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CONSIDÉRATIONS SUR L’HISTOIRE CIVILE.

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Table des matières

Parmi les genres variés d’Histoire que compte la littérature, et dans le nombre immense des livres anciens et modernes publiés sur cette matière, l’histoire civile est sans contredit la plus rare; l’histoire généalogique et militaire est celle qui s’offre avec le plus de profusion aux recherches et à l’attention des lecteurs.

On peut citer une infinité d’écrivains qui, paraissant consacrer leur plume à l’histoire d’une nation, n’ont en réalité traité que de ses princes. Il est pourtant certain que si l’on ne veut se borner à une simple biographie privée, on ne saurait dignement parler de ses souverains sans parler beaucoup d’elle-même; car c’est sa félicité qui constitue leur véritable gloire. Séparer l’histoire des princes de celle de la nation, est une absurdité manifeste. Les princes ne portent ce titre que parce qu’ils sont les chefs de la nation, et leurs actes n’ont plus d’importance que ceux des particuliers que parce que ces actes influent, suivant le caractère des hommes placés à sa tête, sur l’accroissement ou sur la diminution de la prospérité d’un peuple entier.

Plusieurs autres décorent du titre pompeux d’Histoires, de simples narrations des tristes événemens de la guerre, des catastrophes plus douloureuses encore qu’amènent les discordes intestines, la guerre civile; leur but en cela est de flatter les inclinations des hommes qui aiment à s’occuper des objets qui parlent davantage à l’imagination, et traitent avec une sorte d’indifférence ceux auxquels sont attachés les conséquences les plus graves et les plus universelles. En réalité, quel fruit retire-t-on de la description minutieuse d’une guerre? ce fruit est très-borné. Il est peu de cas où une narration de cette nature puisse profiter à l’art militaire. Dieu suscite à peine une fois en un siècle quelqu’un de ces grands capitaines tels qu’Eugène de Savoie, Frédéric de Prusse, ou Napoléon, dont l’exemple serve à l’imitation d’autrui; encore faudrait-il que l’historien lui-même fût un grand capitaine pour écrire avec utilité sur un tel sujet. D’ailleurs les guerres se ressemblent les unes aux autres, comme les montagnes se ressemblent entre elles; et, quand il a exposé les motifs d’une de ces terribles conflagrations, et raconté l’issue d’une bataille et les suites qu’elle a amenées, l’historien qui ne fait pas profession d’écrire pour les seuls militaires en a dit suffisamment; et pourtant les deux tiers de la plupart des histoires (je n’entends parler que des histoires générales ), sont pleins d’événemens guerriers; l’autre tiers se compose de récits appartenant à l’histoire généalogique; l’histoire civile y occupe le moindre espace.

Retracer la physionomie des temps passés non moins que rapporter les événemens qui s’y rattachent, caractériser la prospérité ou la misère des peuples, assigner ou laisser entrevoir les causes de cette diversité dans leur condition, tel me paraît devoir être le véritable objet de l’Histoire. Elle ne saurait prétendre à instruire les hommes si elle ne réalise cette importante destination. Or, la misère ou la prospérité d’un peuple ne dépend pas seulement de la guerre ou de la paix. Ce peuple peut être très-malheureux en pleine paix, et même, en partie, à raison d’une longue paix. Au contraire, il peut être, je ne dirai pas heureux, mais dans une situation très-supportable en temps de guerre, parce qu’il existe, soit dans la paix, soit dans la guerre, d’autres causes non accidentelles, mais constantes, d’infortune ou de félicité. Telles sont les lois; tels encore sont les moyens politiques dont se sert le gouvernement; telles enfin les mœurs, plus puissantes que les lois, que les combinaisons politiques, et qui finissent toujours par prévaloir sur elles. Voilà les sources directes et perpétuelles du bien-être ou du mal-être des peuples, et je ne crains point d’encourir les critiques des hommes versés dans les profondeurs de l’économie publique, en affirmant qu’une guerre prolongée est souvent l’occasion de moins de maux qu’une loi mauvaise, un impôt excessif ou assis sur des bases vicieuses. Une foule de citoyens peuvent se dérober aux principales calamités que la guerre entraîne; quelques-uns, plus heureux encore, savent éviter ses conséquences les plus immédiates et les plus graves; une mauvaise loi, un impôt excessif ou mal assis, frappent et blessent chaque citoyen.

Mais les observations que j’ai énoncées plus haut n’en sont pas moins fondées.

L’imagination humaine se trouble et se soulève à la vue, par exemple, d’un assassinat, parce que la conséquence en est sensible et immédiate; il n’est besoin ni de calcul ni de raisonnement pour la saisir.

Ce spectacle excite beaucoup de rumeur, il donne lieu à de longs discours. Au contraire, on se met peu ou point du tout en peine à l’apparition d’une mauvaise loi de procédure criminelle qui peut donner lieu à une foule d’assassinats juridiques. Et pourtant ce genre d’homicide est cent fois plus terrible, cent fois plus redoutable que le premier; car il atteint l’innocent là même où il doit espérer aide et protection; car il revêt les formes spécieuses de la justice. Rarement cette méprise meurtrière est de nature à être découverte; presque jamais elle n’est susceptible d’être réparée.

Voilà la véritable cause pour laquelle la guerre a eu tant d’historiens, et la vie civile des peuples un si petit nombre.

Les historiens se sont efforcés de complaire à l’esprit du temps, aux inclinations de la multitude. Trop communément leur premier désir n’est point d’être utiles, mais bien d’être lus et applaudis. Ils sont donc dans l’obligation de se conformer aux goûts du peuple, toujours disposé à admirer ce qui lui plaît, et non ce dont il peut retirer quelque fruit.

Parmi les livres historiques qui excitent en réalité le plus d’empressement de la part des lecteurs, il faut placer en première ligne les histoires universelles, puis les histoires générales, puis enfin les abrégés. Ces histoires, et particulièrement les premières, sont les moins utiles de toutes, parce qu’elles ne rapportent que les grands événemens qui ne servent à l’instruction de personne, tels que les guerres, les séditions, les changemens de règne, les émotions et les excès populaires, et parce que le commun des écrivains de ces sortes d’histoires ne sait et ne peut savoir les particularités qui se rattachent à chacune d’elles. Et cependant, c’est dans ces particularités que résident un enseignement utile, le mouvement, la vie. L’auteur se livre à des conjectures arbitraires sur les ressorts cachés des choses, et pour mêler à ces conjectures hypothétiques les événemens éclatans qui les inspirent, pour réunir les unes et les autres en un corps imposant de narration, il est contraint à employer des artifices de rhéteur, et livre et son lecteur et lui-même à des méprises continuelles et qui se reproduisent à l’infini.

Mon opinion est que personne ne peut écrire une bonne histoire universelle, par la raison qu’il n’est au pouvoir de personne de connaître d’une manière approfondie toutes les histoires particulières, lesquelles, pour la plupart, sont encore à faire, et dont les élémens ne se présentent qu’épars dans les monumens publics.

Je ne crois pas qu’il soit possible de donner une bonne histoire générale d’un peuple ou d’une monarchie, sans avoir étudié avec soin les particularités historiques de toute ville de quelque importance; or, toutes les villes de l’Italie en présentèrent depuis le XIe jusqu’au XVIe siècle; cette importance s’étendit même à des bourgs et à des communes d’une médiocre étendue.

Je pense enfin que personne ne peut produire un bon abrégé historique, s’il n’est en mesure d’écrire ou s’il n’a même écrit l’histoire entière du peuple ou de la monarchie dont il a dessein de s’occuper. Voilà pourquoi le précis du président Hénault est peut-être le seul bon abrégé que l’on possède d’aucune histoire.

Il faut cependant remarquer ici deux choses. La première, que ces réflexions ne peuvent s’appliquer qu’aux histoires des temps du moyen âge et de ceux qui l’ont suivi, et non à l’histoire des temps antiques dont il nous reste peu de monumens, et pour lesquels les histoires écrites par les contemporains ou par d’autres, fort anciens par rapport à nous, doivent nécessairement tenir lieu de monumens. La seconde, c’est que je suis loin de prétendre qu’une personne mal informée des mœurs particulières d’un peuple ou des usages d’une monarchie, ne puisse faire un bon sommaire de son histoire; mais alors ce ne doit être qu’un simple sommaire et non une histoire abrégée; ce sommaire ne doit contenir ni jugemens ni parallèles.

Je dois en outre prévenir mes lecteurs de ne point confondre les abrégés et sommaires ou epitome qui font l’objet de mes observations, avec ces ouvrages dans lesquels on appelle une série plus ou moins étendue de faits historiques à la démonstration d’un système. Il existe un grand nombre d’ouvrages de cette nature, bien que très-peu, aucun peut-être, offrent le mérite rare du Discours de Bossuet sur l’Histoire universelle. Ces sortes d’ouvrages n’appartiennent point à l’histoire proprement dite, et leur objet n’est pas de l’enseigner. Car celui qui invoque l’histoire à l’appui de ses affirmations, choisit les faits qui sont à son avantage, et tait ou déguise ceux qui contrarient son système. C’est ce qui arrive fréquemment dans les temps agités par la fureur des partis politiques ou religieux; temps où il devient difficile, même aux esprits les plus sages, de se tenir à distance des passions qui hérissent de tant d’obstacles la recherche de la vérité.

La partialité universelle que nous avons signalée tantôt pour la partie généalogique et militaire de l’histoire, éclate encore dans la qualité des monumens qu’on recueille pour lui servir d’instrumens, ou, pour parler plus exactement, de matériaux.

Les fondemens des premières histoires ou chroniques furent la tradition et les souvenirs que les particuliers les plus soigneux des annales domestiques, s’empressèrent de consigner dans leurs journaux. Or, la tradition se complaît à recueillir, non ce qui est utile, mais ce qui est merveilleux, et cela d’autant plus, qu’elle s’éprend avec une incroyable facilité des contes les plus absurdes.

Les particuliers tiennent note dans leurs journaux des événemens domestiques; ils y consignent les naissances, les mariages, les morts des personnes de leurs familles et des princes; ils y font mention des comètes et autres signes célestes, des guerres, des pestes et famines. C’est beaucoup quand, pour mettre à même d’apprécier la gravité de ce dernier fléau, on y tient note du prix des grains.

Mais de tout ce qui a trait aux lois, aux mœurs, à l’économie publique, aux négociations politiques, pas un mot.

La nécessité de recueillir des documens à l’aide desquels on pût écrire facilement l’histoire, et avec avantage pour le public, cette nécessité, dis-je, se fit sentir en Italie dès le XVIe siècle, et plusieurs collections de matériaux de cette nature furent publiées, soit en France, soit en Italie, au XVIIe, en ce siècle où fleurit la véritable philosophie, où la critique prit naissance. On ne saurait croire quel fruit on en retire encore de nos jours. Néanmoins de telles collections sont plus utiles pour l’histoire généalogique et diplomatique, que pour celle de l’économie publique et des lois. Elles offrent peu de documens qui aient une liaison directe avec cette partie si substantielle de l’histoire.

Le premier recueil de documens appartenant pour une portion notable à la monarchie de Savoie, est dû à un étranger, Samuel Guichenon, qui fit imprimer à Lyon, en 1661, sous le titre de Bibliothèque sébusienne, une collection volumineuse de pièces publiques et privées relatives au Lyonnais et au Dauphiné, provinces dont une partie fut long-temps soumise à la domination des princes de Savoie, et plusieurs autres concernant les autres états de Savoie au-delà des monts. Vers le milieu du siècle dernier, Pasini et Rivantella publièrent le cartulaire de l’église d’Oulx, dont les historiens du Piémont et du Dauphiné, aux XIe et XIIe siècles, ont tiré ou peuvent tirer beaucoup de lumières. Plus tard, le théologien Moriondo imprima en deux gros volumes des documens fort nombreux, relatifs principalement à l’histoire du Montferrat, sous ce titre: Monumenta aquensia. Enfin, Louis Costa a également publié, il y a quelques années, le cartulaire de Tortone, sa patrie.

Si des collections de simples monumens nous passons aux ouvrages dans lesquels on voit ces documens se confondre dans le corps du livre, ou figurer au bas des pages, ou se réunir tous ensemble à la suite du texte sous le titre de Pièces justificatives, une série bien plus considérable d’auteurs s’offre à nos recherches. Le plus ancien est Benvenuto Saint-Georges qui, au commencement du XVIe siècle, écrivit la chronique de Montferrat, laquelle fut imprimée dans le courant de ce siècle, réimprimée à la fin du siècle dernier, et enrichie d’annotations par les soins de Vernazza. Le judicieux usage établi par cet historien de rapporter dans leur étendue les pièces justificatives de son histoire, reçut de justes et nombreux éloges de Maffei et de Muratori.

Ce procédé fut suivi par Saint-Georges dans un autre de ses ouvrages intitulé De origine gentilium suorum, c’est-à-dire de ceux des comtes de Biaudrate de qui descendaient les puissans barons dont les destinées se lient étroitement avec celles des républiques de Novarre, Verceil, de Quiers et de Turin, et avec l’histoire du Canavèse.

Ce sage exemple fut imité en partie par Mgr. Della Chiesa, dont les ouvrages publiés ne sont que les sommaires d’autres plus considérables qu’il avait préparés avec un zèle et un labeur incroyables, et dont on conserve manuscrite la vaste Description du Piémont, augmentée par Mgr. Della Chiesa, évêque de Casai, ouvrage d’une grande importance, et bien digne que le gouvernement en ordonne et en encourage la publication.

L’Histoire des Alpes maritimes, de Pierre Geoffroy, ouvrage d’un intérêt égal au précédent, et digne des mêmes encouragemens, renferme aussi des documens nombreux. Deux exemplaires en sont déposés aux archives royales de la cour. Quelques documens nous sont également offerts par l’ouvrage intitulé : Nicœa civitas sacris monumentis illustrata, publié par le même Geoffroy, et par l’Amedeus pacificus de Monod. Mais nous devons une mention particulière à ceux que Samuel Guichenon, auquel nous avons déjà payé un juste tribut d’éloges, a reproduits en grand nombre dans son Histoire de la Bresse et du Bugey, et plus encore dans son Histoire généalogique de la maison royale de Savoie, vaste publication, qui jouit d’une juste renommée lors de son apparition, et que Christine, régente de Savoie, récompensa avec une munificence toute royale; ouvrage trop critiqué peut-être, depuis lors, par ceux qui jugent les temps anciens à la mesure des nôtres, et qui ne veulent pas voir qu’en toutes choses, le plus difficile est de bien commencer,

Enfin le même siècle présente à nos recherches Caprée, auteur du Traité historique de la chambre des comptes; Tesauro, auteur de l’Histoire de Turin; Voersio, auteur de l’Histoire de Cherasco et d’autres histoires municipales, assorties de plusieurs documens; et Rochaix; auteur de l’ouvrage intitulé : Gloire de l’abbaye de la Novaloise, ouvrage de peu de travail et faible de critique, dont je n’aurais pas rappelé le souvenir si un célèbre écrivain moderne n’avait tiré grand parti, pour appuyer son système, d’une pièce relative au XIe siècle, qui y est publiée. Mais, au siècle dernier, se présente avec une plus grande puissance de critique et un plus grand luxe d’érudition, Thomas Terraneo, qui, dans son Adelaïde illustrata, produit d’importans et nombreux documens, et a laissé dans Joseph Vernazza un élève digne de lui. Vers la même époque, un laborieux collecteur de titres antiques, André Irico, publiait l’histoire de Trin; il est aussi l’auteur d’une histoire typographique manuscrite de cette cité. Peu après, Jacob Durandi, Vercellois, éclairait par la sagacité extrême de son esprit et par l’étendue de son savoir, la géographie antique du Piémont dans ses ouvrages intitulés: Il Piemonte cispadano et traspadano, et mettait en lumière plusieurs points obscurs de notre histoire; c’est aussi ce que faisait, sur un plan moins vaste, mais avec plus de critique, dans nombre d’ouvrages mis au jour ou inédits, Vernazza, auquel nous avons déjà rendu un hommage bien mérité ; Meyranesio et Nasi entreprirent aussi avec une méthode et une critique excellentes l’histoire ecclésiastique du Piémont, sous le titre de Pedemontium sacrum, en l’accompagnant de documens. Mais il n’a paru que le premier volume de cet ouvrage. Au-delà des Alpes, Besson eut la même pensée, et publia des mémoires pour servir à l’histoire des diocèses de Genève, de Maurienne, de la Tarentaise et autres, et, avec eux, nombre de pièces importantes. Le chanoine Grassi joignit un recueil considérable de documens à ses mémoires sur l’église épiscopale de Mondovi. Enfin, ce même Grassi, dans sa dissertation sur l’Université des études de Mondovi; Coda et Mulatera, dans leurs mémoires sur la ville de Bielle; Joseph Muratori, dans l’Histoire de Fossano; Ponziglione, dans son essai sur les Templiers, publié dans les Délasse-mens littéraires; Malacarne, dans ses leçons sur la ville d’Acqui et sur ses anciens habitans; Gaspard Sclavo, dans son Illustrazione della lapide di Ferrania, et quelques autres encore, rapportent en tout ou en partie des documens qui sont loin d’être sans utilité pour l’histoire. J’omets dans cette nomenclature l’histoire du marquisat d’Incise, par Molinari, parce que cet ouvrage est rempli de chartes supposées, fabriquées même avec si peu d’art, qu’il est difficile de s’y méprendre. En des temps plus rapprochés de nous, on trouve quelques documens dans l’Histoire de la littérature verceillienne, par Degrégory, dans celle de la ville d’Acqui, par Biorci; dans l’expédition d’Amédée VI en Orient, par Datta, et dans son Histoire des princes d’Achaie; dans les ingénieux Mémoires sur Thomas, comte de Savoie, par Sclopis. Un volume entier de documens relatifs surtout à la condition des villes libres du Piémont au moyen âge, a été mis au jour par l’auteur de ces Considérations, dans son histoire de Quiers. Il en a publié plusieurs autres d’un grand intérêt concernant l’économie publique du moyen âge, dans ses Discours sur les finances de la monarchie de Savoie. Un nombre non moins considérable de pièces, destinées à éclaircir spécialement l’histoire des célèbres descendans d’Aléramo, ont été imprimées par Muletti dans son Histoire de Saluces.

Il faut ajouter enfin qu’une multitude de titres essentiels, relatifs à notre histoire, sont consignés dans les importans ouvrages de Duchesne, de Mabillon, de Sainte-Marthe, d’Ughelli, de Martène et Durand, de Chorier, et spécialement dans l’Histoire du Dauphiné de M. de Valbonnet, l’un de ces écrivains trop rares qui ont pensé qu’on ne saurait avoir une connaissance parfaitement exacte des temps passés, là où la condition politique, économique et civile des peuples, n’est point suffisamment connue.

Telles sont les principales collections de titres antiques concernant l’histoire de la monarchie de Savoie, et les livres dans lesquels ces titres sont répandus. Dans la bibliothèque Charles-Emmanuel on trouve encore rappelé un registre diplomatique de l’église d’Asti, que l’on mentionne avoir été imprimé sans date et sans indication du lieu de l’impression. Mais je n’ai pu me procurer la connaissance de ce document. On possède encore manuscrits le registre diplomatique de Montferrat, recueilli par Irico, un ouvrage intitulé : Series antistitum Taurinensium, que mentionne avec éloge Angiolo Carena dans ses admirables discours inédits, comme un livre plein d’érudition, riche en documens, et qui doit se trouver dans la bibliothèque du séminaire de Turin, et plusieurs autres ouvrages du même genre, dont la publication serait éminemment utile.

C’est ici le lieu de faire connaître que sur la fin du XIIIe siècle, un grand nombre de villes libres de l’Italie prirent la résolution de faire transcrire par la main d’un notaire, en un ou plusieurs volumes, les priviléges, les traités, les statuts et les autres actes de chaque commune; et ces précieux volumes, qui, selon la couleur de la couverture, prirent les noms de livre rouge, de livre vert, de livre noir, ou de livre de la chaîne à raison de celle dont ils étaient attachés, ou empruntèrent le nom des armoiries peintes sur eux, comme les fameux Biscioni de Verceil, ces volumes sont en grande partie parvenus jusqu’à nous, tandis que les originaux sont presque tous égarés. Les archives de quelques villes du Piémont telles que Mondovi, Asti, Coni, Quiers, Yvrée, Novare, Turin, et plus que toutes celles de Verceil, et au-delà des monts celles de Chambéry, abondent aussi en documens rares et inédits, dont la connaissance enrichirait largement l’histoire de notre patrie. Les archives épiscopales et celles des cathédrales en fournissent davantage encore. Il est à regretter qu’une défiance mal fondée et vraiment inexcusable tienne éloignés de ces dernières les yeux des investigateurs de semblables antiquités.

Mais les lois tiennent le premier rang parmi les fondemens de l’histoire. C’est d’elles, après tout, que dépend la bonne ou la mauvaise destinée des peuples. Et comme aux XIIe, XIIIe et XIVe siècles en Piémont, de nombreuses cités se gouvernèrent par elles-mêmes, et tracèrent par écrit leurs antiques coutumes, il existe encore une quantité considérable de statuts imprimés et manuscrits; M. le comte Balbe en a réuni une collection précieuse. Je n’ai pas besoin de dire quel fruit l’histoire de notre patrie peut retirer de ces utiles notices. J’observerai seulement que c’est dans ces codes municipaux qu’on trouve la loi qui exclut les femmes du droit de succession, loi aristocratique dont les citoyens se montraient fort jaloux, et qui, par ce motif, fut transportée dans les lois et dans les constitutions générales de la monarchie.

Plusieurs titres qui remontent au commencement du XIVe siècle, que l’on conserve au riche dépôt de la Chambre royale des comptes de Turin, permettent d’avancer qu’une collection de lois ou règlemens pour la monarchie de Savoie, sous le nom de Statuts fut formée dès le XIIIe siècle. On a ceux qu’Amédée VI établit dans le cours de sa longue et glorieuse souveraineté. Un autre grand prince, Amédé VIII, les coordonna et les augmenta en 1430: quelques additions y furent faites par ses descendans jusqu’à Emmanuel-Philibert, ce second père de la monarchie, qui, en 1565 et dans les années suivantes, en promulgua un grand nombre sous le titre de Décrets et Constitutions. Il adopta entr’autres deux dispositions éminemment prévoyantes, dans l’objet de constater légalement, jour par jour, le nombre des naissances et des décès et le prix des denrées; ces dispositions, plus sages peut-être que ne le comportait la civilisation de cette époque, furent bientôt abandonnées.

Victor-Amédée II publia un code sous le titre de Lois et Constitutions, d’abord en 1723, puis en 1729; ce ne fut pas la moins illustre des actions de son mémorable règne. Le premier, je crois, il restreignit à une classe peu nombreuse de personnes la faculté d’établir des primogénitures et des substitutions; il en réduisit la durée à un petit nombre de degrés, et prohiba en cette matière l’engagement des choses mobilières. Un autre code plus considérable fut promulgué par Charles Emmanuel III, en 1770. Les temps qui succédèrent, remarquables par l’importance et la gravité des événemens, ne le furent pas moins par les progrès de la raison humaine. Le roi Victor Emmanuel avait médité et déjà préparé en partie une réforme générale de la législation, et le roi actuel Charles-Albert, dont la haute sagesse ne néglige rien de ce qui peut assurer le bonheur des peuples et la gloire d’un règne, a déjà tourné toute sa sollicitude vers cet important ressort du bien public.

Je n’ai fait mention jusqu’ici que des collections de lois formées parles princes. Parlons maintenant de celles réunies par les soins des particuliers. En 1679, Bally publia à Chambéry un ouvrage intitulé Recueil des Edits et Réglemens de Savoie depuis Emmanuel Philibert jusqu’à présent. Jolly fit paraître la même année et dans la même ville un autre volume in-folio intitulé : Compilation des anciens Edits des princes de Savoie. En 1681, le sénateur Borelli mit au jour un gros volume in-folio, sous le titre: Editti antichi e nuovi; mais ces ouvrages, composés par les ordres de madame royale Marie-Jeanne-Baptiste, furent loin d’être complets et exacts.

De nos jours un habile jurisconsulte (Cauda) en entreprit la continuation; mais une mort prématurée vint bientôt le ravir à ses travaux. L’avocat Dubois lui succéda. Cet écrivain, encouragé par les faveurs royales, s’y est employé avec tant de zèle que le tome X de cette collection voit déjà le jour.

Cet ouvrage est accompagne de documens très-importans et même très-anciens, de réglemens, d’instructions, de délibérations secrètes. Il doit donc être d’un grand secours pour les hommes amis des études historiques. Car le temps révèle une foule de choses que tenait cachées non point une défiance d’état légitime et nécessaire, mais cet avide amour du mystère qui fut le plus grand défaut de nos pères. La sagesse des princes qui gouvernent n’est pas étrangère non plus à ces révélations, parce qu’ils savent parfaitement que rien n’est plus puissant que la découverte de là vérité pour combattre les fausses doctrines. Cette vérité se relève et triomphe dans les bonnes histoires, et les bonnes histoires sont exclusivement le fruit d’une étude approfondie de toute espèce de documens, et de ceux surtout qui ont trait à la législation, à l’économie publique, aux affaires politiques et aux mystères de la diplomatie.

Recherches sur l'histoire et sur l'ancienne constitution de la monarchie de Savoie

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