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LE SERMENT D'UNE MÈRE

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—Toi, mon Jacques! répétait Marie qui sanglotait.

Elle l'avait doucement écarté d'elle, et le regardait de ses grands yeux rayonnants d'une joie indicible.

La vieille Bertrade s'était laissée tomber sur les genoux, et portait à ses lèvres le vêtement du jeune homme.

Jacques sentait les larmes monter à ses paupières; il ne pouvait parler, tant l'émotion le tenait serré à la gorge.

En vérité, c'était une épouvantable situation.

Il comprenait quel espoir, mieux, quelle certitude s'imposait à celle qui lui appartenait. Elle le voyait, donc elle le croyait à jamais sauvé.

Et pourtant, il était perdu: quand le jour se lèverait, il tomberait sanglant sous les balles des exécuteurs.

S'il était accouru vers Marie, c'était pour obéir à l'appel que Mathilde lui avait adressé.

Il voulait lui crier:

—Je veux que tu vives, je veux que tu caches à ton père notre faute commune. Par prudence pour toi-même, pour notre enfant, il le faut, je te supplie de m'obéir.

Il n'avait pas songé à cette illusion sinistre que lui donnait sa présence. Pouvait-elle deviner, elle, qu'il eût obtenu de ses geôliers quelques heures de liberté?... et surtout qu'il eût donné sa parole d'honneur en garantie de son retour, quand ce retour, c'était la mort? Il restait là, immobile sous son regard, muet.

Parler, c'était la tuer.

La joie folle qui lui remplissait le cœur ne pouvait être sans danger immédiat pour sa vie, transformée tout à coup en cette horrible angoisse.

—Jacques, dit-elle enfin, de sa voix si douce, tu n'as pas encore embrassé notre enfant.

Elle fit un signe à la vieille nourrice, qui souleva l'enfant dans ses bras.

Marie le prit et approcha son front des lèvres de Jacques.

L'enfant!...

A sa vue, Jacques éprouva une telle douleur qu'il eut peine à réprimer un cri.

Oh! comme il l'embrassa pour mieux cacher la poignante étreinte qui lui brisait le cœur!

—Tu l'aimeras bien, disait Marie. Sais-tu, il est très-fort. Je l'appellerai Jacques comme toi. Oh! maintenant que tu es là, je ne crains plus rien, je suis heureuse.

Heureuse! ce mot tombait sur le cerveau de Jacques comme un coup de massue.

Tandis qu'elle parlait, tandis qu'il soutenait l'enfant en le serrant doucement contre sa poitrine, il regardait Marie.

Sa pâleur avait disparu: les teintes de la vie étaient remontées à ses joues. Sous le bonnet de dentelle blanche qui serrait son front, ses cheveux blonds s'échappaient en boucles mutines. Ses grands yeux bleus rayonnaient d'une indicible émotion.

—Tu ne me parles pas, continuait-elle. Et pourtant tu as tant de choses à me dire. Il faudra que tu me racontes tout. Qui t'a sauvé? c'est notre père, n'est-ce pas? Vois-tu, nous avons été injustes envers lui. Il n'a pu frapper le fils d'un ancien ami.

—Marie!

Le malheureux se sentait trembler tout entier. Il eût voulu arrêter sur les lèvres de la jeune femme ces paroles qui le torturaient.

Elle ne comprenait pas et continuait:

—Vois-tu, j'ai toujours confiance en lui, malgré sa sévérité apparente. Aussi, maintenant, nous ne devons plus avoir de secrets pour lui. Nous lui dirons tout. Je sais que l'aveu te coûterait trop; c'est moi qui aurai ce courage. Il nous pardonnera, j'en ai la conviction. Alors, quelle joie! Je serai ta femme devant les hommes, comme déjà je suis unie à toi devant Dieu.

Jacques poussa un cri. Il chancelait.

—Jacques! Jacques! qu'as-tu donc? Pourquoi ne me réponds-tu pas?

—Marie! il faut t'armer de courage...

—Du courage? et pourquoi? Quel nouveau malheur nous menace?

Jacques ne répondait pas.

Il parlait de courage, et lui-même se sentait lâche.

Marie lui avait saisi les mains.

—Je t'en supplie, ne me laisse pas dans cette incertitude... J'ai tant souffert, depuis que tu étais là-bas, dans cette horrible prison.... Ah! je le sens... je n'ai plus de force pour souffrir.... Si l'espérance, à peine retrouvée, devait être perdue tout à coup.... Jacques, je sens que j'en mourrais...

—Mourir! Est-ce que tu as le droit de mourir, toi? Tu oublies donc notre enfant...

—Notre enfant!

Elle l'attira à elle et le couvrit de baisers.

—C'est vrai! et puis, pourquoi parler de mort... puisque tu es là... puisque nous sommes à jamais réunis!

L'horloge de bois sonna deux heures.

Il n'y avait plus à hésiter. Jacques ne pouvait rester une minute de plus. Il y avait là-bas un honnête homme qui avait risqué sa vie pour lui, et qui l'attendait dans de mortelles angoisses, lui qui avait aussi une femme et des enfants.

Jacques se raidit contre sa propre faiblesse.

—Marie, dit-il tout à coup, il faut que tu m'entendes... car tu ne sais pas tout...

—Jacques, tu me fais peur!...

—Ma bien-aimée, ma femme, il faut que je te quitte...

—Me quitter! non! non! je ne le veux pas.... A ton tour, je te dis que tu n'en as pas le droit... ne m'abandonne pas, au nom de notre enfant...

—Il le faut pourtant, reprit Jacques d'une voix grave.

Il y eut un silence. Il rassemblait tout son courage.

—Mais, du moins, s'écria Marie, tu es sauvé! n'est-il pas vrai?...

—Oui, proféra le jeune homme avec effort.

Il devait mentir. Son parti était pris.

—Eh bien! je t'écoute, maintenant que je ne crains plus pour ta vie....

—Marie, quoi que je te demande, jure-moi de m'obéir...

—N'es-tu pas mon époux, le maître de ma vie?...

—Voici toute la vérité... Marie! j'ai été condamné!...

—Toi! mon Dieu!... Ah! les hommes sont sans pitié!

Il eut un sourire attristé.

—Ne parle pas ainsi, ma douce Marie: il est des âmes généreuses et bonnes....

Elle l'interrompit.

—Mais, puisque tu es condamné, comment te trouves-tu ici, près de moi?

Jacques hésita.

—Je me suis évadé, dit-il enfin.

—Évadé! Alors, tu es en danger... tu peux être arrêté de nouveau.... Mon Dieu! mais c'est à désespérer... il faut se hâter de fuir... tu ne peux risquer de retomber entre les mains de tes ennemis.

Elle lui tendit la main.

—Je comprends tout. Alors que tu pouvais gagner la mer, tu as voulu me revoir.... Ah! merci pour cette pensée!... Dis-moi... toutes tes précautions sont prises?...

—Oui! oui!...

—Tes amis t'attendent, n'est-ce pas?

—C'est cela... en quelques heures j'aurai atteint le rivage... et là, je suis sauvé...

—Et moi qui ne comprenais pas, quand tu me parlais de t'abandonner.... Ah! je me reproche de t'avoir retenu si longtemps. Tu vas gagner l'Italie, n'est-ce pas?... Dès que tu seras en sûreté, tu m'écriras... et j'irai te rejoindre avec notre cher enfant.... C'est bien cela, n'est-il pas vrai?...

—Oui! l'Italie!...

Jacques, livide, balbutiait. Mais elle ne devinait rien.

—Va, va, mon Jacques. Je t'appartiens, je suis ta femme... quand tu m'appelleras, j'accourrai auprès de toi... et, réunis pour toujours, nous oublierons ces jours de malheur.

—Ecoute-moi encore, dit Jacques, et surtout ne t'effraie pas. Je vais fuir, et tu ne peux ignorer qu'un semblable départ me force à courir quelque danger...

—Je le sais, mais j'ai confiance!

—Moi aussi, j'ai foi en l'avenir... cependant, j'ai dû prendre une précaution...

—Laquelle? Dis vite; car, en vérité, il me tarde maintenant que tu sois loin d'ici....

Jacques tira de sa poitrine un pli cacheté:

—Je te le répète, je suis persuadé qu'il ne m'arrivera aucun accident... pourtant j'ai écrit ce testament...

—Un testament! oh! ne prononce pas ce mot!

—Il faut conserver sa force en face du danger. C'est pour notre petit Jacques que j'ai dû songer à tout.... Si, par hasard, par un de ces événements que rien ne peut faire prévoir, il survenait, pendant ma fuite, quelque obstacle, ce testament reconnaît les droits de notre enfant à mon nom et à ma fortune.... Je sais que cette reconnaissance est irrégulière; cependant, en des circonstances aussi graves, elle a force spéciale. Garde ce précieux document, ma femme bien-aimée... et s'il devenait nécessaire de le produire au grand jour, n'hésite pas....

Elle voulut parler, il l'interrompit d'un geste:

—Ce n'est pas tout, ajouta-t-il. Il m'en coûte de détruire dans l'âme d'une fille respectueuse les dernières illusions qu'elle peut encore conserver.... Mais il faut que tu le saches, c'est des lèvres de M. de Mauvillers qu'est tombé l'arrêt de ma condamnation.

—C'est horrible! murmura Marie.

—M. de Mauvillers a obéi à sa conscience. Il ne m'appartient pas de le blâmer. Il a frappé en moi un ennemi de tout ce qui lui est sacré, c'était son droit. Mais qui sait si cette animosité ne s'étendrait pas sur notre enfant?...

—Non! c'est impossible!

—Qui sait? te dis-je. Jure-moi d'être prudente, de ne pas trahir notre secret.

—Mais puisque je dois aller bientôt te rejoindre?

—Cette raison même doit t'engager au silence. J'espère, grâce à des amis puissants et dévoués, obtenir bientôt le retour dans la patrie. Si M. de Mauvillers connaissait les liens qui nous unissent, peut-être sa colère me serait-elle nuisible.

—Tu as raison! Je te comprends.

—Tu te tairas. Tu me le jures...

—Jusqu'au jour où tu m'auras donné le droit de parler, je te promets de garder notre secret enseveli dans mon âme.

—Merci!... mais mon absence peut se prolonger... pendant quelques semaines... quelques mois.... Jure-moi de ne pas parler, quoi qu'il arrive, avant qu'une année entière ne se soit écoulée...

—Une année! mais tu me fais frémir...

—Jure... je t'en supplie....

Marie fixa sur lui un long regard, comme si elle eût cherché à lire dans son cœur.

Il eut la force de lui sourire.

—Je te le jure, dit-elle, quoi qu'il arrive, pas un mot ne s'échappera de mes lèvres... avant une année.

Il se pencha vers elle et la pressa dans ses bras. Puis, il prit doucement l'enfant et l'embrassa.

—Adieu! dit-il.

—Ne prononce pas ce mot! s'écria mademoiselle de Mauvillers, au revoir!

—Au revoir! s'écria Jacques.

Et, fou de douleur, il s'élança dehors.

—Mon Dieu! murmura Marie, protégez-le! car s'il meurt, je mourrai....

Elle attira l'enfant contre son sein.

La pauvre petite créature se prit à pleurer.

Le cri vagissant traversa le cœur de la mère dont la tête pâle retomba sur son oreiller.

—Oh! j'ai peur! fit-elle d'une voix à peine perceptible.

Immobile, les bras croisés sur sa poitrine, elle semblait être morte. C'est qu'une effrayante angoisse la torturait jusqu'aux fibres les plus profondes de son être....

Tant que Jacques avait été devant elle, avec son énergie, tant qu'elle avait pu considérer cette tête mâle et fière, elle avait gardé son courage....

Maintenant, il lui semblait qu'elle avait eu tort de le laisser partir.... S'il n'avait pas tout dit, si le danger était plus terrible qu'elle ne le supposait....

Et toujours le balancier de l'horloge battait monotone comme les pulsations d'une veine.

Les minutes passaient....

Et à mesure que marchait l'aiguille, la fièvre montait au cerveau de la pauvre femme....

Tout à coup, des profondeurs du val d'Ollioules, un coup de feu éclata... répercuté par les roches et roulant jusqu'à la masure.

—Bertrade! Bertrade! cria Marie.

Et comme la nourrice accourait vers elle, elle étendit les bras en avant, puis retomba inerte....

Que se passait-il donc? Et quelle signification terrible avait cet écho de mort?

Les loups de Paris: Le club des morts

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