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BISCARRE ET DIOULOUFAIT

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Table des matières

Les gorges d'Ollioules constituent en réalité une des plus admirables curiosités naturelles du midi de la France, si riche en merveilles.

Entre le petit bourg du Bausset et la ville d'Ollioules, le voyageur rencontre tout à coup de gigantesques roches qui s'élèvent à pic à une hauteur énorme. Plus de ceps chargés de raisins, plus d'oliviers, plus de verdure. La pierre âpre, noirâtre, brune, se dresse comme une muraille infranchissable. Les anfractuosités de la roche se déchiquètent en dentelures bizarres, et quand le soleil couchant rougit le ciel, on dirait une frange bordée d'or rutilant.

Par quel cataclysme cette masse colossale s'est-elle fendue dans toute sa hauteur, comme sous le choc d'une hache géante? Dans quelle convulsion géologique s'est opéré ce déchirement, qui ne laisse entre les deux murailles lisses qu'un étroit défilé, dans lequel parfois trois hommes ne pourraient passer de front?

A l'époque où se passe cette première partie de notre récit, il était rare que quelque voyageur s'aventurât de ce côté. Aussi les gorges d'Ollioules avaient-elles un renom sinistre. Plus d'un malfaiteur trouvait un refuge dans les détours inexplorés de ce val d'enfer, comme on l'appelait encore dans le pays.

Le lent travail de la nature avait creusé à travers les blocs des galeries étroites, multiples, s'entre-croisant et dont les diverses issues étaient souvent inconnues. La nuit, cette masse semblait cacher dans ses flancs tout un monde fantastique.

Cette nuit-là surtout.

Deux heures s'étaient écoulées depuis le moment où Lamalou avait aidé à l'évasion de Jacques.

Le défilé d'Ollioules, plongé dans les ténèbres profondes, était muet et désert. Le vent sifflait, âpre et froid, et les saxifrages, secouant dans l'ombre leurs broussailles dénudées, ressemblaient à des gnomes bizarrement accroupis sur la roche.

Tout à coup (il était environ une heure du matin), un bruit sourd, régulier, éveilla les échos des gorges.

C'était le pas d'un homme, pas vigoureux, accentué.

Qui donc pouvait s'aventurer à cette heure dans ce lieu maudit?

Celui qui marchait semblait se hâter. Évidemment il connaissait admirablement les localités; car, après avoir franchi le premier passage, il se dirigea nettement vers la paroi de gauche des rochers. Là, il se baissa et toucha la pierre de ses mains.

Sans doute ses doigts rencontrèrent ce qu'ils cherchaient, car il laissa échapper une exclamation satisfaite; puis il commença à gravir lentement le roc. Il s'était engagé sur une sorte de sentier à peine tracé et qu'il eût été difficile de reconnaître, même à la lumière du jour.

Il montait, s'accrochant, pour aider son ascension, aux troncs chauves des pins.

Au bout de cinq minutes, il s'arrêta.

Il se trouvait environ à une hauteur de dix mètres. Ses mains palpèrent encore une fois la pierre avec précaution. Puis il se courba, et de ses lèvres s'échappa un son singulier.

C'était une sorte d'ululation sourde et rauque à la fois, comme le hurlement contenu d'une bête fauve.

Quelques instants s'écoulèrent, puis le même cri répondit.

Cette fois, il semblait partir des profondeurs de la terre.

Deux fois, ce cri—un signal, à n'en pas douter—fut échangé entre l'arrivant et un personnage invisible.

Puis sur la crête du roc une ombre parut: elle descendit et s'approcha de l'autre.

—Qui vive? demanda une voix.

—Loup, répondit-on.

—Est-ce toi, Biscarre?

—C'est moi.

Les deux hommes se réunirent, puis disparurent bientôt dans une anfractuosité en forme d'entonnoir. Là, se soutenant à la force des poignets, ils se laissèrent tomber dans une excavation en forme de caveau, et dans laquelle brûlait un feu de broussailles, dont la fumée était entraînée par un courant souterrain.

—Diouloufait, allume la lanterne, dit l'arrivant qui avait répondu au nom de Biscarre.

L'autre obéit.

La physionomie de ces deux hommes, bien que différente, n'en portait pas moins un même cachet effrayant.

Et sans même regarder leur visage, qui se fût trouvé subitement en face d'eux n'eût pu réprimer un frisson.

Car tous deux portaient le costume des forçats.

Biscarre était grand, bien proportionné, et même, sous les ignobles vêtements qui le couvraient, on devinait je ne sais quelle élégance native; ses mains sèches et nerveuses n'appartenaient point à un paysan.

Il avait jeté à terre le bonnet vert qui cachait ses cheveux ras, de couleur rousse, et, à la lueur du foyer qui crépitait, son masque s'accentuait, avec ses traits fermes et anguleux, sa bouche aux lèvres épaisses et sensuelles.

Le front était bas, les mâchoires proéminaient en avant: on eût dit la tête d'un fauve, d'un loup. Les dents blanches et aiguës apparaissaient dans un rictus ironique: les yeux, à pupilles jaunes et mobiles, complétaient la ressemblance de l'homme et de l'animal.

Quant à Diouloufait, un seul mot peut suffire pour le dépeindre. C'était un colosse. Tout en lui était énorme. Les traits boursouflés n'avaient point pour ainsi dire de galbe propre: le nez épaté, les gros yeux, la bouche lippue et largement fendue, les oreilles rouges et s'écartant du crâne en conques disproportionnées, tout contribuait à donner, au premier coup d'œil, la sensation de la brutalité poussée à ses dernières limites.

—Tonnerre! s'écria Diouloufait, je ne t'attendais plus.... Voilà trois heures que tu devrais être ici....

A cette apostrophe, un éclair de colère passa dans les yeux de Biscarre. Cependant, il se contint:

—Une fois pour toutes, souviens-toi, Diouloufait, que tu es fait pour m'attendre et pour m'obéir...

—Je le sais bien, fit le géant; mais enfin... il y a des bornes...

—Non. Il n'y a d'autres bornes que celles que fixe ma volonté.

L'accent de Biscarre était empreint d'une autorité si cassante, que jamais despote n'eût mieux rendu les nuances de l'absolutisme le plus complet.

Et sans doute, le forçat avait le droit de parler ainsi, car après l'avoir considéré un instant comme s'il avait senti en lui quelques velléités de révolte, Diouloufait baissa les yeux et se tut.

—Je n'ai pu m'évader qu'à minuit, reprit Biscarre, condescendant toutefois à donner cette explication. Nul ne s'est encore aperçu de ma disparition, car le canon n'a pas encore retenti; donc la nuit est à moi.

—Oh! le canon, fit Diouloufait en riant bruyamment, ils l'ont bien tiré pour moi; je n'en suis pas moins bien tranquille ici.

—A qui le dois-tu?

—Parbleu! cette bêtise! à toi. Oh! tu es un malin, ça ne se discute pas, et les autres ont bien su ce qu'ils faisaient quand ils t'ont nommé chef des Loups. Tu as tout pour toi: de l'éducation, une tenue d'un chic parfait, et puis cette poigne....

En considérant les énormes biceps de Diouloufait, on ne pouvait que s'étonner de ces derniers mots. Etait-il possible que ce colosse pût éprouver de l'admiration pour la force de Biscarre, dont l'apparence, quoique assez vigoureuse, ne pouvait être comparée à la sienne?

Cependant, l'accent de Diouloufait ne prêtait à aucune interprétation; il constatait franchement, sérieusement: c'était un simple hommage rendu à la vérité.

Quoi qu'il en fût, Biscarre interrompit brusquement son complice:

—Assez! fit-il, nous ne sommes pas ici pour énumérer nos qualités respectives. Demain, au point du jour, il faut que nous ayons quitté la France.

—Bah! Alors mettons-nous en route tout de suite.

—Non, car avant tout j'ai une petite affaire à terminer.

Et il ricana méchamment.

Aucune expression ne saurait rendre l'expression de basse et féroce cruauté qui crispait le masque de cet homme.

—Une affaire? En suis-je?

—Oui.

—Et il faudra....

Diouloufait fit un geste significatif.

—Je ne le crois pas.

—Et à gagner?

—Rien aujourd'hui, mais plus tard, oh! plus tard, ajouta-t-il, tout à gagner!

Il rit encore.

—Alors une vraie opération? Ça me va!

—Maintenant, réponds-moi: As-tu trouvé ce que je t'ai ordonné de chercher?

—Quoi? la petite dame? Oh! ça n'a pas été bien malin.

—Elle est près d'ici?

—A cent mètres. La première petite maison au sortir de la gorge.

—Maison isolée?

—On y tuerait quelqu'un en plein jour.

—Bien. Avec qui est cette dame?

—Avec la Bertrade, une vieille paysanne.

—Oui, je la connais; c'est bon. Personne de plus?

—Elle a reçu une visite dans la journée.

—Une autre dame?

—Oui.

—Regarde-moi en face, dit Biscarre.

—Tiens! pourquoi donc? fit Diouloufait avec son rire niais. J'aime pas regarder tes yeux, ils me font peur.

—C'est pour cela. Maintenant, réponds-moi: Tu n'as pas cherché à savoir quelles sont ces femmes?

—Oh! ça! je peux le jurer!

—C'est bien. Qu'as-tu remarqué?

—Dame, que ce sont des femmes de la haute, voilà tout.

—As-tu fait quelque supposition au sujet de leur séjour dans cette maison isolée?

—Ah! ça! oui, j'en ai fait une.

—Laquelle?

—Ce n'est pas la peine de me regarder comme si tu allais me poignarder! Tu m'interroges, je réponds, et bien franchement encore.... J'ai supposé... on a le droit de supposer... que la plus jeune avait eu un malheur, et que, pour cacher les suites du malheur...

—Assez! dit encore Biscarre.

Il était livide.

—Ecoute-moi: Si jamais un mot sort de ta bouche, si jamais tu commets une sottise quelconque, si tu fais, même en face de moi, une allusion à cette aventure, aussi vrai que je m'appelle Biscarre, roi des Loups, tu es un homme mort!

Le géant parut mal à l'aise. Il paraît que cette menace avait un sens précis.

—C'est convenu, balbutia-t-il, on se taira.

—J'y compte. Maintenant suis-moi, et en route.

—Où allons-nous?

—A la maison isolée.

—Bah! l'affaire, c'est ça?

—Pas de questions.

—Cependant, il faut que je sache ce que j'aurai à faire.

—Presque rien. Tu es sûr que la jeune dame est seule avec la paysanne?

—Oh! à cette heure-ci, tout ça dort; à moins que le mioche ne les tienne éveillées.

—A mon signal, tu te jetteras sur la vieille.

—Et qu'est-ce que je lui ferai? fit Diouloufait avec le mouvement de tordre le cou à un poulet.

—Tu l'empêcheras de crier, de remuer.

—Ça, c'est facile; mais faudra-t-il aller jusqu'au bout?

—Comme tu voudras.

—Bon.

—J'ai besoin de rester seul avec la femme, j'ai à lui parler sans témoins.

—Personne ne te gênera.

—Dans une heure, nous aurons atteint une baie dans laquelle un canot nous attend, et quand, à l'aube, le canon de la citadelle annoncera l'évasion de Biscarre, nous serons loin.

Un instant après, les deux hommes descendaient lentement la pente du roc et se dirigeaient du côté du Beausset.

Les loups de Paris: Le club des morts

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