveau de Jacques. Toutes ses énergies se concentrèrent dans son regard. Mais sa tête retomba tristement....

C'était un geôlier, couvert d'un grand manteau qui tombait jusqu'à ses pieds, le front caché sous un bonnet de loutre qui ne laissait apercevoir que deux yeux creux, et une barbe épaisse encadrant de grosses lèvres.

L'homme avait une lanterne à la main.

—Que me voulez-vous? demanda brusquement Jacques. Ne puis-je du moins obtenir le repos?

Sans répondre, le geôlier ferma la porte, puis s'approchant de Jacques, il souleva son bonnet, d'où s'échappa une chevelure hirsute, presque sauvage:

—Monsieur de Costebelle, dit-il, me reconnaissez-vous?

Jacques le regarda attentivement.

—Pierre Lamalou! s'écria-t-il.

—Oui, Pierre Lamalou, dit le geôlier, qui vous a vu tout petit, pas plus haut que ça, et qui est désespéré...

—Mon brave, que veux-tu? c'est la guerre. Je suis le vaincu et je paye ma dette.... J'ai fait mon devoir, comme d'autres le feront après moi...

—Oui, oui, je sais, fit l'homme en secouant tristement la tête. Ils disent comme ça que vous êtes un rebelle et qu'il faut faire un exemple.... Moi, je sais que vous êtes bon et que vous ne pouvez avoir voulu que le bien.

—Mon ami, reprit Jacques, la sympathie d'un honnête homme comme toi sera ma meilleure et dernière consolation.

—Attendez, fit Lamalou.

Il se pencha vers la porte et parut écouter attentivement au dehors. On n'entendait aucun bruit.

Puis, il se rapprocha de Jacques.

—Voyez-vous, dit-il, j'ai pris un vilain métier; mais j'ai femme et enfants... deux enfants... faut vivre.... Je me suis bien souvent reproché d'avoir accepté cette place-là; mais aujourd'hui je suis bien heureux que la misère m'ait poussé ici.

—Que veux-tu dire?

—Vous disiez, monsieur Jacques, que les quelques mots que je vous ai dits seraient votre dernière consolation... Je ne crois pas ça, parce que je vous en apporte une autre.

—Je ne te comprends pas....

Lamalou écarta son manteau et prit à sa ceinture un papier soigneusement plié.

—Une lettre! s'écria Jacques, en étendant la main.

—Oui, une lettre.

—Qui te l'a remise?

—Une dame, que je crois jeune, quoique je n'aie pas vu sa figure. Elle se cachait sous un voile très-épais. Elle hésitait, la pauvre femme. Je voyais bien qu'elle voulait me dire quelque chose. Alors je me suis approché d'elle, et je lui ai dit tout bas: «Je connais M. de Costebelle depuis plus de vingt ans.» J'ai vu que ça lui faisait plaisir et que ça lui donnait confiance.... J'ai ajouté: «Si vous voulez que je lui dise quelque chose de votre part...»—«Non, a-t-elle fait, c'est une lettre.» Oh! je n'ai fait ni une ni deux, je l'ai prise, et la voilà. Maintenant ne perdez pas de temps, lisez vite, car si l'on nous surprenait....

Jacques, immobile, tenait le billet entre ses mains. Tout son corps tremblait. Il semblait qu'il n'eût pas le courage de briser le cachet. Car cette lettre, c'était toute sa vie, tout son passé, tout ce qui avait été son bonheur et son espérance.

—Allons! allons! monsieur Jacques, insista le geôlier.

—Tu as raison, fit Jacques. Devant mes juges, j'avais plus de courage.

Il déchira l'enveloppe.

Lamalou avait levé la lanterne et l'éclairait.

Mais à peine le jeune homme eut-il jeté les yeux sur le billet qu'il pâlit et jeta un cri.

—Mon Dieu! mon Dieu! mais c'est horrible, cela!

—Qu'y a-t-il, monsieur Jacques? Comment! est-ce que j'ai mal fait de me charger de la commission?

Mais Jacques ne l'entendait plus. Il lisait, il dévorait les lignes rapidement tracées.

Voici ce que contenait ce billet:

«Mon ami, mon frère, je suis mourante de douleur et d'angoisse; vous êtes condamné! notre père a été impitoyable. Les larmes me suffoquent; à peine si je puis guider ma main, et cependant il faut que je vous dise.... Mon Dieu! en un pareil moment! Jacques, celle que vous aimez, celle qui s'est donnée à vous, Marie enfin.... Marie est mère! Les angoisses de ces horribles jours ont avancé le terme.... Elle est accourue vers moi, terrifiée, affolée... je l'ai cachée dans une cabane des gorges d'Ollioules... et hier elle a mis au monde un garçon.... Que faire?... Doit-elle avouer les liens qui l'unissent à vous?... elle le veut, et je crois que nulle force humaine ne pourra la retenir... et cependant c'est sa perte.... Notre père la chassera, la maudira... sa vengeance s'étendra sur le petit être innocent qui, hélas! sourit dans son berceau.... Jacques, à cette heure suprême, vous êtes le seul maître de la destinée de ma pauvre sœur.... Dictez-lui votre volonté. Oh! à vous, à vous seul elle obéira... exigez qu'elle cache la naissance de cet enfant... exigez qu'elle se sauve... dites-nous à qui nous devons confier notre cher trésor.... Oh! comme nous l'aimerons! Pauvre petit orphelin, du moins tu auras deux mères.... Je pleure... je ne puis plus écrire.... Tout ce que la plume ne peut expliquer vous le devinerez, vous le comprendrez!... Jacques, un mot, quelques lignes... arrachez Marie au désespoir... sauvez-la! Je ne veux pas qu'elle se perde, je ne veux pas qu'elle meure.... Ecrivez, de grâce, écrivez...»

La lettre était brusquement interrompue. Sans doute un incident avait empêché qu'elle fût continuée.

Mais Jacques en savait assez.

Hagard, les yeux grands ouverts comme ceux d'un fou, il froissait machinalement entre ses doigts cette lettre dont chaque mot lui torturait le cœur.

Lamalou n'osait plus parler. Il devinait quelque épouvantable désespoir, auquel il lui était impossible de porter remède. De grosses larmes montaient à ses yeux et sa gorge était serrée comme dans un étau.

Tout à coup Jacques se redressa.

Ses deux mains se posèrent sur les épaules du geôlier. Il plongea dans ses yeux son regard franc et clair, qui étincelait:

—Ami! lui dit-il, au nom de mon père, au nom de tous ceux que tu aimes, il faut que je sorte d'ici....

Lamalou recula, stupéfait. Non, en vérité, il n'avait pas entendu cela. La bouche béante, il regardait Jacques. Evidemment il n'avait pas compris.

—Pierre, reprit Jacques de sa voix mâle et vibrante, je te supplie de m'entendre. Vois-tu! la mort n'est rien... mais, cette nuit, il me faut ma liberté!

L'homme put enfin articuler quelques mots.

—Ah! monsieur de Costebelle, vous savez bien que c'est impossible... c'est de la folie.... La liberté! Ah! vous n'y songez pas... ne me demandez pas cela!

—Pierre, continua Jacques, combien faut-il de temps pour aller aux gorges d'Ollioules?

—Pour un bon marcheur, une heure et demie.

—Autant pour le retour, trois heures. Il n'est pas encore onze heures.... Laisse-moi sortir d'ici, et avant quatre heures je serai de retour, et ils me trouveront là pour me tuer...

—Tenez, monsieur Jacques, je ne puis vous comprendre. Ce que vous demandez est tellement insensé!... Comme si cela se pouvait!... Voyons! calmez vous! revenez à la raison...

—Pierre, je veux ma liberté...

—Demandez-moi ma vie... je vous la donnerai... mais autre chose... c'est impossible...

—Pierre, il y a six ans de cela, un jour, un homme avait glissé de la falaise dans la mer... le flot hurlait, la tempête rugissait... l'homme était perdu... tenter de le sauver était une folie... cet homme était un vieillard... Pierre, c'était ton père!... Je me suis précipité à travers les vagues et j'ai sauvé ton père!... Pierre, l'as-tu donc oublié?...

—Non! non! faisait le geôlier, qui frémissait.

—Pierre, c'est ma mère qui a attaché au front de ta femme le bouquet des mariées...

—C'est vrai!... c'est vrai!...

—Pierre, tu m'as bercé dans tes bras... comme dans mes bras j'ai bercé ton premier enfant...

—Oui.

—Eh bien! au nom de tous ces souvenirs, au nom de ton père, de ton petit enfant qui me souriait et m'embrassait, donne-moi ces trois heures de liberté!

Lamalou chancelait. Des gouttes de sueur perlaient sur son front. Il s'appuyait au mur pour ne pas tomber.

—Pierre, vois... je me mets à genoux devant toi... je te supplie... à mains jointes.... Pierre!

Et Jacques, de ses deux bras, embrassait les genoux du geôlier.

Tout à coup l'homme s'écria:

—C'est ma vie que vous voulez, eh bien! prenez-la!

—Enfin! fit Jacques en se redressant d'un bond.

—Mais comment sortir d'ici? fit Pierre.

—Ne peux-tu pas m'ouvrir les portes?

—Moi! un pauvre porte-clefs.... Mais à deux pas d'ici les sentinelles s'empareraient de vous.... Comment passer au guichet d'entrée?

—Mon Dieu! tout est perdu! s'écria Jacques en se tordant les mains.

—Non! attendez! par ici....

Le cachot dans lequel Jacques était enfermé prenait air et lumière par le soupirail donnant sur la rade. Un énorme barreau de fer, scellé dans le ciment, fermait la meurtrière.

—Vous êtes bon nageur, fit Pierre. Je sais ça, puisque vous avez sauvé mon père. Vous allez vous jeter dans la rade.... Le seul danger, c'est que le bruit de votre chute soit entendu.... Mais je ne crois pas que ce péril-là soit grand....

Jacques avait bondi vers le soupirail et secouait furieusement la barre de fer.

—Laissez cela, dit Lamalou, qui, depuis qu'il avait pris sa résolution, avait recouvré tout son calme.

Il écarta doucement Jacques.

Puis, de ses doigts croisés, il enserra la barre de fer, s'arc-bouta sur les reins, les pieds rivés au sol; les veines de son front saillirent comme des cordes... on entendit un han! et du ciment brisé sortit la barre de fer tordue.

—Allez maintenant, dit Pierre.

Jacques se tourna vers lui.

—Pierre, ce que tu fais est grand et noble. Merci! Quand quatre heures sonneront, je serai là, au bas de la tour.

—Pourquoi faire? dit Pierre en haussant les épaules. Vous êtes sauvé, profitez-en tout à fait.

—Et toi?

—Oh! moi... ça ne compte pas.... Ce que j'en disais, c'était pour la femme et les petits...

—Fuis avec moi...

—Oh! ça! ce n'est pas possible!... Je ne peux pas quitter Toulon, voyez-vous! ni la femme non plus. Nous y avons vécu, nous y mourrons.

—Si je ne revenais pas, tu serais perdu!

—Bah! fit Pierre avec un sourire triste, changement de logis, ils me mettraient là-bas!

Là-bas, c'était le bagne.

Jacques frissonna.

Il saisit la main de Pierre:

—Tu m'as entendu, à quatre heures.

—Comment! vous voulez...

—Je veux tenir le serment que je t'ai fait.... Tu crois à ma parole?

—Mais ce serait une folie.

—Ce n'est jamais une folie que de faire son devoir.

—Bah! partez toujours. Vous verrez après!...

Et il se disait:

—Quand il aura senti le grand air, du diable s'il se soucie du vieux Lamalou!

Ce sentiment se lisait si nettement sur son visage, que Jacques, emporté par l'admiration, tant était simple ce désintéressement sublime, prit l'homme par la tête et l'embrassa.

Puis il répéta:

—A quatre heures....

Pierre ne répondit plus; seulement il l'aida à passer par la meurtrière, qui était étroite.

Un instant après, un bruit sec monta jusqu'au geôlier.

Jacques était à l'eau.

Lamalou écouta. L'éveil n'avait pas été donné.

—Allons! mon pauvre Lamalou, murmura le geôlier, te voilà bien!...

Et, sortant du cachot, il ferma carrément l'énorme serrure.

Les loups de Paris: Le club des morts

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