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CHAPITRE III.

Table des matières

Un petit voyage qui durera longtemps.

Restée seule, Lhena ferma sa porte; elle ne voulait pas de témoins de sa douleur, quoiqu’elle ne doutât pas que toutes les mères ne prissent son parti. Donner son fils! Comment cette pensée peut-elle naître dans l’esprit d’une femme?

Lhena se promenait de long en large, considérait sa demeure: sans doute, beaucoup de choses manquaient à l’aisance du ménage, mais n’avait-elle pas des bras? Encore quelques années de patience, et ce fils bien-aimé travaillerait; il avait de bonnes protections. Évidemment ses craintes sur l’avenir sont exagérées: c’est un manque de confiance dans la Providence. «Je garderai mon fils, pensait Lhena, je m’entendrai appeler du doux nom de mère.»

Ranimée par la résolution qu’elle venait de prendre, Lhena sortit pour mieux respirer. A peine avait-elle fait cent pas, qu’elle aperçut Franz soutenu par deux de ses camarades.

LHENA.

Qu’est-il arrivé ?

FRANZ.

Pas grand’chose, mère.

LES CAMARADES.

Il a voulu mettre à la raison ce petit chevreau blanc qui s’échappe toujours, vous savez! Alors il a grimpé trop vite sur le roc, son pied a glissé, et, sans nous, Franz roulait jusqu’au bas.»

Lhena tressaillit. Cet accident n’était-il pas une lumière, un avertissement du ciel?...

Rien ne pèse tant qu’un secret. Il paraît que c’est vrai à Schwytz comme ailleurs. Après une nuit d’insomnie, Lhena alla chez une voisine qui l’avait vue naître et dont l’intérêt et les conseils lui étaient venus en aide plus d’une fois.

DOROTHÉE.

Quitter sa mère et son pays! Devenir un monsieur! ça n’est pas une idée de chez nous, Lhena, et ça ne me plaît guère. D’un autre côté, on voit des histoires si étonnantes dans ce bas monde! Et puis, ne devient pas riche qui veut! Et on a beau dire, c’est fièrement commode d’avoir des écus dans son armoire et dans sa poche, de bâtir un châlet, d’acheter du pré et d’augmenter son troupeau. Dame! ma chère fille, il y a du pour et du contre comme dans toutes les batailles de la vie.... tu seras bien triste sans ce garçon-là. Mais moi, suis-je plus heureuse? Que me reste-t-il après un bonheur que tout le monde enviait? Deux tombes! Vois-tu, ma pauvre Lhena, on n’y voit goutte aux événements de la vie, et je n’ose te dire ni oui ni non. Faut examiner de près l’affaire; et puis, en fin de compte, nos enfants sont toujours nos enfants!»

Il a voulu mettre à la raison le petit chevreau blanc.


Lhena quitta sa voisine sans éprouver le moindre soulagement: son anxiété était la même. Elle trouva Franz déjà impatient de courir les chemins et d’aller voir les dames.

LHENA.

Franz, voudrais-tu voyager avec elles?

FRANZ.

Oh! mère, que je serais content!

LHENA.

Tu n’aurais pas de chagrin de me quitter?

FRANZ.

Mais, je reviendrais, bien sûr, et j’apporterais des petites pièces jaunes. Mme Saint-Victor en a beaucoup; si elle m’en donnait, mère, tu pourrais acheter les deux chevreaux de Hanz et la vache du vieux Heinrich. Nous serions riches, et tu ne te fatiguerais pas comme l’an passé.

LHENA.

Ne t’avise pas d’accepter, toujours, sans que j’aie dit: oui.

FRANZ.

Moi, partir sans ton consentement? Y penses-tu, mère? C’est vrai que j’aime à courir dans la montagne et que je voudrais être grand pour monter sur le Rigi et traverser la mer de glace: mais avant tout, je veux te rendre heureuse, et voir de belles couleurs sur tes joues.»

Lhena embrassait son fils en pleurant.

FRANZ.

Ne pleure pas, mère, je serai guéri demain.»

Effectivement, la blessure que s’était faite le petit garçon n’avait nulle gravité. Quelques jours plus tard, Lhena consentait à ce qu’il portât à Mme Saint-Victor un bouquet de serpolet dont le parfum plaisait à l’étrangère.

MADAME SAINT-VICTOR.

Franz, veux-tu venir à Lucerne avec nous?

FRANZ.

Oh! madame, je serais bien content; mais il faut que ma mère y consente.

MADAME SAINT-VICTOR.

Sans doute, mon petit ami: va lui demander la permission, et, si elle dit oui, nous partirons demain.»

Franz alla en toute hâte raconter ce que Mme Saint-Victor venait de lui dire.

«Pars,» dit Lhena d’une voix forte qui surprit l’enfant.

Il la regarda et, la voyant douce et calme, il lui témoigna gentiment la joie que cette permission lui causait.

Le soir même de ce jour, Mme Saint-Victor vint chez Lhena, elle y resta deux heures. Rien de la conversation des deux femmes ne transpira au dehors.

Le lendemain, dès la pointe du jour, Franz, habillé de neuf, embrassait sa mère, et sautait légèrement sur le siège de la voiture.

On partit: il se tint longtemps debout, envoyant des baisers à sa mère, et faisant des signes d’adieu avec son chapeau jusqu’au moment où, arrivé au détour de la route, il ne vit plus ni sa mère ni le châlet.


L'enfant du guide

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