Читать книгу Les loups de Paris: Le club des morts - Jules Lermina - Страница 28
LA PAROLE DONNÉE
ОглавлениеSix heures venaient de sonner.
Dans la prison de la Grosse-Tour, un homme était assis sur un banc de pierre, s'accoudant au parapet qui dominait la rade.
Déjà, glissant sur la mer, une lueur blafarde annonçait le jour. Les nuages avaient été chassés par le vent plus violent et plus froid.
On entendait le cri des sentinelles. Tout à coup, un reflet rouge éclaira le ciel, un coup de canon retentit.
—Bon! encore une évasion! murmura l'homme.
Deux autres détonations éclatèrent. On venait de constater au bagne la disparition de Biscarre.
—C'est le jour aux évasions! ajouta Pierre Lamalou en haussant les épaules.
Il se pencha vers la rade, plongeant son regard dans la profondeur unie et noirâtre.
—Bah! un forçat de perdu, un de retrouvé. Mon brave Lamalou, on te fait de la place.
Il passa sur ses yeux sa main large et velue. Une grosse larme roula sur sa barbe inculte.
—Tu pleures, vieille bête! fit-il. Ah çà! est-ce que par hasard tu t'étais figuré que M. de Costebelle reviendrait?... Tu es encore bien niais pour ton âge... et puis, à sa place, qu'est-ce que tu aurais fait?...
Il se tut, comme s'il s'interrogeait au plus profond de sa conscience.
—Je serais revenu, murmura-t-il. Parce que le pauvre Lamalou a femme et enfants.
Il secoua la cendre de sa pipe sur son ongle.
—Baste! ce qui est fait est fait.... Il est jeune, je suis presque vieux, c'est justice.
Il se livrait un singulier combat dans l'âme du geôlier. Non, il ne regrettait pas ce qu'il avait fait, car il aimait Jacques comme son propre enfant. Au moment où le jeune homme avait disparu par la meurtrière, le sacrifice était fait.
Et pourtant ce qui blessait Lamalou, c'était que Jacques lui eût donné sa parole d'honneur qu'il reviendrait. Est-ce que Pierre, une fois décidé, l'eût empêché de partir? Donc, ce mensonge était inutile.
Lamalou n'aimait pas que Jacques eût menti.
Les honnêtes gens ont dans l'âme un besoin d'estime pour ceux qu'ils aiment.
Et cependant l'heure passait.
Déjà la prison s'animait.
Les sentinelles avaient été relevées.
En vain Lamalou, presque sans se rendre compte de ce qu'il faisait, prêtait l'oreille, attendant qu'un cri, un appel lui rendît le repos.
Pauvre homme! il pensait à sa femme, à ses petits enfants qui, le lendemain, demanderaient où était leur père.
Il se disait aussi que peut-être on aurait pitié de lui. Peut-être ne ferait-on pas retomber sur lui la responsabilité de l'évasion....
Certes, si on eût vécu en des temps moins troublés, la chose eût été possible. Mais il s'agissait de politique. En fait de droit commun, on peut encore compter sur l'indulgence, sur ces sentiments d'humanité qui restent au fond de toute âme. Mais en fait de guerre civile!... N'insistons pas.
Lamalou n'était pas un niais. Dans la sphère étroite où il avait vécu, en face de la mer, il avait appris à connaître les hommes.
Il se savait perdu.
—Ça y est! murmura-t-il.
Il éteignit sa pipe, ajusta son manteau, poussa un hem! hem! pour se donner du cœur, et, d'un pas ferme, il se dirigea vers le cachot du condamné.
Là même, avant d'ouvrir la porte, il eut une seconde d'hésitation. Certes, il eût été bien surpris de trouver Jacques. Et pourtant!
Il ouvrit. Le cachot était vide.
A ce moment, Lamalou entendit dans le couloir l'écho des pas qui s'approchaient, puis le bruit des crosses tombant sur le sol.
Il vint à la porte et se trouva en face d'un officier.
—Nous venons chercher le prisonnier, dit l'officier.
—Il n'est pas sept heures, balbutia Lamalou.
Et, comme pour lui donner un démenti, l'horloge de la grosse tour commença à tinter.
Six... sept.... C'était bien l'heure.
Lamalou eut un tressaillement et dit:
—Le prisonnier s'est évadé...
Une minute après, tout le monde officiel était aux abois.
On examinait la meurtrière. On s'exclamait sur la force de celui qui avait brisé cette énorme barre de fer.
Mais une voix dit:
—Le peloton d'exécution attend à l'esplanade. Il faut conduire le geôlier jusque-là.
Lamalou frissonna.
Il baissa la tête et dit:
—Allons!
On le plaça entre deux soldats.
Le sinistre cortège se mit en marche.
Quand on sortit de la prison, Lamalou eut comme un éblouissement. Le jour était venu et le frappait en plein visage.
On parvint à l'esplanade.
La foule—il y a toujours des curieux pour ces horribles spectacles—occupait les avenues qui entourent le parallélogramme.
On avait requis les troupes qui gardent le bagne.
De plus, par une sorte de raffinement, un groupe de forçats avait été amené pour assister à l'exécution.
C'était chose atroce que cet accouplement monstrueux. D'un côté, les soldats qui représentaient la France; de l'autre, les bonnets verts.
Lamalou s'avançait.
Tout à coup, l'officier qui conduisait l'escouade fit un signe. Et un capitaine se détacha pour s'approcher de lui.
—Où est le condamné? demanda le capitaine.
—Évadé.
—Qui l'a fait évader?
—Cet homme.
Il désigna Lamalou.
Le capitaine était un de ces officiers de la Restauration qui avaient gagné leur grade au prix des trahisons de Francfort et de Fribourg.
L'attentat lui parut monstrueux.
—Il faut le bâtonner.
Lamalou frissonna.
—Et puis les tribunaux feront justice de ce misérable, qu'on enverra au bagne.
—Mais... commença Lamalou.
—Assez! fit l'autre, qui avait à peine trente ans.
Il se tourna vers le groupe des forçats:
—Un homme de bonne volonté! dit-il.
Le garde-chiourme demanda:
—Pourquoi faire?
—Pour bâtonner ce traître.... Il faut faire un exemple... Il a fait évader le condamné.
—Bien.
Le garde-chiourme parla aux forçats.
L'un d'eux, espèce de colosse, se détacha.
Deux autres vinrent se placer aux côtés de Lamalou.
—Allez, dit le capitaine.
D'un seul effort, Lamalou fut renversé. Il ne se défendait pas, d'ailleurs.
Il pensait à sa maison, où, en ce moment même, on disait:
—Il va venir.
Le forçat qui allait faire fonction d'exécuteur avait à la main une corde, à laquelle il avait fait trois nœuds énormes.
On dépouilla Lamalou de ses vêtements. Les épaules velues parurent, rouges sous l'aurore blanche.
—Un mot, dit le capitaine: veux-tu avouer pourquoi et comment tu as fait évader le prisonnier?
Lamalou eut un sursaut.
—Je n'ai rien à dire. Il s'est évadé seul.
—Tu mens!
—Je ne puis vous répondre. Vous me tenez, tuez-moi.
—Frappe, dit l'officier au forçat.
La corde siffla dans l'air et s'abattit avec un bruit mat sur les épaules de Pierre, qui poussa un cri.
Il n'était pas forcé d'être stoïque.
Et c'était une horrible douleur.
Trois fois la corde siffla dans l'air. Trois fois elle retomba sur les chairs, qui s'affaissèrent.
Le sang jaillit.
A ce moment, un homme livide, couvert de sang, s'élança sur l'esplanade.
C'était Jacques!
—Arrêtez! cria-t-il.
—Jacques! fit Lamalou, ah! l'imbécile!
Disant cela, il pleurait. Et il était bien heureux, Jacques était un honnête homme.
Mais cette plaie en pleine poitrine...
—Monsieur, dit Jacques à l'officier, je me suis évadé sans que cet homme en sût rien. Me voici!
Il chancelait.
Il s'approcha de Pierre:
—Ami, dit-il, si je ne suis pas venu plus tôt, c'est qu'on m'a assassiné.
—Qui?...
—Je ne sais pas; mais, dès que tu seras libre, cours aux gorges d'Ollioules, vois Marie, et, je t'en supplie, protége mon enfant.
—Il ne fallait pas revenir.
—Jure à ton tour de te dévouer à mon enfant.
—Je tiendrai ce serment comme vous avez tenu le vôtre.
—Merci.
—Monsieur, dit Jacques à l'officier, je vous appartiens....
Le capitaine était pâle.
Il devinait un drame terrible.
Fusiller cet homme demi-mort, c'était presque un crime.
—Eh bien? fit Jacques.
—Monsieur de Costebelle, commença l'officier....
Jacques s'avança vers les soldats et dit:
—Mes amis, mes frères, je tombe pour la France et la liberté... Obéissez à vos chefs.... Le martyr vous pardonne...
—En joue! cria l'officier.
A ce moment, Jacques étendit les bras en avant, puis il tomba d'un seul coup, comme une masse....
Il était mort.
Les soldats n'avaient pas tiré.
—Jacques de Costebelle, murmura Lamalou, vous êtes un homme de cœur... désormais je vous appartiens....
Et, se baissant sur le cadavre, il l'entoura de ses bras et le baisa au front.
L'officier avait détourné la tête.