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L’AMI BONCHAMP

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A haute finance a fait élection de Ville-d’Avray, naguère si paisible. Les derniers vergers qu’on y rencontre sont tachés d’écriteaux qui portent une adresse de notaire. Dans quelque dix ans, ce beau nid de verdure, tondu, morcelé, macadamisé, ne sera plus qu’une succursale de Passy.

Le chemin des Clozeaux, avec ses clôtures de haies vives, a, jusqu’à présent, résisté à cet envahissement du million. On y trouve encore de ces bonnes petites maisons à volets verts où nos pères allaient se reposer du «fracas des villes.»

Celle dont je veux parler n’affiche pas de prétentions au castel. L’aspect en est riant, l’aménagement confortable. Les arbres y poussent librement, sans direction savante, et les plates-bandes n’y rappellent en rien les odieux coussins de tapisserie, ce fléau des salons bourgeois. Vingt pieds de pelouse agrémentée d’une cuvette d’eau claire dans laquelle glissent trois poissons rouges. Le susurrement d’un petit jet d’eau complète ce sacrifice à la mode du jour.

La cuisine ne se dérobe pas au regard comme un accessoire inconvenant; elle s’y étale, bien , au contraire, à la place d’honneur, en faisant face à la salle à manger de l’autre côté du vestibule.

Du jardin, l’œil a des éblouissements de cuivres méthodiquement accrochés par rang de taille, comme les tuyaux d’une flûte de Pan. Des carreaux de faïence émaillée tapissent les fourneaux et les murs à hauteur d’appui, et la netteté du sol est si prodigieuse que le grand G…, un des convives ordinaires, offre, quand on voudra, de manger un beefsteack à plat-ventre et sans assiette à n’importe quel endroit de ce sanctuaire.

Les fris-fris embaumés s’échappent des casseroles;–la broche classique tourne avec une sage lenteur devant un grand feu de bois. Par la fenêtre ouverte on aperçoit la silhouette dodue de Gertrude en cornette blanche qui pontifie avec un air inspiré.

Si petite que soit la maison, l’hospitalité y est large. Deux fois par semaine les vrais amis que Socrate demandait aux dieux s’y donnent rendez-vous à l’heure du dîner.–Un salmis de peintres, de littérateurs et de financiers.–La cave est pourvue de crus très authentiques, la chère exquise et l’affabilité des amphitryons renchérit sur le tout.

«Il fait faim!»

Le mot est usé, ma foi, tant pis! car il exprime bien. Nous sommes à une de ces heures bénies où tout concourt à l’épanouissement. Il fait vraiment bon de vivre! L’esprit le moins disposé à l’analyse poétique éprouve des rayonnements inconscients; l’œil charmé transmet à l’âme l’impression riante des choses extérieures.

Un domestique sans livrée vient d’apporter sous la tonnelle un plateau chargé de verres et de bouteilles.

Pendant que les convives un peu impatients font assaut d’émulsions savantes avec ces apéritifs bien inutiles, on entend le sifflet du chemin de fer.

C’est le train de six heures, dit «des pères de famille, «qui entre en gare.

Dans cinq à six minutes, Bonchamp sera ici, car on n’attend plus que lui pour se mettre à table.

Une main complaisante a même préparé d’avance le «poison vert» qu’il affectionne.

Quel être indécrottable que ce Bonchamp! car il est, s’il vous plaît, sept heures moins dix.– C’est toujours la même histoire avec ce gredin-là!

Gertrude, ponctuelle comme un sablier, sera d’une humeur massacrante si son gigot entre en scène avec seulement cinq minutes de retard. Ma foi, tant pis! on n’attendra pas le Bonchamp, pour lui apprendre à vivre.

Bonchamp est du reste coutumier du fait. On l’a vu plus d’une fois arriver haletant au dessert, et siroter tranquillement son café en attendant l’omelette que Gertrude, dont il est devenu la bête noire, confectionnait par ordre.

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Jamais distrait de comédie ne fut mieux réussi, bien qu’on l’eût fort étonné en le comparant au Ménalque de La Bruyère. Il était d’aussi bonne foi en se croyant très résolu, et parfaitement correct, bien que sa démarche, sa parole et son accoutrement indiquassent clairement qu’il n’entretenait avec le globe terrestre qu’un commerce intermittent. Sans aucun parti-pris de pose, il semblait jaloux de la spécialité de faire tout à contre-temps.–On ne pouvait déjà plus compter ses impairs, devenus légendaires. Dans l’exercice de sa profession de peintre, il lui arriva plus d’une fois d’envoyer sur sa palette le jet de salive destiné au crachoir, et tout naturellement de tremper sa pipe dans l’huile.–J’en passe, et des meilleures. Enfin le hanneton fidèle qui voltigeait dans son cerveau manquait rarement l’occasion d’abaisser l’obturateur sur chacune de ses combinaisons.

Les vrais amis, on le conçoit maintenant, pouvaient seuls apprécier la nature aimable et droite qui se cachait si bien sous cette enveloppe de Calino.

Grâce à la fermeté de Gertrude, qui menaçait de rendre son tablier, le gigot légèrement piqué d’ail n’a pas raté son entrée.–C’est le plat favori de ce maladroit de Bonchamp qu’on n’attend plus.

Il est sept heures et demie.

Tout à coup, pendant une accalmie de rires, on entend un tintement de sonnette, et tous les regards se tournent vers le jardin.

–Mes enfants, voilà Bonchamp!

Oui, c’est bien Bonchamp qui monte l’allée d’un pas tranquille, avec son chapeau sur l’arrière de la tête.

La maîtresse de la maison, qui a toujours eu pour lui un peu de cette compassion respectueuse que les Orientaux témoignent aux aliénés, se lève à son approche.

–Eh bien! mon pauvre Bonchamp, vous êtes donc incorrigible?

–Ne me grondez pas, chère amie, j’ai manqué deux trains de suite.

–N’en parlons plus et mettez-vous vite à table, car vous devez avoir une faim de loup, j’imagine.

–Moi? mais non. J’ai une migraine affreuse. Je nepeux décidément pas voyager à reculons. Ça ne manque jamais son effet.

–Mais voyons, grand enfant, c’est par trop naïf à la fin. Ne pouviez-vous donc prier un de vos vis-à-vis de vous céder sa place? Personne ne s’y serait refusé.

–Oh! certainement.

–Eh bien, alors, pourquoi ne l’avez-vous pas fait?

–Ah! voilà! J’étais tout seul dans mon compartiment.

Vieux péchés, scènes parisiennes

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