Читать книгу La guerre pendant les vacances : récit d'un vieux soldat - Lemoine - Страница 6
ОглавлениеDÉCLARATION DE GUERRE
Quand les garçons sont restés seuls, ils se regardent un instant sans rien dire, mais il est facile de voir que l’orage va éclater.
GEORGES, ROBERT, LOUIS (dit M. Lolo), ensemble à Franck. Ah! tu fais pleurer notre sœur, toi, Franck; eh bien, c’est bon! tu nous payeras cela.
HENRI. Oui, Franck, tu as tort deux fois. La première...
FRANCK, l’interrompant. Et puis la seconde... Merci, monsieur le professeur, monsieur l’avocat! Vous plaidez aussi bien que votre papa, mais je vous prie de me laisser tranquille.
HENRI. Tu as beau dire, tu as eu tort d’abord de prendre des fleurs dans le jardin de Marie sans lui en rien dire. Ensuite...
FRANCK. Ensuite?
HENRI. Ensuite, tu as eu tort d’être grossier avec elle et de l’appeler pimbêche.
GEORGES, ROBERT et Louis (dit M. Lolo). Oui! oui! Franck, tu as eu tort, tu as eu tort, et tu demanderas pardon à Marie de ta grossièreté !
FRANCK. Je ne demanderai pardon à personne, et vous, vous êtes des lâches de vous mettre tous contre moi. Rodolphe, Albert, venez avec moi, et toi aussi, Paul, quoique ton frère Henri semble vouloir se liguer avec mes ennemis. — Nous voilà quatre contre quatre maintenant: le nombre est égal. Et moi, Franck, je vous déclare la guerre.
HENRI, à Paul. Tu vas du côté de Franck? C’est joli! nous allons être frère contre frère. Viens avec nous.
PAUL, à Henri. Viens avec nous toi-même. Moi, je reste avec Franck.
FRANCK, à Paul, en l’embrassant. C’est bien, mon brave Paul. Sois tranquille, nous serons les plus forts. Tu verras.
PAUL, à Franck. C’est vrai, Henri veut toujours me faire faire ce qu’il veut parce qu’il est l’aîné. Au bout du compte, ça m’ennuie, et je reste avec toi. Que Henri aille où il voudra!
FRANCK, à Paul, à Rodolphe et à Albert. Vous jurez de me soutenir et de ne pas m’abandonner?
PAUL, RODOLPHE ET ALBERT, levant la main. Nous le jurons, nous le jurons, nous le jurons!
FRANCK, aux mêmes. Vous jurez de m’obéir aveuglément?
PAUL, RODOLPHE et ALBERT. Ça, nous verrons.
FRANCK. C’est bien. — Venez! suivez-moi! Quittons cette terre inhospitalière. La guerre est déclarée. (Se retournant du côté du camp ennemi et élevant la voix.) La guerre est déclarée! Tout ce qui, dans cinq minutes, foulera encore la terre comprise entre les murs du parc est regardé comme ennemi de Franck Wolff.
Il s’en va en gesticulant; Paul, Rodolphe et Albert le suivent. Les deux premiers ont le poing sur la hanche; le petit Albert se retourne de temps en temps pour faire des grimaces et tirer la langue à l’ennemi.
GEORGES. Du calme, messieurs; laissez-les partir. Rira bien qui rira le dernier. — Franck fait bien du bruit. — Nous autres, tâchons de faire beaucoup de besogne, et mettons-nous en état, non seulement de résister aux entreprises que l’ennemi va tenter contre nous, mais encore d’aller l’attaquer jusque dans ses foyers. Que chacun pense à bien remplir son devoir, et je réponds du succès. Vous me jurez de soutenir le bon droit, qui est le nôtre, et de rester fidèles à l’honneur?
HENRI, ROBERT, LOUIS (M. Lolo). Nous le jurons, nous le jurons, nous le jurons!
GEORGES. Vous n’aurez qu’à exécuter mes ordres et à m’obéir aveuglément.
HENRI, ROBERT. Ça dépend de ce que tu nous commanderas.
LOUIS (M. Lolo). Oui, ça dépend de ce que tu nous commanderas. Avec tout cela, je vois que, de quelque côté que j’aille, c’est toujours mon tour d’obéir, et jamais mon tour de commander. Je voudrais bien savoir quand il arrivera, mon tour de commander.
GEORGES, à M. Lolo. Assez, monsieur Lolo. — Silence! — Je n’aime pas les mutins. Souvenez-vous que les mutins sont la perte des armées, et qu’elles ne se sauvent que par la discipline et l’obéissance.
LOUIS (M. Lolo). Qu’est-ce que je disais? — Voilà encore l’obéissance qui revient. — Dis donc, Georges, ce n’est pas au collège qu’on t’a appris ce que tu viens de nous raconter. Je l’ai entendu dire plus de cent fois à bon papa quand il causait avec ses anciens camarades.
GEORGES. Raison de plus, petit nigaud, pour que ce soit la vérité. Du reste, assez, monsieur Lolo, pas un mot de plus. Laissez-moi, messieurs! laissez le général de votre choix...
HENRI. De notre choix?
GEORGES. Laissez, dis-je, le général de votre choix se recueillir et songer aux divers emplois, aux différents postes qu’il doit vous assigner.
HENRI, ROBERT. Mais dis donc, Georges!
GEORGES, les congédiant d’un geste noble. Allez, messieurs, attendez mes ordres. Quand j’aurai besoin de vous, je vous appellerai. Allez!
Henri et Robert, subjugués par l’ascendant de Georges, courbent la tête et se retirent.
GEORGES, s’asseyant et appuyant son coude sur son genou et son front sur sa main. Quelle préoccupation! quel fardeau! Oh! que les grandeurs sont lourdes à porter! Ça n’empêche pas que je suis passé général d’emblée... (Apercevant M. Lolo, qui, au lieu de suivre les autres, s’est caché derrière lui.) Qu’est-ce que tu fais là ? Tu te permets de m’espionner, moi ton général. Tâche de filer, et au trot! sans quoi... je te fais fusiller!
M. LOLO, se sauvant. Adieu, mon général; il ne faut pas parler haut quand on ne veut pas être entendu. Adieu, monsieur l’ambitieux.
GEORGES. (Haut.) Attends un peu, gamin! (A. part.) Heureux enfant! il n’a pas encore de soucis; tandis que moi... la campagne va s’ouvrir demain, ce soir, dans une heure peut-être, et... Mais que vois-je... là, là-bas du côté d’Azan?... L’ennemi s’avance. Espère-t-il me surprendre? Il n’y parviendra pas. (Avec éclat.) Aux armes! aux armes! aux armes!