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II

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Table des matières

Et, d’abord, le nom de la gentille maisonnette aux volets verts, au toit de tuile, aux murs blanchis à la chaux et aux buissons de roses rouges et blanches; car, ici, tout chalet, tout cottage, toute hutte a son nom:

La Joliette, nom primitif; on en a fait, par corruption, la Jolinette.

La Jolinette: n’est-ce pas naïf et gracieux?

Et vous croyez que la Jolinette, toute fraîche, toute blanche, toute proprette, telle qu’elle vous apparaît, s’élevant, timide et pourtant si brillante à l’ombre de son châtaignier, et se mirant dans son ruisseau, est sortie hier de la main de ses ouvriers?

Non, non; plus d’un siècle a passé.

Plus d’un siècle... Mais ses propriétaires l’ont aimée comme un père aime une fille chérie et ont veillé à sa conservation comme une femme veille sur une perle précieuse ou un joyau de grand prix.

En un mot, l’histoire de la Jolinette:

Au commencement du siècle dernier, une pauvre hutte de boue et de chaume, de feuilles et de ramées, s’élevait à l’ombre de l’arbre protecteur. Y vivait un jeune couple heureux et content, Jacques Collet et Marie Lubin. Il arriva que la nièce de monsieur de Fontenay, Laure des Tournelles, marquise de Belmont, mourut au château, laissant un orphelin de deux mois à peine au moment où le bon Dieu bénissait Jacques et Marie en leur envoyant un autre Jacques Collet, un charmant petit garçon. Marie Lubin devint la nourrice du petit marquis. Plus tard, le petit marquis se ressouvint avec amour de la pauvre hutte qui avait vu son berceau, en demanda la propriété à monsieur de Fontenay, et remplaça la cabane qui s’en allait en ruines par une petite maisonnette de pierre. Il la fit si jolie, si jolie que tout le monde la désigna immédiatement sous le nom de la Joliette.

On accourut bientôt pour voir la Joliette de dix lieues à la ronde et plus... paysans, paysannes, brillants seigneurs et nobles dames: c’était au temps où Marie-Antoinette se faisant bergère dans les jardins de Trianon, mettait les goûts champêtres à la mode.

D’abord le marquis de Belmont établit à la Joliette ses parents nourriciers, Jacques Collet et Marie Lubin; puis il leur donna une petite ferme dans les environs et garda pour lui-même le charmant cottage. C’était là qu’il venait chaque dimanche déposer le fardeau du luxe et des grandeurs, et instruire ses enfants.

Le temps, qui détruit tout, ne toucha point pourtant à la Jolinette, que protégeait son châtaignier et que gardait son ruisseau; mais il emporta son propriétaire. Les fils du marquis de Belmont continuèrent chaque dimanche leur pèlerinage à la maisonnette, le berceau de leur père. Mais bientôt vinrent de mauvais jours, 1789... et la Jolinette n’eut plus de propriétaire.

Entendons-nous:

Les marquis de Belmont furent entraînés, avec tant d’autres, par le torrent révolutionnaire, et périrent sur l’échafaud; mais ils laissèrent, par testement, leurs biens et leurs titres à un arrière petit-cousin, Robert de Jurand, comte de la Meslaie, le dernier de leur famille.

Au moment de la plus grande fureur populaire contre les seigneurs et les nobles, le château de Fontenay avait été saccagé, celui de Belmont, qui s’élevait non loin de là, avait été ruiné de fond en comble; mais on n’avait point touché à la Jolinette: le peuple avait fait preuve de puissance en abattant des remparts et en renversant des forteresses; c’eût été abus de force que de détruire un cottage gardé par des buissons de roses.

La Jolinette, bijou chéri d’un grand, d’un aristocrate comme l’on disait alors, sortit donc toute belle encore de la tourmente révolutionnaire; mais elle parut avoir changé de maître, car, dès que les plus mauvais jours eurent passé, ses volets verts se rouvrirent au grand étonnement de tous, ses murs un peu noircis se reblanchirent sous une nouvelle lessive de chaux, et vint s’y établir, en qualité de propriétaire, un domestique du dernier marquis de Belmont.

Comment et pourquoi? C’était ce que nul ne savait, ne pouvait comprendre.

Si ce Claude Lambriquet, ce nouveau propriétaire, eût été l’un de ces vieux serviteurs qui sont comme les représentants de la famille quand la famille a disparu! Mais c’était un homme d’hier... Avait-il donné des preuves de dévouement ou do fidélité ? Non; il avait fui loin de son maître dès que son maître avait été inquiété. On disait même tout bas qu’il avait comploté, qu’il avait trahi... N’importe, la Jolinette n’avait point été ruinée avec le château de Belmont, confisquée avec celui de Fontenay, et Claude Lambriquet, l’ancien valet de cnambre du marquis, s’en disait héritier.

A la Restauration, Robert de Jurand vint, le testament en main, pour expulser l’intrus. L’intrus montra l’acte de donation de la hutte par monsieur de Fontenay au vieux marquis de Belmont, fils de Laure des Tournelles, et un acte de vente de la main du dernier marquis de Belmont, vente par ce dernier marquis de Belmont à Claude Lambriquet.

Il n’y avait plus à réclamer, et Robert de Jurand ne réclama plus; il était riche et parent éloigné des Belmont; il attachait peu de prix à la Jolinette et aux souvenirs qu’elle rappelait.

Claude Lambriquet resta donc paisible possesseur de sa gentille et modeste propriété, et dès qu’il eut produit des titres en bonne et due forme, les mauvaises rumeurs qui avaient couru sur son compte cessèrent entièrement.

C’était un homme grave, sombre, taciturne, que ce Claude Lambriquet. Il vivait retiré au fond de la Jolinette et on ne le voyait guère au village; jamais au cabaret, jamais dans les assemblées, jamais dans les fêtes, et encore bien moins à l’église. Il semblait comme un être à part, isolé pour quelque cause peut-être du reste de la société, ou, peut-être encore, haïssant la société. Pourtant il se maria sur le retour de l’âge, non avec une fille du pays, mais avec une parente éloignée, une charmante enfant qui vécut tristement sans jamais sortir non plus de la maisonnette, et qui mourut en laissant un orphelin de deux ans, Pierre Lambriquet.

Claude éleva son enfant avec soin, l’envoya à l’école, le fit — chose étonnante puisqu’il ne mettait jamais lui-même les pieds à l’église, — enfant de chœur, et, après sa première communion, le forma aux travaux des champs. Un grand champ entourait de toutes parts la Jolinette, dont il dépendait, et le produit de ce champ faisait et au-delà vivre son propriétaire.

Claude et Pierre étaient, relativement, des richards, comme l’on disait au pays, de mauvais richards, comme l’on disait encore, car ils ne donnaient jamais une obole aux pauvres. Le petit avait de bonnes dispositions, ajoutait-on tout bas, mais le méchant vieux a étouffé dans son cœur tous les germes de sensibilité et de vertu.

Cependant Pierre n’avait point l’humeur grave de Claude, bien au contraire; jamais on n’avait vu gaîté si franche et si bruyante. Il avait fait des compagnons de plaisir de ses anciens amis d’école, et il menait joyeuse vie.

Plus le jeune homme était gai, pins le vieillard semblait morose: jamais un sourire n’épanouissait ce visage sévère, jamais le bonheur ni la joie n’illuminait pour un instant son regard.

Mais ce fut bien pis encore quand Pierre, ayant atteint sa vingt-cinquième année, manifesta le désir de se marier. Longtemps Claude combattit ce projet; à la fin il céda, et une fille du pays, pieuse, douce et bonne, vint habiter la Jolinette.

Peu après, Claude Lambriquet, chargé de tristesse et d’années, mourut entre les bras de son fils.

On dit qu’en mourant il eut un sourire, un sourire d’espérance et de bonheur, après un long entretien avec Pierre, et un entretien plus long encore avec le digne curé du village...

Et la Jolinette, pendant la longue vie de Claude Lambriquet, n’avait point changé d’aspect; chaque année, elle était devenue plus blanche sous une autre lessive de chaux, et les buissons qui la couvraient avaient produit de plus belles roses.

L'héritage de Thérèse

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