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SÉANCE DE PORTRAIT

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Table des matières

LE PEINTRE X…, Mme V…, MmeO…

(Ces dames s’arrêtent essoufflées à la porte de l’atelier après avoir sonné.)


…, ouvrant la porte, sa palette à la main.–Je vous attendais avec impatience, madame.

Mme V., se laissant tomber sur le divan.–Ne me grondez pas, Monsieur X… Je suis un peu en retard; mais j’ai tant de choses à faire, et c’est si loin votre place Pigalle. J’ai l’honneur de vous présenter mon amie, Mme O…, qui a bien voulu m’accompagner. Mais où est donc mon portrait? Je ne le vois pas.

X…–Je vais le remettre sur le chevalet. Je travaillais à mon tableau du Salon en vous attendant.

Mme O…, à voix basse pendant que l’artiste est aufond de l’atelier.–Il est joli homme et de manières fort convenables; mais ne trouvez-vous pas qu’il y a ici une odeur de tabac qui prend à la gorge?

Mme V…–Ah! ma chère, n’en dites rien; vous seriez capable de lui donner envie de fumer sa pipe.

Mme O…–Fi donc! quelle horreur!

Mme V…–Je suis absolument de votre avis, mais de plus délicates que nous ont subi cette peste sans se plaindre. C’est à prendre ou à laisser. Cela est arrivé à cette pauvre Hortense quand elle a posé l’hiver dernier chez le célèbre H.. qui fume comme une cheminée en travaillant. Imaginez-vous de la dentelle qui garde un goût de pipe culottée?

X…, s’inclinant devant Mme O…–Je suis vraiment désolé, madame, de n’avoir à vous montrer qu’une ébauche très imparfaite qui devrait être terminée depuis longtemps, si Madame avait voulu me donner deux ou trois séances sérieuses.

Mme V…, minaudant.–Oui, il faudrait absolument que je prenne sur moi d’être exacte et immobile, deux qualités dont j’ai beaucoup entendu parler. Voyons, mignonne, donnez-nous donc votre avis. (Se penchant mystérieusement vers X…) C’est une des meilleures élèves du célèbre Thénot l’aquarelliste.

X…, s’inclinant et souriant.–Du célèbre Thénot!!!

MmeO… cligne des yeux.–Certainement qu’il y a déjà… quelque chose… dans la pose.

Mme V…–Que pensez-vous de la tête?

Mme O…–Oui, il y a aussi dans la tête un air de famille, mais ce n’est pas encore vous, ma chère.

Mme V…–Je le crois bien. Tout cela n’est encore qu’esquissé; mais, à ce que dit monsieur, les couleurs fines ne se posent qu’en dernier; et vraiment pour un portrait de femme, je crois qu’une peinture comme celle de Winterhalter séduit beaucoup: plus que les bas-reliefs de certains peintres.

X…, avec un froncement de e sourcils.–Ceux qui n’y entendent rien, sans doute. Mais moi, madame, je ne consentirai jamais à signer de mon nom une toile savonneuse faite à coups de. blaireau.

Mme O…–Il me semble, ma toute belle, que monsieur a raison, car enfin chaque artiste voit avec son tempérament et, comme on dit, la fin justifie les moyens.

Mme V…, d’une voix câline.–C’est convenu. Empâtez, grattez tout ce que vous voudrez, pourvu que cela ne soit pas trop long et que je sois belle, bien belle; car enfin, c’est là le but, n’est-ce pas!

X…–Pour vous, oui, madame. Pour moi, c’est secondaire. Il est bien entendu que je ne puis faire laid (Avec la bouche en cœur) en copiant un si agréable modèle; mais il serait trop long de vous expliquer comme quoi il y a dans tout visage beau ou laid, pour un véritable artiste, un attrait puissant. Je veux dire le caractère, l’accent particulier de chaque physionomie.

Mme V…, impatientée.–D’accord, mais, comme vous dites, ce serait trop long, n’en par-Ions pas, d’autant plus que j’ai rendez-vous à deux heures. Voyons, cher monsieur X…, vous ne me tiendrez pas longtemps, n’est-ce pas?

X… –Je crois bien, madame, que vous manquerez à votre rendez-vous, car il est près d’une heure et nous avons aujourd’hui une séance décisive d’où sortira la ressemblance. (Il lui offre la main pour monter sur la table à modèle.) Voici la place que nous avons choisie. Les pieds du fauteuil sont encore marqués à la craie. Bien! La tête un peu plus penchée.–Là…, regardez-moi maintenant. Ah! diable!

Mme V…, se retournant brusquement.–Quoi donc encore?

X...–Mais, madame, vous avez changé votre coiffure.

Mme V…–C’est vrai. Je ne sais où j’avais pris l’idée de ces boucles qui me donnent un air vieillot. J’étais affreuse, et vous ne me le disiez pas. Est-ce que vous ne trouvez pas que cette natte en diadème est cent fois préférable? (Elle va jusqu’à la psyché.) Qu’en dites-vous, mignonne?

Mme O…–Le fait est que cela ne vous avantageait pas. Mais retournez donc poser, ma belle, l’heure s’envole.

X…, vivement, sans lever les yeux. «L’amour s’envole et l’amitié reste.» Cela a été traité en sujet de pendule, madame,–modèle extra-riche.

MmeO…, riant.–Ma foi, je regrette ces allégories un peu surannées aujourd’hui,–cette morale en chambre qui s’étalait sur les murs et les cheminées. Il y a des choses qu’on est souvent tenté d’oublier. (A Mme V, qui minaude toujours devant la glace.)–Allez donc vous asseoir, chère amie. Cela ne nous empêchera pas de causer. N’est-ce pas, monsieur?

X…–Certainement non, madame. Une seule minute encore avant de vous reposer, s’il vous plaît? Un léger sourire maintenant.

Mme V…, riant aux éclats.–Ah! ah! non, je ne pourrai jamais.

X…–Essayez toujours… Un sourire fin comme celui de la Monna Lisa. Voyons, supposez que j’ai dit une légèreté dont vous n’osez pas rire ouvertement. Voulez-vous que j’essaye?

Mme V…, souriant à demi.–Non, c’est inutile.

X…–C’est’ parfait! Ne bougeons plus, comme disent les photographes.

Mme O…–Vous m’y faites penser. Quel malheur ’que la photographie nous fasse si laides, car on n’a pas l’ennui de poser longtemps. (Long silence.)

Mme V…. sautant de la table à modèle.–Ma foi, tant pis. J’entre en récréation. Mon Dieu, que c’est pénible cette immobilité. Comment donc font les modèles de profession pour y résister?

X…–Ils ont l’amour et le respect de leur métier, madame. Je vous conterai quelque jour l’histoire de la pauvre mère l’Hercule, qui tenait un sourire, à bras tendu, pendant deux heures sans broncher.

Mme O…–Peut-on voir?

X…, posant sa palette.–La mère l’Hercule?

Mme O…–Mais non, votre travail de tout à l’heure.

X…–Vous comprendrez qu’en si peu de temps je n’ai pas pu faire grand’chose, mais enfin, je crois que cette fois j’ai pincé la bouche.

Mme V…, se tournant vers son amie.–Sérieusement, mignonne, est-ce que j’ai la bouche aussi grande? Ah! cher monsieur, quelle singulière idée vous avez eue de me faire sourire. C’est plus gracieux, soit, mais cela rapetisse les yeux, et… j’ai l’air d’avoir avalé un sabre. Qu’en dites-vous, Sidonie?

Mme O…–Mon Dieu! c’est très embarrassant. Je ne voudrais pas désobliger monsieur; mais effectivement, ce sourire ne me va que tout juste. Je trouve, moi, que le sourire éternel d’un portrait finit par avoir, pour le spectateur, quelque chose d’agaçant comme un galop de cheval sur une pendule.

X… –Bien dit! madame. Je suis puni par où j’ai péché. Voilà où nous mènent les concessions à la vulgarité.

Mme V…, d’un ton sec.–Ai-je donc sollicité cette concession?

X…–Je ne prétends pas cela; mais vous m’avouerez, madame, que les gens du monde ont généralement de singuliers goûts en fait d’esthétique. A chacun son métier. Voulez-vous me promettre de ne plus regarder votre portrait que terminé et verni? Je l’interpréterai alors comme bon me semblera et sous ma responsabilité.

Mme V…, après avoir réfléchi un instant.– Eh bien, non. J’aime mieux décidément un portrait gracieux, un peu idéalisé, qu’une œuvre bien correcte et trop savante qui vous ferait plus d’honneur qu’à moi.

Mme O…–Vous parlez d’or, ma belle, et je ne dirais pas autre chose à mon peintre, s’il s’agissait de moi.

Mme V…, tirant sa montre.–Ciel! Deux heures un quart? Qu’est-ce que va penser de moi l’abbé Grolet, qui doit prononcer le sermon d’ouverture de notre Œuvre des petits enfants de la Vierge? (Elle remet lentement son chapeau devant la glace.) Monsieur X…, quand me voulez-vous? En somme, que décidons-nous pour ce portrait? Voyons. Voulez-vous m’être agréable, très agréable?

X…, avec un ton de courtoisie exquise.– C’est mon plus ardent désir, madame,

Mme V…, revenant devant le chevalet.–Donc, je me résume; pas de sourire. Une bouche aimable, sans austérité, avec des lèvres bien vermeilles.

X…, changeant de pied.–Vous pouvez dire appétissantes, madame.

Mme V…, avec un petit mouvement chaste.– Oh! monsieur, ne me troublez pas. Où en étais-je donc? (Après un silence, elle continue.) Des sourcils fins et bien arqués comme les miens. Remarquez bien ma petite veine bleue, le long de ma tempe, j’y tiens beaucoup. J’ai donc vraiment ce grand pli sous l’œil? C’est vrai que je suis affreuse aujourd’hui, mais vous ferez bien de ne pas le mettre. Pourquoi aussi ce point blanc dans l’œil droit? Vous n’avez donc pas remarqué que j’ai les yeux noirs?

X…, distrait.–Du velours! madame.

Mme V…, boutonnant ses gants.–Ainsi voilà qui est bien entendu. Nous ne mettons pas d’ombre sous le nez, et je crois que vous ferez bien aussi de tenir les joues moins colorées. Ne vous fiez pas à l’apparence de mon teint. J’ai aujourd’hui le visage congestionné par la chaleur qu’il fait ici. (Elle donne de petites tapes dans sa jupe.) Venez-vous, Sidonie? A propos. Quel jour avons-nous donc pris, monsieur X.?

X…–Celui qu’il vous plaira de choisir, madame, ou plutôt je ne veux pas abuser de votre complaisance. Avec les indications que vous avez bien voulu me donner, je puis parfaitement terminer de mémoire et nous n’aurons plus, quand je vous prierai de revenir, que fort peu de chose à faire.

Mme V…–C’est une heureuse idée que vous avez là et, j’en suis sûre d’avance, vous allez faire une merveille. Allons, à revoir.

(Le peintre accompagne ces dames jusqu’à la porte qu’il referme en s’iinclinant profondément.)

X…, seul, marchant à grands pas dans son atelier.–Ouf! (Il lève ses bras au ciel.) Oma mère! (On frappe à la porte.)

Mme V…, toute essoufflée.–C’est encore moi, cher monsieur, vous m’excuserez, mais, j’oubliais une recommandation des plus importantes. Souvenez-vous, je vous en prie, d’écarter un peu le bras qui tient l’éventail, pour bien laisser voir la taille. (Elle s’envole en faisant du bout de son gant un petit salut familier.)

X…, souriant amèrement.–Pas de rides, pas d’ombres, une fermeté de marbre. C’est complet! (Avec une exaspération croissante.) Quelle soif de vengeance! (Il se précipite sur la toile qu’il découpe à coups de grattoir.) Tiens! pour ta truffe à la Roxelane. Tiens! dans l’arc délié de tes sourcils. Tiens! dans ton four si vermeil qu’il fait paraître ta langue noire.

(Il s’arrête haletant devant le portrait déchiqueté, puis se croise les bras dans un mouvement comique: )

«Et maintenant, madame, expliquons-nous tous deux.»

Vieux péchés, scènes parisiennes

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