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LA VENGEANCE DU FORÇAT

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Table des matières

C'était l'écho de ce coup de feu qui était venu frapper au cœur la pauvre abandonnée.

Instinctivement, elle avait compris qu'un nouveau danger menaçait Jacques.

Avait-il donc été poursuivi depuis le moment de son évasion? Avait-il été surpris?

C'était une horrible angoisse.

—Bertrade! s'était écriée Marie, viens à moi. Je veux me lever, m'habiller, courir...

—Mon Dieu! mais est-ce possible, ma chère enfant? répondait la vieille nourrice. Dans votre état de faiblesse, il vous est interdit de faire un seul mouvement brusque...

—Qu'importe! je mourrai, mais au moins j'aurai tenté de le sauver....

Et la pauvre femme, haletante, avait posé les pieds sur la mauvaise natte qui servait de tapis.

—Vite! une robe, un manteau.... Bertrade, obéis-moi...

—Mais où voulez-vous aller?

—Le sais-je? Ce coup de feu a été tiré aux gorges d'Ollioules.... C'est là que j'irai...

—Quelque contrebandier peut-être.

—Non, ne cherche pas à me rassurer... tes efforts seraient vains. J'irai... j'irai....

Et Marie, réunissant toute son énergie, s'efforçait de se dresser sur ses pieds, mais elle chancelait; une sueur froide mouillait ses tempes; déjà le martellement du vertige frappait son cerveau.

Bertrade la soutenait.

Marie s'était enfin enveloppée dans un long manteau qui la couvrait tout entière.

—Mais l'enfant! cria Bertrade.

—N'es-tu pas là? Tu le défendras... tu te feras tuer avant qu'on ne parvienne jusqu'à lui...

—Je suis vieille, je suis faible!... que pourrai-je faire?

Marie se tordait les mains.

Si son amour l'appelait auprès de Jacques, son devoir la retenait auprès de son enfant.

Tout à coup, la vieille Bertrade tressaillit:

—Écoutez! dit-elle.

Marie la regarda sans comprendre.

—N'avez-vous pas entendu?

—Quoi? En vérité, je ne sais plus, je ne vis plus!

—Non! je ne me trompe pas!... J'entends un pas qui retentit sur la route....

Marie poussa un cri.

—Ah! si c'était lui!... Oui, c'est cela... il revient... il a échappé à ses persécuteurs; mais il est blessé, mourant, peut-être...

—Calmez-vous! je vais au devant de lui.... Mais son pas est ferme; non, il n'est pas blessé!

—Va! va! Bertrade... car je me sens mourir.

La vieille nourrice courut à la porte et l'ouvrit. Puis, traversant le jardinet qui séparait la maison de la route à peine tracée, elle s'avança dans l'obscurité en étendant les mains en avant.

Tout à coup elle se sentit saisir à la gorge, un râle sourd s'échappa de sa poitrine, elle chancela... mais la poigne énorme de Diouloufait la soutenait:

—Tais-toi, vieille sorcière, murmura à son oreille la voix du colosse, ou, par le diable! je serre les doigts... et je t'envoie au sabbat!...

Marie n'avait rien entendu.

Droite, immobile, le cou tendu, elle attendait....

Soudain la porte s'ouvrit violemment...

—Jacques! cria-t-elle.

Celui qui était devant elle jeta à terre le bonnet qui cachait son front.

—Non, ce n'est pas Jacques, dit-il en ricanant. Marie de Mauvillers... me reconnaissez-vous?...

Haletante, pâle comme un cadavre, Marie était prête à défaillir. Mais elle se raidit contre sa faiblesse et se redressa:

—Biscarre! dit-elle, Biscarre l'assassin!

L'homme frappa du pied avec fureur.

—Oui, Biscarre l'assassin. Ah! vous ne vous attendiez pas à le revoir, n'est-il pas vrai? Vous le croyiez bien rivé à la chaîne du bagne!... bien courbé sous le bâton des gardes chiourmes! et vous vous demandez comment Biscarre n'est pas mort de rage et de désespoir... Eh bien! non! ma belle, Biscarre n'est pas mort... il est là, devant vous, vivant, bien vivant... comme un démon sorti de l'enfer... et vous allez compter avec lui, Marie de Mauvillers!

Cette fois, Marie ne tremblait plus.

Debout, la lèvre contractée par une expression de sanglant mépris, elle étendit le bras vers la porte:

—Sortez d'ici, misérable! proféra-t-elle.

Lui, répondit par un éclat de rire.

—En vérité! Ah! vous me chassez!... Cela serait grotesque, si ce n'était terrible!... Vous me montrez la porte comme à un laquais... et de fait, que suis-je? Vous l'avez dit, un misérable! moins qu'un laquais, je suis un forçat.... Eh bien! le forçat est venu pour parler à la fille du comte de Mauvillers... et vous l'entendrez.

La physionomie de Biscarre était épouvantable de haine et de fureur concentrée.

Marie fit un pas en arrière, et portant les mains à son front, comme si elle eût craint que la folie n'eût tout à coup envahi son cerveau, elle cria:

—Bertrade! Jacques! à moi!...

Le forçat, la tête haute, les bras croisés sur sa poitrine, la regardait de ses yeux étincelants.

Jamais figure humaine ne réalisa plus complètement le type bestial des fauves.

Biscarre avait du loup le crâne gros, oblong. La mâchoire s'avançait comme si elle eût été prête à mordre; le front bas s'écrasait sur les yeux petits et aux prunelles jaunâtres.

Et, en ce moment, le visage, illuminé pour ainsi dire par un rayon infernal, résumait toutes les passions de l'animal furieux.

Saisie par une indicible épouvante, Marie cria encore une fois: Bertrade! Jacques!...

—Ni Bertrade ni Jacques ne viendront! dit froidement le forçat.

—Que voulez-vous dire?

—Bertrade est en mon pouvoir.... Quant à Jacques...

—Jacques?

—Oui, Jacques, votre amant, honnête fille des Mauvillers, Jacques, le père de l'enfant qui est là et dont nous allons parler tout à l'heure, Jacques n'entendra pas votre voix qui crie à l'aide... car Jacques est mort.

—Mort!... C'est faux!

—C'est vrai!... Je l'ai tué!

Les yeux de Marie s'ouvrirent démesurément; un flot de sang monta à sa gorge.

—Vous l'avez... tué! murmura-t-elle dans une sorte de râle. Non! c'est impossible!

—N'avez-vous pas entendu, tout à l'heure?... Tenez, voici l'arme qui a tué votre amant. Vous pouvez toucher le canon de fer, il n'a pas encore eu le temps de refroidir.

Ces paroles atroces sifflaient entre ses dents serrées.

C'était l'ironie féroce dans toute sa hideur.

Marie s'était laissé tomber sur les genoux; elle ne pleurait pas. Une angoisse effrayante tenaillait son cœur.

—Je l'ai tué, répéta Biscarre, parce qu'il s'est trouvé sur mon chemin. Aujourd'hui, comme autrefois, je croyais que le bourreau aurait accompli ma tâche en le frappant; il s'était évadé, sans doute, et l'amant dévoué était accouru vers sa maîtresse pour lui apporter la bonne nouvelle.... Heureusement, j'étais là!... et Jacques est mort!

—Mon Dieu! prenez pitié de moi! dit Marie, qui, de ses ongles, meurtrissait sa poitrine.

Tout à coup, elle se redressa, et regardant Biscarre en face:

—Eh bien! assassin! s'écria-t-elle, achève ton œuvre... frappe-moi! maintenant.

—Vous tuer! moi! Ah! tonnerre! vous ne me connaissez pas.... Oui, j'ai tué votre amant... mais vous, Marie de Mauvillers, ce n'est pas par le meurtre que je me vengerai de vous...

—Vous venger! vous parlez de vengeance!... Mais pourquoi?... que vous ai-je fait?...

—Ce qu'elle m'a fait! cria le forçat. Elle le demande!... Attendez, Marie, vous avez oublié... mais moi, je me souviens... et puisqu'il faut aider votre mémoire... je vais vous satisfaire....

La mère, terrifiée, avait pris son enfant dans ses bras et maintenant elle le berçait avec le geste inconscient d'une folle...

—Il y a de cela cinq ans, Marie de Mauvillers.... Biscarre était garde-chasse, au service de M. le comte de Mauvillers... on lui avait jeté un morceau de pain, par pitié... car on ne lui devait rien.... Qu'était-ce après tout que Biscarre?... un bâtard, moins encore, un enfant trouvé... Un jour, un passant l'avait ramassé sur la route, où il geignait dans un fossé... Ce fut un crime... car il eût mieux valu que l'enfant crevât comme un chien....

Le forçat s'interrompit, et, de son poing levé, sembla menacer le ciel.

—J'avais été élevé je ne sais où, je ne sais comment, toujours par aumône. Un instant, triple fou! j'avais eu la pensée, n'étant rien, de me faire quelque chose. Oui, en vérité, j'ai travaillé, j'ai appris, et quand j'allais à la ville je me disais: qui sait? peut-être ta place est-elle marquée d'avance au milieu de tous ces hommes qui passent sans même te jeter un regard? Oh! l'envie! épouvantable passion qui étreint l'âme et la ronge, qui fait résonner sans cesse à notre oreille un glas sinistre, qui étale devant vos yeux des mirages éblouissants et toujours effacés!... Je ne sais devant qui, un jour, je me laissai entraîner à parler de mes rêves d'avenir. Ah! quel éclat de rire! Toi! Biscarre! le mendiant, le misérable!... On me railla, moi! on m'insulta! Oh! de ce jour-là, une haine implacable m'envahit tout entier, et c'était cette haine qui me soutenait; car sans ce but nouveau, sans cette vengeance éclatante qu'il me fallait tirer de ces hommes qui me méprisaient et qui riaient en me regardant, je me serais tué. M. de Mauvillers avait besoin d'un mendiant qui consentit à garder ses porcs. On daigna me désigner à lui, il daigna me choisir. Du moins, je ne connaissais plus la faim, vivant et mangeant avec les bêtes immondes. Je grandis. J'étais devenu, dans mes heures de loisir, un habile jardinier. M. de Mauvillers me confia quelques plates-bandes. Enfin, je fus garde-chasse. C'était un métier de valet, vous l'avez dit. Peu m'importait; M. de Mauvillers m'eût offert d'être son cocher que j'eusse accepté. Savez-vous pourquoi, Marie?

Elle ne tourna pas la tête vers lui.

Un frémissement agita le corps de Biscarre; il continua:

—Je ne voulais plus quitter la maison de M. de Mauvillers; j'étais prêt à subir tous les dédains, à me courber sous toutes les humiliations, parce que....

Il s'arrêta encore, puis avec un geste violent:

—Parce que, s'écria-t-il, moi, Biscarre, le porcher, le mendiant, le bâtard... je vous aimais, vous, fille du comte de Mauvillers....

Une exclamation de dégoût s'échappa des lèvres de Marie, qui cacha son front dans ses mains...

—Ah! taisez-vous!... continua Biscarre dont les dents grinçaient avec un bruit sinistre.

Puis, après un silence:

—D'ailleurs, que m'importe! insultez-moi... je tiens ma revanche, et je vous jure qu'elle sera terrible, si terrible que dans vos rêves vous n'avez jamais pu la prévoir.... Oui, je vous aimais.... Quand vous passiez, je me tapissais dans les broussailles... et je vous regardais!... j'étais fou.... Comment, alors que dans nos bois vous alliez sans défiance, ne me suis-je pas jeté sur vous, pour vous emporter dans mon repaire?... je n'en sais rien! et pourtant mes tempes bourdonnaient, un voile rouge couvrait mes yeux.... Quand vous n'étiez plus là, je me tordais sur le sable que je mordais!... Oh! que cette torture fut longue! Je luttais... je voulais m'enfuir. Mais une force plus puissante que ma volonté me retenait auprès de vous.... Un jour enfin, je sentis que je n'avais plus le courage de combattre... Marie de Mauvillers, avez-vous oublié ce qui s'est passé ce jour-là?

Elle ne répondit pas. Seulement son regard se croisa avec celui du forçat.

—Vous étiez entrée dans un des pavillons de chasse... votre sœur Mathilde s'était éloignée... moi, stupide, j'errais autour de la maison... en songeant à vous... en répétant: Je l'aime! je l'aime!... Tout à coup, j'entendis du bruit... je me blottis dans un fourré... et alors!... terre et ciel!... comment la foudre ne m'a-t-elle pas écrasé?... Un homme sortait du pavillon... et cet homme, c'était Jacques, oui, Jacques de Costebelle qui trahissait son bienfaiteur, qui lui volait sa fille.... Jacques enfin, votre amant.... Je m'appuyai à un arbre pour ne pas tomber... j'étais sans armes!... Ah! comme je l'aurais tué avec joie.... Il s'était déjà éloigné que j'étais encore là, haletant, l'écume aux lèvres.... Alors je ne sais quelle force m'a poussé... je suis entré dans le pavillon.... Vous étiez là, agenouillée, priant... pour lui? n'est-ce pas!... Que vous ai-je dit?... est-ce que je m'en souviens?... c'était toute ma vie, c'était mon sang, mon âme que je mettais à vos pieds!... Et vous!... oh! cela est horrible!... on eût dit, sur ma parole, que vous ne m'aviez pas compris... Vous vous êtes relevée... lentement... puis de la main me désignant la porte: «Sortez!» avez-vous dit. Oui, «sortez!» comme tout à l'heure. Mais alors, j'étais votre esclave.... Sur un mot tombé de vos lèvres, j'aurais volé... j'aurais tué!... Aujourd'hui, c'est autre chose... j'étais le valet... vous étiez la maîtresse. Aujourd'hui, je suis le maître et vous êtes l'esclave!...

La fureur de cet homme était grandiose, à force d'excès. Et réellement, en le regardant, on se fût demandé si ces yeux étincelants, si cette bouche écumante étaient les yeux et les lèvres d'un martyr ou bien d'un fou.

C'était—comme il l'avait rappelé tout à l'heure—un bâtard inconnu, un enfant ramassé au bord d'une route.... D'où venait-il donc? et quel sang coulait dans ses veines?...

Parfois l'horrible confine au sublime. Biscarre, hideux de colère, était presque beau.

Écrasée sous cet anathème, sous ces imprécations qui sortaient de sa poitrine comme un rugissement, Marie était retombée... serrant plus convulsivement contre sa poitrine le petit enfant qui vagissait douloureusement.

Biscarre s'était tu.

Elle n'eut pas le courage de l'interroger.

Elle attendait.

Lui, pressa sur son front ses deux mains qui se mouillèrent d'une sueur brûlante. Il avait peine à se tenir debout: la congestion des violences emplissait les lobes de son cerveau et troublait ses yeux.

—Oui, je me souviens, reprit-il enfin, j'ai prié, j'ai supplié, je me suis traîné à vos genoux en vous criant: Ne me chassez pas! je me cacherai... je me tairai... et ma seule joie sera de vous voir passer.... Mais, implacable, vous êtes restée sourde à mes supplications... et le soir même, j'étais chassé de la maison de M. de Mauvillers. Oh! cette fois, je n'eus plus qu'une pensée... me venger.... Comment! voilà ce que je cherchais....

Il eut un rire méchant

—Je n'avais pas alors l'expérience acquise depuis. Je ne savais pas encore ce que c'est de souffrir et de faire souffrir.... Mon plan se résumait en un seul mot: Tuer! tuer votre amant, vous tuer et me tuer après! Mais dès la première tentative, vous savez ce qui se passa.... Je m'étais glissé dans la maison pour surprendre Jacques de Costebelle et le frapper au cœur... Je fus surpris par les valets. Je m'étais introduit par effraction... c'était la nuit, j'étais armé... je fus accusé de tentative de vol avec circonstance aggravante. Pourquoi ne me condamna-t-on pas à mort[1]? Je n'en sais rien... ou plutôt je dus cette indulgence de mes juges, de M. de Mauvillers lui-même, au repentir que je manifestai devant le tribunal. Ils y crurent, les naïfs! et je fus envoyé au bagne.... Maintenant, je me suis évadé, et je viens régler mes comptes.... J'ai commencé... Le hasard m'a servi... j'ai tué M. de Costebelle.... A votre tour!

Marie se redressa sous cette menace directe: puisque c'était la mort, inévitable, horrible, du moins elle voulait tomber sans lâcheté...

—Tuez-moi donc! dit-elle froidement

Biscarre la regarda en ricanant. Puis, désignant de la main son enfant qu'elle pressait dans ses bras:

—Eh bien! et l'enfant? fit-il.

Marie poussa un cri de suprême angoisse.

—Ah! vous n'oseriez pas toucher à cette pauvre créature!

—En vérité!... et pourquoi donc?...

—Non! c'est impossible! criait la pauvre femme, tordue dans les convulsions de l'épouvante. C'est moi seule qu'il faut frapper!... c'est moi seule qui vous ai insulté, qui vous ai chassé!... Pourquoi puniriez-vous le petit être pour la faute de sa mère?

—Bah! n'est-il pas le fils de Jacques?

Maintenant elle se traînait aux pieds du misérable:

—Frappez-moi! je vous en supplie! mais épargnez mon enfant.... Ma vie pour racheter la sienne....

Biscarre, au lieu de répondre, étendit les bras comme pour se saisir de l'enfant...

Marie bondit en arrière, lui faisant un rempart de son corps. Biscarre s'arrêta. Il y eut un moment d'horrible silence. De ses yeux hagards, la pauvre femme interrogeait ce visage sur lequel apparaissaient les sentiments de la haine et de la fureur....

Tout à coup, Biscarre dit:

—Je ne le tuerai pas!...

—Ah! Dieu soit béni! cria Marie.

—Ne vous hâtez pas de vous réjouir.... Car peut-être, plus tard, pleurerez-vous, en comprenant qu'il vaudrait mieux pour lui qu'il fût mort!...

—Que voulez-vous dire? s'écria Marie.

—En vérité! avez-vous donc cru à un rayon de pitié?... Ce serait trop de folie!... Avez-vous eu pitié de moi jadis?...

—Mais... que prétendez-vous donc? fit Marie, saisie par un nouvel effroi...

—Je vais vous le dire, Marie de Mauvillers.... Je sais que la mort n'est pas une vengeance suffisante.... Vous, morte!... l'enfant mort! après? que me resterait-il, à moi? Je veux, au contraire, pendant longtemps, bien longtemps, savourer cette vengeance qui est aujourd'hui et qui sera dans l'avenir toute ma vie!...

—Mais parlez! parlez donc!

—Je ne vous tuerai pas, dit Biscarre. Je ne tuerai pas votre enfant.... Seulement...

—Achevez!

—Marie de Mauvillers, reprit lentement Biscarre, avez-vous parfois entendu parler de ces hommes qui, déclarant la guerre à l'humanité tout entière, se mettent en lutte ouverte contre la société?... Ils marchent dans la vie comme à travers un champ de bataille, frappant à la fois amis et ennemis, dépouillant les vivants et les morts.... Ces hommes-là, le peuple les appelle des bandits... Un jour vient où devant eux se dresse la loi, qui les saisit à la gorge et les jette à l'échafaud des voleurs et des assassins...

—Mon Dieu! mon Dieu! quelle est cette épouvantable raillerie? râlait Marie, qui se sentait devenir folle.

—Ces hommes-là, continuait Biscarre, sont attachés au pilori d'infamie... leur nom reste en exécration dans la mémoire des mères... et n'est prononcé qu'avec terreur!... Eh bien! femme qui m'as insulté, qui m'as couvert de ton mépris, femme qui m'as poussé au mal, au bagne, voilà ce que je ferai de ton enfant...

—Taisez-vous! par grâce!...

—Non, point de grâce! Oui, ton enfant vivra, Marie de Mauvillers, mais loin de toi... tu ignoreras où il est... et pendant de longues années tu pleureras en prononçant tout bas son nom.... Mais un jour la rumeur indignée de la foule portera jusqu'à toi, dans une clameur furieuse, le nom d'un misérable qu'attendra le bourreau. On te racontera la liste de ses forfaits, que tu écouteras en frissonnant.... Alors, moi, Biscarre, je paraîtrai devant toi, et je te dirai: Marie de Mauvillers, sais-tu quel est cet homme dont la tête va rouler tout à l'heure sur l'échafaud?... cet homme, c'est ton fils!...

—Pitié! Vous ne ferez pas cela!...

—Voilà ma vengeance.... Cet enfant m'appartient désormais... c'est moi qui le guiderai sur la route infâme!... Ne cherchez pas à combattre ma résolution, elle est irrévocable.... Le fils de Jacques de Costebelle et de Marie de Mauvillers est condamné... tu ne le reverras plus qu'une fois... en place de Grève!...

Devant cette monstrueuse évocation, Marie était restée foudroyée.

Biscarre s'approcha.

Par un dernier effort, elle serra contre sa poitrine l'enfant qui dormait... mais elle vit les mains du misérable s'avancer vers elle, saisir la pauvre créature....

Elle poussa un cri terrible, et mourante, morte peut-être, elle tomba à la renverse sur le sol de la masure.

Biscarre enveloppa l'enfant dans son manteau.

—Au revoir! Marie, s'écria-t-il.

Et il s'élança dehors.

Diouloufait l'attendait: la vieille Bertrade gisait inanimée.

—En route! fit Biscarre.

Les deux hommes s'enfoncèrent dans la nuit...

Les loups de Paris: Le club des morts

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