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IV

Table des matières

LES ARMÉES SONT EN PRÉSENCE

Le long de la rampe en pente douce qui du château descendait jusqu’à la rivière, Georges vit l’ennemi qui s’avançait en bon ordre. Sa marche était rapide; on voyait que Franck avait soufflé à sa troupe une partie de son ardeur.

En général habile, Franck avait ainsi divisé ses forces: Albert, qui, grâce à sa petite taille, pouvait facilement se cacher derrière les moindres buissons et se dissimuler quand il se présentait un accident de terrain, marchait le premier; il représentait à la fois l’avant-garde et la tête de colonne, et devait cumuler l’emploi de tirailleur et de cavalerie légère. A cet effet, il avait serré sa ceinture de deux trous de plus et relâché au contraire sa cravate, pour pouvoir respirer à son aise. Ses poches et sa casquette étaient pleines de pommes de pin ramassées sous les grands arbres du jardin d’Azan. Ces projectiles étaient destinés à inquiéter l’ennemi et à jeter le désordre dans ses rangs. Il s’était muni d’une certaine quantité de petites cordes pour enchaîner les prisonniers. Vous voyez que maître Albert comptait faire des prisonniers. Seulement, je vous dirai entre nous qu’en fait de prisonniers, quelquefois c’est celui qui croit prendre qui lui-même est pris. C’est à quoi Albert n’avait pas encore songé ; nous verrons plus tard ce que le sort des combats lui réservait.

Rodolphe, qui était vigoureux et demandait plutôt à agir qu’à parler, figurait à lui tout seul un corps d’attaque qui devait avoir une destination particulière. Rodolphe était un de ces garçons qui, sans rien dire, passeraient par le feu s’ils pensaient que leur devoir est de le faire, et qui, si on leur disait qu’il faut prendre la lune avec les dents, ne s’informeraient que d’une chose: l’adresse de celui qui serait chargé de fournir les échelles.

Paul formait le corps d’armée central. Franck se portait partout où les circonstances nécessitaient sa présence. Il était tantôt à la tête, tantôt au centre, tantôt à la queue de son armée, animant les uns et les autres du geste et de la voix, rappelant à chacun ce qu’il avait à faire, promettant à tous une ample moisson de gloire, de cerises et de pain d’épice, disant qu’il leur partagerait les trésors de l’ennemi, et que, pour sa part, il ne demandait rien... rien qu’une chose... l’honneur de les avoir commandés. Il avait déterré, au fond de je ne sais quelle armoire, sur une planche, au milieu d’un tas de hardes oubliées, une vieille toque de velours noir surmontée d’un oiseau de paradis qui avait l’air encore plus vieux que la toque, et à la queue duquel il manquait plus d’un brin. On voyait que les souris, qui ne respectent rien, comme vous le savez, et finiraient par manger le monde entier s’il n’y avait ni chats, ni souricières, avaient rendu bien des visites à cette pauvre toque, et, à défaut d’autre chose, sans doute, en avaient fait maint déjeuner. Jamais casque grec ou romain ne fut porté plus fièrement que Franck portait sa vieillerie. Sous cette coiffure aussi antique que majestueuse, et qu’il avait trouvé moyen de faire tenir sur le côté gauche de sa tête par un miracle d’équilibre, sa figure animée et hardie resplendissait de bonheur; ses yeux brillaient comme deux soleils. On sentait que ses soldats pouvaient être sûrs de rencontrer l’oiseau de paradis de Franck au milieu de la mêlée, toujours sur le chemin de l’honneur, comme le panache blanc du brave roi Henri IV.

Aux cris: Aux armes! aux armes! aux armes! poussés par Georges, Franck, jusqu’aux oreilles duquel ce cri d’alarme était parvenu, commanda halte à ses guerriers et leur tint à peu près ce langage:

«J’espérais tomber à l’improviste sur l’ennemi comme la

«foudre, jeter l’épouvante dans ses rangs, et commencer et

«finir en même temps la guerre par un coup de tonnerre.

«Mon attente a été trompée. L’ennemi nous observait; notre

«marche a été éventée. A l’aide de ma longue-vue... (la longue-vue de Franck n’était autre chose qu’un morceau de carton qu’il avait roulé et assujetti avec une ficelle, et qui n’avait de verre à aucun de ses deux bouts. Cela n’empêchait pas Franck de l’avoir constamment soit à la main, soit à l’œil. Une seule chose le tourmentait, c’était de n’avoir pas une armée assez nombreuse pour y prendre un page qui porterait la fameuse longue-vue. Il se voyait déjà se retournant et demandant d’un ton brusque: «Holà ! page! ma longue-vue! » Mais nécessité fait loi, et, ne pouvant distraire personne de son armée sans un grave danger, il était réduit à porter lui-même la longue-vue en sautoir à l’aide d’une faveur verte qui avait autrefois entouré, à coup sûr, une boîte de bonbons); «à l’aide de ma longue-vue, disait

«donc Franck, je vois d’ici l’ennemi qui s’apprête à nous

«recevoir. — Georges commande, je devais m’y attendre.

«Tant mieux! C’est un ennemi digne de moi; je suis bien

«aise d’avoir à me mesurer avec lui. — Approchez-vous,

«messieurs... plus près encore! afin que je puisse vous

«parler assez bas pour qu’aucun espion soudoyé par l’enne-

«mi n’entende mes paroles; peut-être en rôde-t-il un autour

«de nous. — Non cependant, je vois leur armée au complet.

«Voilà Georges! Celui-là me regarde; que personne ne

«songe à me ravir l’honneur de l’attaquer en personne. —

«— Voilà M. Lolo! selon toutes les probabilités, c’est à

«lui que tu auras affaire, mon brave Albert. Sitôt que tu

«seras à une bonne distance, pas trop loin, fonds sur lui et

«force-le à se replier sur sa troupe de soutien. S’il résiste,

«écrase-le sous une pluie de mitraille. — Tu as tes pom-

«mes de pin?» Albert montra ses pommes de pin. C’était la mitraille demandée.

«Pendant ce temps, Paul, vous attaquerez Robert vi-

«goureusement. Vous vous jetterez sur lui sans hésita-

«tion. — La moindre faiblesse, la moindre lenteur de votre

«part, pourrait nous perdre tous: une minute de retard com-

«promet souvent le sort d’une armée. Vous savez que, pour

«ne pas vous mettre personnellement face à face avec votre

«frère Henri, j’ai dû modifier mon plan de bataille et re-

«noncer à faire de vous un corps de réserve qui m’eût été

«précieux au besoin. Tenez-moi donc compte de ce que j’ai

«fait pour vous, et... Mais qu’ai-je besoin de vous faire de

«semblables recommandations? Je vous connais. N’êtes-

«vous pas Paul, le vaillant, l’impétueux Paul? Ne suis-je

«donc pas certain que vous renverserez tout ce qui se trou-

«vera devant vous?» Paul s’incline et fait un geste qui veut dire: Comptez sur moi, général.

«Toi, Rodolphe, mon frère, je t’ai réservé un rôle diffi-

«cile et glorieux. Il m’a fallu compter sur tout le cou-

«rage et sur toute l’intelligence que je te connais pour

«m’y résoudre et tenter une semblable entreprise. Il s’a-

«git pour toi de tourner l’ennemi sans être aperçu de lui,

«et de l’attaquer en queue après avoir anéanti sa réserve.

«— Voilà la part que je t’ai faite. Te sens-tu capable de

«la prendre? Rodolphe, réponds-moi.»

Rodolphe se campa fièrement devant son frère et lui répondit par cette phrase imitée d’une phrase célèbre et souvent redite:

«Général, si c’était impossible, cela se ferait; mais,

«comme ce n’est que difficile, c’est fait. — Vous pouvez

«compter sur moi.»

Comme Franck savait qu’avant de combattre, il est bon de reprendre respiration, il s’assit et ordonna à sa troupe d’en faire autant. Chacun suivit l’exemple de son chef et se mit auprès de lui sur l’herbe, sans cesser de surveiller l’endroit par lequel l’ennemi pouvait arriver.

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