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MATHILDE ET MARIE

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Table des matières

La maison à laquelle les deux forçats venaient de faire allusion se trouvait sur le coteau qui s'appuyait, à l'orient, sur la masse des rocs d'Ollioules.

A vrai dire, cette bâtisse avait droit tout au plus au titre de chaumière, avec ses murs de pisé, son toit de paille, ses deux fenêtres étroites et incommodes, sa porte branlante et mal fermée.

Et cependant c'était là que s'était réfugiée la fille cadette de M. de Mauvillers, de celui-là même qui venait de condamner à mort Jacques de Costebelle.

Triste roman, que celui-là, et qui peut se résumer en quelques lignes.

M. de Mauvillers était resté veuf de bonne heure avec ses deux filles, Mathilde et Marie.

Absorbé par les soins de son ambition, il s'était peu préoccupé de l'éducation de ses enfants, estimant que le plus important serait, au jour venu, de les marier dans d'honorables conditions, ce qui signifiait, dans l'esprit de M. de Mauvillers, qu'elles devaient former des alliances utiles à ses propres projets.

M. de Mauvillers rêvait le ministère, la pairie. Ses filles pouvaient l'aider à atteindre ce but. Cœur sec et intelligence quasi brutale, il n'avait jamais éprouvé le moindre sentiment d'affection vraie, et ses ennemis disaient à voix basse—car il était redouté—que sa femme était morte de chagrin.

Il est des âmes aimantes que l'égoïsme tue plus sûrement que le poison.

Mathilde et Marie s'étaient donc trouvées livrées à elles-mêmes. Leurs caractères s'étaient développés sans direction effective, sans contrôle efficace.

M. de Mauvillers n'exigeait d'elles que le respect. Les banalités de l'amour paternel restaient pour lui lettre morte, temps perdu, vaines démonstrations. Qu'on se levât lorsqu'il entrait, qu'on s'inclinât sans un mot devant ses volontés quelles qu'elles fussent, rien de plus. Il se croyait père parce qu'il dominait.

Ainsi que nous l'avons dit, il avait contracté vis-à-vis de M. de Costebelle les plus grandes obligations. Sa fortune personnelle, absolument compromise pendant l'émigration, avait été rétablie grâce au concours du père de Jacques, homme honnête et bon dans toute l'acception du mot, et qui avait conservé jusqu'à sa mort cette illusion que M. de Mauvillers était une âme stoïque et digne des temps anciens. Il n'avait pas deviné que la fidélité gardée par M. de Mauvillers à la cause des Bourbons, même lorsque l'empire offrait carrière à son ambition, n'avait pour motif réel que la prescience intuitive de la chute prochaine du colosse. Il est des temps où l'attente et la patience sont des habiletés.

M. de Costebelle laissait en mourant deux fils: l'un, Frédéric, officier dans l'armée royale, et Jacques, âme d'artiste, vivace, exaltée, et qui ne semblait pétrie que pour la lutte.

Jacques inquiétait M. de Costebelle. En vain il avait tenté de régulariser cette fougue, d'endiguer cette énergie. Mais sa sévérité paternelle se brisait bientôt, devant les brillantes qualités de ce cœur chaud et enthousiaste.

Cependant, à son lit de mort, M. de Costebelle avait supplié son ami de Mauvillers de veiller sur ce fils bien-aimé. Il espérait que la froide raison du magistrat parviendrait à calmer cette excitabilité presque maladive.

M. de Mauvillers promit.

Et voici comment il tint sa promesse.

Reconnaissant à Jacques un véritable talent d'orateur, et comprenant que, bien dirigé, il lui serait possible de parvenir, soit par le barreau, soit par la magistrature, à de hautes destinées, M. de Mauvillers éprouva une jalousie haineuse, et ne tenta rien pour satisfaire aux vœux de son ami mort.

Jacques eut toute liberté de penser, d'agir, d'aller là où l'entraînerait son imagination.

Seulement, lorsque Jacques s'enthousiasma par les idées nouvelles, se réchauffa à cette lueur révolutionnaire qui semblait jaillir à nouveau du foyer de 89, M. de Mauvillers le mit à la porte.

On sait le reste.

Mais Jacques n'avait pas impunément passé vingt ans de son existence auprès des deux jeunes filles.

Mathilde était de caractère calme et froid. Non qu'à l'exemple de son père elle niât ou ignorât ce qu'étaient le beau et l'idéal. Mais elle avait hérité de sa mère la passivité, presque la défiance d'elle-même et des autres. Elle adorait sa sœur et se fût sacrifiée pour elle; mais elle renfermait ses sentiments dans son cœur, restant toujours affable, d'humeur égale et douce, réprimant, sans raisonner, bien entendu, tout élan, toute expansion.

Marie était tout autre: c'était l'enfant avec toutes ses naïvetés, ses joies sans motif ou ses petites colères mutines. Elle riait à la vie, à l'avenir comme si elle avait couru à une fête. Elle aimait à parler, à ouvrir son âme à toutes les effluves; tout lui était plaisir; sa charité gracieuse doublait le prix de l'aumône. Quand elle passait dans le pays, on disait: Voilà le soleil d'Ollioules!

Et c'était, en vérité, comme un rayonnement de joie, de bonté et de charme.

Que de fois, courant avec Jacques à travers les prairies ou les bois d'oliviers, elle avait écouté avec ravissement la voix des oiseaux, chantant leurs hymnes de joie! Alors elle le prenait par la main et lui disait:

—Tout est beau! tout est bon!

L'amour vint. Tout autre que M. de Mauvillers l'eût prévu. Lui, ne vit rien. Il chassa le fils de son bienfaiteur, comme il eût fait d'un laquais. Marie voulut prendre sa défense, M. de Mauvillers l'arrêta d'un seul mot. Il voulait, cela devait suffire.

Ces rigidités irraisonnées amènent la révolte. Marie feignit de se soumettre. Et la contrainte qu'elle s'imposa ne fit que développer le sentiment qui germait encore ignoré en elle.

Sa sœur comprit, mais trop tard. Mathilde pouvait-elle prévoir la faute, ignorant elle-même ce qu'était l'amour...?

Un jour, Marie lui avoua qu'elle aimait Jacques, et qu'elle était aimée de lui. Elle ne se repentait pas. Jacques était si bon, si honnête, si aimant! Pourquoi ne l'aimerait-elle pas? Il était certain que le mariage aurait lieu. Il suffisait que M. de Mauvillers se réconciliât avec lui. Et, le temps marchait; et Jacques, fou d'amour, fou de jeunesse, ne sentait pas qu'il marchait à sa perte. Ses idées, ses convictions, étaient pour lui une religion; il était convaincu du triomphe prochain. Tout lui semblait beau, lumineux, rayonnant.

Vint le réveil....

Jacques était arrêté, Marie allait devenir mère.

M. de Mauvillers était implacable. Le fils du marquis de Costebelle n'était plus qu'un ennemi politique. Il était condamné d'avance.

Mathilde fut admirable de dévouement. Elle eut le courage d'aller avouer la vérité à une vieille parente qui habitait Aix, la suppliant de l'aider à sauver la coupable. Madame de Sorlis, c'était son nom, y consentit, et, grâce à un stratagème, Marie put aller passer chez elle les derniers mois de sa grossesse.

M. de Mauvillers avait en vérité bien d'autres soucis en tête.

Puis voilà que Marie avait appris les inquiétantes péripéties de l'instruction dirigée contre Jacques. Jusqu'alors elle avait eu confiance. M. de Mauvillers ne pouvait oublier le passé à ce point: le fils du marquis devait lui être sacré!

Pauvre enfant, qui ne croyait pas au mal et qui s'était perdue avec l'insouciance des rêveurs!

Enfin, le jour se fit dans son cerveau. Une vision horrible apparut devant ses yeux... le tribunal, la condamnation... l'échafaud!

Alors, folle de terreur, s'arrachant aux bras de madame de Sorlis, qui voulait en vain la retenir, elle était revenue vers sa sœur, en lui criant:

—Sauve-nous!

Et maintenant, dans cette soirée sinistre où l'arrêt de mort tombait des lèvres de M. de Mauvillers, elle était là, dans cette masure, étendue sans force sur son lit de douleur, à demi folle, attendant sa sœur, qui était allée à Toulon pour connaître l'issue du procès.... Sa sœur, qui savait tout et qui ne revenait pas....

La femme qui la soignait était sa nourrice.

Nous le savons; on l'appelait Bertrade.

La pauvre femme pleurait sur celle qu'elle appelait encore sa fille, comme au temps où elle la nourrissait de son lait.

Elle regardait ce visage pâli, ces yeux creusés par les larmes et la souffrance, et elle berçait machinalement le petit enfant qui dormait dans son berceau.

Puis, il y avait plusieurs nuits qu'elle veillait, elle s'était assoupie....

Marie était restée seule dans ce silence, seule avec ses épouvantables angoisses. Ses lèvres répétaient incessamment un nom:

—Jacques! Jacques!...

Ses yeux ne quittaient pas l'horloge de bois suspendue au mur et dont le balancier tintait monotone derrière les poids de fer.

Il était minuit et demi....

Tout à coup Marie tressaillit, et d'un effort elle se dressa à demi, se soutenant sur ses poignets. Etait-ce donc une illusion? Elle croyait avoir entendu du bruit au dehors!...

Si c'était Mathilde!...

Elle revenait. Tout était fini. Etait-il condamné? Qui sait? Peut-être M. de Mauvillers...

—Bertrade! Bertrade! cria-t-elle.

La nourrice se réveilla en sursaut.

—A la porte... cours... vite.... Quelqu'un!...

Bertrade se hâta d'obéir.... La porte tourna en grinçant sur ses gonds rouillés....

Et deux cris retentirent:

—Marie!

—Jacques!...

Et la pauvre enfant, folle de joie, éperdue, à demi mourante, se laissa tomber dans les bras de celui qu'elle croyait à jamais perdu...

Les loups de Paris: Le club des morts

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