Читать книгу Étienne Marcel, prévôt des marchands - Élie Cabrol - Страница 7
SCÈNE II
ОглавлениеLES MÊMES. Les portes du fond s’ouvrent, et au milieu de l’empressement général paraissent MARCEL et LECOQ, évêque de Laon.
GUILLAUME CALLE, courant se jeter aux pieds de Lecoq.
Monseigneur, implorez l’appui du Ciel pour moi.
LECOQ, le relevant.
Debout, Guillaume Calle, et Dieu soit avec toi!
(Chacun prend place.)
MARCEL, au milieu d’un profond silence.
Les États généraux, Messieurs, mis en présence
De nos droits méconnus et d’un péril immense,
Ont énergiquement, sous votre impulsion,
Poursuivi jusqu’ici leur noble mission.
Au milieu d’une nuit profonde, la lumière
S’est produite à leurs voix, — la patrie en est fière, —
Et, replacés par vous au rang qui leur est dû,
Ils ont ainsi repris leur prestige perdu.
C’était une entreprise ardue et téméraire
Que d’arracher un peuple à semblable misère.
Le trésor épuisé, vides les arsenaux,
Implacable la guerre, horribles ses fléaux,
Les soldats désertant ou battant en retraite,
Et la suspension du paiement de la dette,
L’impôt toujours croissant, le désarroi partout,
Les comptes faux, enfin notre ruine au bout!
Tel était le degré d’incroyable souffrance
Où depuis si longtemps agonisait la France.
Eh bien! en quelques mois, vous avez, — qui l’eût dit? —
Réparé tous ces maux, rétabli le crédit,
Et contre le retour néfaste de ces fautes
Créé pour l’avenir des barrières plus hautes.
En effet, désormais, sans convocations,
Vous pourrez librement fixer vos sessions.
Le pouvoir, divisé, dans vos mains se partage,
Et du souverain seul il n’est plus l’apanage.
Vous avez assuré — proclamons-le bien haut —
La répartition égale de l’impôt
En courbant à la fois, sous une loi suprême,
Le noble et le vilain, et jusqu’au roi lui-même!
L’administration des finances, de droit,
Est remise déjà, non plus à qui reçoit,
Mais aux représentants des imposés, justice
Tardive, mais complète; enfin, une milice
Nationale unit et met au même rang
Le privilégié de fortune ou de sang
Et l’obscur plébéien propre à porter les armes 3.
Dieu sait ce que vos yeux ont dû verser de larmes
Avant d’en venir là ! Mais de si grands succès
De nos malheurs passés effacent les excès;
Tout s’oublie à l’aspect de ces fières conquêtes,
Et leur souffle élargit, chez ceux qui les ont faites,
Les sentiments d’honneur, de vertu, d’équité,
D’ordre, d’économie, enfin de liberté !
Modestes magistrats, tandis que sans relâche
Vous mettiez tous vos soins à remplir cette tâche,
Les nobles, recherchant avant tout les plaisirs,
Aux tournois, à la chasse, employaient leurs loisirs.
Traitant avec mépris ces réformes nouvelles,
Ils ne vous opposaient que de vaines querelles;
Mais, devant vos succès, voici que maintenant,
De leur droit de veto se targuant hautement,
On les voit déserter à la fois vos séances
Et tramer contre vous d’odieuses vengeances.
TOUSSAC, l’interrompant vivement.
Pour nous est le bon droit... Nous ne les craignons pas.
MAILLART, de même.
Poursuis, Marcel, et dis qu’avec eux, sur leurs pas,
Marche aussi le clergé ; qu’aux genoux du saint-père
Il traîne insolemment sa haine séculaire;
Qu’invoquant on ne sait quelles immunités,
Il ose refuser les subsides votés,
Et nous menace, usant d’armes spirituelles
Dans le seul intérêt des choses temporelles,
De suspendre en tous lieux le service divin4.
ROBERT DE CORBIE.
Vieille tactique...
LECOQ.
Hélas!
GIFFART.
Comme même refrain.
MARCEL.
Ce n’est pas tout... Le roi, pour solder les dépenses
De guerre, reprenant d’anciennes ordonnances,
M’enjoint de procéder à l’altération
De la monnaie 5.
TOUSSAC.
Encor?
MAILLART.
Remettre en question
De tels expédients!
GIFFART.
C’est le vol.
ROBERT DE CORBIE.
Fraude infâme.
LECOQ.
La guerre est acharnée, et l’Anglais...
TOUSSAC, l’interrompant.
Sur mon âme,
Chassons-le; mais, du moins, n’imitons pas ces rois
Qui d’un pareil moyen usèrent maintes fois.
JEAN SOREL.
Ceux-là furent aussi nommés à juste titre
Faux monnayeurs.
VOIX NOMBREUSES.
C’est vrai!
MAILLART.
Marcel, sois notre arbitre.
Ton avis, quel est-il?
MARCEL.
Opposer un refus.
VOIX NOMBREUSES.
Oui, oui!
MARCEL,
Vous m’approuvez?
TOUSSAC.
Certes!
Tous.
Mort aux abus!
MAILLART.
Nous verrions, sans cela, renaître de plus belle
La corvée...
GIFFART.
Et le droit de prise...
ROBERT DE CORBIE.
Et la gabelle...
TOUSSAC.
Et la maltôte...
JEAN SOREL.
Assez d’abaissement!
JEAN DE LISLE.
Assez
De honte!
PIERRE BOURDON.
Oui, résistons au roi!
LECOQ, se levant au milieu du bruit.
Réfléchissez!
De ce nouveau conflit, Messieurs, les conséquences
Peuvent vous mener loin... Pesez donc bien vos chances:
D’un côté, le clergé, la noblesse et le roi;
Paris et vous de l’autre...
TOUSSAC, l’interrompant.
Appuyés sur la loi.
LECOQ.
Sans doute, et je comprends l’ardeur qui vous dévore:
Vous avez beaucoup fait, et vous voulez encore
Faire plus... J’y consens, mais pour de nouveaux biens
Ne compromettons pas, de grâce, les anciens.
Écoutez un moment la voix de la prudence.
MAILLART.
Qu’entends-je? Se peut-il? Et de Votre Éminence
Ce n’est pas le langage ordinaire.
LECOQ.
En ceci,
C’est de vous, non de moi, que j’ai surtout souci.
Votre valeur est grande, et pourtant sans surprise
Je ne vous verrai pas tenter cette entreprise:
Car, si sur ce chemin plus loin vous vous lancez,
Vous ne devez compter que sur vous... Est-ce assez?...
MAILLART.
Vos craintes, Monseigneur, deviennent inutiles;
Nous sommes décidés. Toutes nos bonnes villes
Ont les yeux sur Paris... Or Paris est à nous:
Ce qu’il décidera sera suivi par tous.
MARCEL.
Maillart, ta confiance amène le sourire.
MAILLART, étonné.
Quoi?
MARCEL.
De Paris, est-on jamais sûr?
MAILLART.
Qu’est-ce à dire?
MARCEL.
L’orgueil t’égare.
MAILLART.
Et toi la modestie...
MARCEL, haussant les épaules.
Enfant 1
MAILLART.
Est-ce à tort que Paris sous ton bras triomphant
S’incline? Tu lui rends sa fière indépendance,
Ses franchises, ses droits, son antique influence;
Tu relèves ses murs; tu le mets à l’abri
Des dangers du dehors et du dedans aussi,
Et, grandissant son rôle et sa prépondérance,
Il devient à ta voix tête et cœur de la France.
En poursuivant ce but, quoi d’étonnant alors
Que les Parisiens secondent tes efforts?
TOUSSAC.
Marche, nous te suivrons.
MARCEL.
Ainsi, sans épouvante,
Vous iriez de l’avant?
VOIX NOMBREUSES.
Oui, tous!
MAILLART.
Chacun s’en vante.
LECOQ.
La tâche est périlleuse...
ROBERT DE CORBIE.
Et le but glorieux.
LECOQ.
Vous y pouvez trouver l’exil, la mort...
MAILLART.
Tant mieux!
Plutôt mourir, Marcel, que rester en servage!
LECOQ.
Soit; mais si l’un de vous, moins ardent ou plus sage.
Sentait en ce moment son audace faiblir,
Sans blâme, qu’il soit libre et laissons-le partir.
(Silence.)
Nul ne se lève?
VOIX NOMBREUSES.
Non!
LECOQ.
C’est en vain que j’écoute?
Tous.
Nous sommes résolus!
MARCEL (il se lève).
Fermement?
Tous.
Sans nul doute!
LECOQ, avec joie.
Ami, voici notre heure. Achève et dis-leur tout.
MARCEL.
D’avance convaincu, Messieurs, que jusqu’au bout
Vous oseriez marcher, de deux auxiliaires
J’ai su vous procurer les appuis tutélaires.
JEAN SOREL.
Que dites-vous?
ROBERT DE CORBIE.
Les noms de ces nouveaux amis?
MARCEL.
Pour vous les présenter vous êtes réunis.
GIFFART.
A quel heureux hasard les devons-nous?
TOUSSAC.
Dis?
MAILLART.
Parle?
MARCEL.
La famille royale en fournit un.
MAILLART, au comble de la surprise.
Qui?
MARCEL.
Charle,
Roi de Navarre...
VOIX NOMBREUSES.
Ah!
MARCEL.
Oui.
TOUSSAC.
Mais il est en prison!
MARCEL.
En effet, le roi Jean, par lâche trahison,
A du château d’Arleux fermé sur lui les portes.
Ses injustes griefs, Messieurs, sont de deux sortes,
Car il devient certain qu’en s’emparant de lui
Le roi Jean a voulu vous priver d’un appui
Et saisir le comté d’Évreux, qui, par sa mère,
Revient de droit à Charle en fief héréditaire °.
MAILLART.
Indigne félonie, impossible à nier,
Qui le pousse à voler le bien d’un prisonnier!
MARCEL, avec autorité.
Le roi de Navarre est libre...
(Étonnement général.)
VOIX NOMBREUSES.
Ah!
MARCEL, poursuivant.
Depuis une heure
Il est à Paris.
JEAN SOREL.
Lui?
MARCEL.
Caché dans ma demeure.
TOUSSAC.
Ici?
GIFFART.
Charles libre?
MARCEL.
Oui.
ROBERT DE CORBIE.
Comment raconte-t-on
L’événement?
MARCEL.
Voici. Joceran de Mâcon
Et Jean de Picquigny, tous deux hommes d’audace,
Par ruse et nuitamment sont entrés dans la place
D’Arleux. Ils en étaient maîtres avant le jour.
ROBERT DE CORBIE.
Quel coup de main! Et Charle est ici de retour?
GIFFART.
Ses desseins, quels sont-ils, Marcel?
MARCEL.
Il nous propose
D’unir ses intérêts à ceux de votre cause,
Et de marcher ensemble envers et contre tous.
VOIX NOMBREUSES.
Il se pourrait!.. Eh quoi!
MARCEL.
Parlez... Qu’en dites-vous?
GIFFART.
La chance est inouïe.
ROBERT DE CORBIE.
Un vrai coup de fortune!
TOUSSAC.
Oui, certes, avec lui faisons cause commune.
MAILLART.
Pour l’en remercier, courons à ses genoux.
Voix.
N’hésitons pas... Allons!
MARCEL.
Messieurs, il vient à nous.
(La porte du fond s’ouvre. Charles paraît; il est suivi de Joceran de Mâcon et du sire de Picquigny.)